En finir avec le Diable?
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En finir avec le Diable?

Les enjeux d'une figure emblématique du mal

  1. 190 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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En finir avec le Diable?

Les enjeux d'une figure emblématique du mal

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À propos de ce livre

Juin 2017. Les salles de presse du monde entier bruissent d'une étrange question: « Le Diable existe-t-il? » Le pape François évoque souvent le Diable dans son enseignement. Aussi lorsque le père Arturo Sosa, supérieur général des Jésuites, dénommé le « pape noir », déclare n'y voir qu'une figure symbolique, il provoque un émoi prévisible. Le Diable, dont le mot vient du verbe grec diaballo qui signifie diviser, venait encore de frapper, semble-t-il, et cela au sommet de l'Église.

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Informations

Éditeur
Academia
Année
2017
ISBN
9782806121691

Les chrétiens ont-ils cru à leur diable ?
Significations et enjeux du crime de
sorcellerie (XIVe-XVIIe siècles)

Ludovic Viallet

1. Discours sur la méthode

Loin d’être un sujet « exotique », la sorcellerie et sa répression permettent à l’historien d’aborder quelques-unes des principales problématiques liées à l’histoire des pouvoirs, de la justice et de l’État, mais aussi de relever certains défis intellectuels qui sont autant de confrontations avec le réel (que s’est-il vraiment passé ?), avec la croyance (comment comprendre qu’on y ait cru ?) ou encore avec ce que nous appelons la modernité et le progrès. À défaut de réponses claires à ce type d’interrogations, on trouvera dans les pages qui suivent la réflexion d’un historien heureux d’échanger avec des théologiens, aimant les grandes traversées et pratiquant volontiers l’anachronisme volontaire, c’est-à-dire celui qui, maîtrisé, nous vaccine contre tout sentiment de supériorité excessif à l’égard des hommes d’autrefois : les exemples abondent, dans nos sociétés modernes, de processus de « réenchantement du monde » et de croyance, si ce n’est de crédulité, voire de bêtise1. Cette pratique de l’anachronisme peut nous faire sentir également, en certains points de convergence, la nécessité d’abandonner toute démarche trop intellectuelle pour appréhender la vie des hommes : soit que l’on arrive face à une falaise, un abîme – et l’on ne peut aller plus loin : c’est le cas pour la croyance –, soit que l’on se trouve face à une causalité très simple – et certains sentiments en font partie, et la médiocrité humaine en fait partie aussi.
L’exercice de l’anachronisme volontaire (ou du « parallélisme ») n’est viable que si en contrepoint indispensable on contextualise avec précision les phénomènes. Cela est d’autant plus nécessaire pour la sorcellerie que l’idée d’un diable indispensable à la croyance en Dieu, d’un diabolique indispensable pour parler de Dieu, paraît évidente à l’historien du Christianisme médiéval (et au-delà ? c’est l’une des interrogations de ce « colloque Gesché »…) ; par là-même, elle peut avoir valeur de clef d’interprétation ultime, gommant temps et contextes spécifiques. Ainsi Jules Michelet, dès l’introduction de La Sorcière :
Maintenant qu’on l’a précipité tellement vers son déclin, sait-on bien ce qu’on a fait là ? – N’était-il pas un acteur nécessaire, une pièce indispensable de la grande machine religieuse, un peu détraquée aujourd’hui ? Tout organisme qui fonctionne bien est double, a deux côtés. La vie ne va guère autrement. C’est un certain balancement de deux forces, opposées, symétriques, mais inégales ; l’inférieure fait contrepoids, répond à l’autre. La supérieure s’impatiente, et veut la supprimer. – À tort.
[…] Le Diable n’est pas moins qu’un dogme, qui tient à tous les autres. Toucher à l’éternel vaincu, n’est-ce pas toucher au vainqueur ? Douter des actes du premier, cela mène à douter des actes du second, des miracles qu’il fit précisément pour combattre le Diable. Les colonnes du Ciel ont leur pied dans l’abîme. L’étourdi qui remue cette base infernale, peut lézarder le Paradis.2

Une sorcellerie satanique

On va considérer ici la sorcellerie dans sa spécificité tardo-médiévale, c’est-à-dire telle que la nature du crime de sorcellerie (une magie maléfique) est transformée au XVe siècle : il s’agit désormais de l’adhésion à Satan et de l’entrée dans sa secte. L’articulation entre sorcellerie et magie est essentielle pour comprendre l’évolution ayant abouti à la répression : la distinction entre bonne et mauvaise magies n’existe plus, toute magie étant désormais assimilée à l’adhésion au culte de Satan. Les pratiques « populaires » de guérison-envoûtement-désenvoûtement, tolérées ou mollement combattues pendant des siècles, font désormais l’objet d’une condamnation ferme. Entre 1420 et 1440 cristallise une formation particulière désignant un crime, ce que l’on peut dénommer le « concept cumulatif de sorcellerie » (selon le mot de Brian Levack)3. Pendant près de trois siècles, l’Europe est traversée par des vagues de répression qui font des milliers de victimes et atteignent leur intensité maximale entre 1580 et 1650, côté catholique comme protestant. Ces dernières sont accusées d’avoir noué un pacte avec le diable, de s’être rendues en volant à la cérémonie du Sabbat (s’y livrant à des orgies, des profanations de l’hostie ou de la croix, des actes de cannibalisme) et d’avoir jeté des sorts pour nuire à leur voisinage. Voici donc la définition du crime de sorcellerie, fait de plusieurs éléments : pacte avec le diable, vol nocturne, participation au Sabbat (où a lieu un commerce charnel avec le diable), sortilèges et maléfices.
Aucun élément du crime de sorcellerie n’est nouveau ; ce qui est nouveau, c’est l’agencement en un système à la fois fantastique et cohérent4. Au cœur de l’histoire de la constitution juridique du crime de sorcellerie se trouve le thème du pacte avec le diable, qui est probablement le meilleur exemple, avec les déviances sexuelles, de la façon dont certains éléments stéréotypiques utilisés dans la répression des mouvements hérétiques médiévaux ont été intégrés dans cette construction culturelle particulière qu’est le crime de sorcellerie. On a là un ensemble de croyances relatives au rapport entre les sorcières et le diable qui se répandent dans les élites, spécialement celles qui contrôlent la machine judiciaire – la répression, sinon, n’aurait pas été si forte. En outre, ce qui donne à la chasse aux sorcières son ampleur, c’est le Sabbat, qui lui s’enracine dans de très vieilles traditions relatives aux rencontres nocturnes : en focalisant sur la réunion des adeptes de la secte satanique, les juges recherchent les complices de l’accusé(e).
La construction, par l’Église, d’une image – celle d’une contre-société – et d’un stéréotype – celui de l’hérétique adorateur du diable – est à replacer dans l’histoire de la lutte contre l’hérésie, qui connaît une accélération aux XIIe-XIIIe siècles. Les clercs puisent dans un réservoir millénaire (les Romains faisaient des premiers chrétiens les membres d’une société secrète pratiquant l’infanticide cannibale et l’inceste), l’eucharistie se prêtant en outre facilement à une interprétation tournée vers le cannibalisme. Il ne semble pas inutile de souligner que l’émergence du Sabbat coïncide avec un essor très net du culte eucharistique, dont certains aspects suscitent la controverse5, ainsi qu’avec une accentuation de l’interdiction des pratiques de danse – ayant une dimension ritualisée forte – dans les églises.
« Formation culturelle de compromis », selon l’expression de Carlo Ginzburg, le Sabbat était le fruit d’un mélange entre des morceaux de culture « folklorique », éventuellement modifiés par les rêves, des références à la vie quotidienne, des désirs plus ou moins conscients – au gré des malaises individuels et des conflits inter-personnels – et les éléments de construction, tirant vers le stéréotype, élaborés par les théologiens et les démonologues6. Pourquoi les autorités ecclésiastiques, très vite relayées et dépassées en zèle par les pouvoirs civils, ont-elles mené cette lutte de plus en plus intensément aux XVe-XVIe siècles, alors même que la civilisation occidentale voyait s’épanouir en son sein la mutation intellectuelle et culturelle décisive que l’on nomme « Renaissance » ? Il faut bien constater qu’à la fin du XIVe siècle et au début du XVe, dans un contexte difficile ne pouvant qu’attiser la psychose, s’est opérée une sorte de mutation des attitudes mentales qui semble synonyme d’une sorte de régression de l’esprit rationnel, chez les clercs et les gens du livre. La question du vol nocturne l’illustre de façon particulièrement nette. Effectué sur un bâton magique enduit de l’onguent fabriqué avec des enfants, parfois sur un balai ou des animaux sauvages, il était lié au Sabbat, car il permettait de se rendre en des lieux parfois très éloignés. Le Canon Episcopi, rédigé au Xe siècle et inséré dans le droit canon au XIIe siècle avec le Décret de Gratien, affirmait que les chevauchées nocturnes de mauvaises femmes à travers des espaces immenses étaient effectuées en imagination, du fait du diable ; au XVe siècle s’affirma l’idée selon laquelle il était réalisé « corporellement ». La première conception ne disparut pas ; on la retrouvera chez les « humanistes sceptiques » du XVIe siècle. Majoritairement, toutefois, les intellectuels de la Renaissance, en France, Suisse et Allemagne davantage qu’en Italie et en Espagne, choisirent leur camp, celui du bâton magique.

Le crime de sorcellerie : instrumentalisation et/ou croyance ?

Avant 1430, l’occulte et le satanisme étaient déjà au cœur de procès, comme le montrent les témoignages à charge accumulés au début du XIVe siècle par les légistes du roi de France dans le cadre de la procédure posthume lancée contre le pape Boniface VIII. Selon les 94 articles rédigés probablement en 1309 par le cardinal Pietro Colonna afin de souligner l’hérésie de Boniface VIII, mort six ans auparavant, celui-ci fut accusé, en plus de la dépravation sexuelle contre nature (sodomie) et de la profanation d’hosties – stéréotypes utilisés au même moment contre les Templiers – d’avoir abondamment invoqué des démons grâce à l’aide de praticiens de la magie noire.
[44] De même, il y a longtemps il eut un démon et esprit, qu’il prétendait lui avoir été donné par une femme de Foligno, très grande nécromancienne et incantatrice.
[45] De même, avant comme après son accession au pontificat il eut un autre esprit que lui avait donné (selon ce qu’il prétendait) maître Georges de Simblico, moine, grand maître en nécromancie à ce que l’on disait, qui était appelé maître Georges le Hongrois. Il répondait après que des offrandes lui avaient été faites. En rémunération de ce service, une fois pape, il [Boniface] lui donna beaucoup d’argent ainsi qu’un grand prieuré dans les régions de Slavonie et une bonne grange dans le royaume de Serbie contigu à ladite Slavonie.
[46] De même, avant comme après son accession au pontificat il eut un esprit que lui donna, comme il l’assurait, maître Boniface de Vicence, lombard, que l’on disait très expert dans ces arts. Il répondait après les mêmes offrandes et invocations que les précédentes. […]
[47] De même, avant comme après son accession au pontificat on vit très souvent de très grandes fumigations qu’il faisait dans sa chambre et, alors que personne d’autre ne s’y trouvait, on entendait aussi de l’extérieur sa voix qui très souvent demandait et réclamait beaucoup de choses sur beaucoup de sujets. On entendait ensuite une autre voix répondant à son interrogation et qui variait, tantôt délicate, comme celle d’un enfant, tantôt grosse et rauque, comme celle d’un vieillard. Ces voix étaient parfois entendues en latin, parfois en langue vulgaire, parfois comme celles de personnes échangeant vivement. Souvent aussi cette voix qui répondait, grosse et rauque, semblait comme celle d’un maître enseignant. Souvent on l’entendait dire : « Fais ceci et tu auras ce que tu désires ». […]
[51] De même, en appelant ses démons il demandait souvent diverses choses et il disait qu’il leur avait donné corps et âme, pourquoi alors ne faisaient-ils pas ce qu’ils lui avaient promis, par quoi apparaissaient comme évidentes son hérésie et son idolâtrie.
[52] De même, avant comme après son accession au pontificat il fut et était sorcier [sortilegus], consultant les devins et devineresses. Et de cela il a été publiquement diffamé.7
Le cœur du procès réside dans l’empoisonnement et les sortilèges. Avec la qualification de sortilegus (art. 52), la sorcellerie est bien présente, mais dans une acception qui n’est pas encore celle qui va s’affirmer au XVe siècle (même si l’on n’en est pas loin…). Le pacte avec Satan est donc en première ligne dans ce règlement de compte politique. Quelle est la part de la croyance ? Quelle est la part de ce que l’on appellerait aujourd’hui l’instrumentalisation ? Il est impossible de distinguer ce qui est manipulation « cynique » et véritable croyance… C’est bien là que réside tout le problème pour l’historien, dans cet enchâssement du politique dans le religieux, en un univers mental qui n’est pas encore constitué des mêmes catégories que le nôtre8.
Certes, la sorcellerie, au XVe siècle, incarne le crime absolu, qui sert ou peut servir à tout. Attention, toutefois, à ne pas tomber dans une explication monocausale privilégiant la seule interprétation « théologico-juridique », dont le médiéviste ne peut se contenter, comme il ne peut se contenter du « tout croyance » : ainsi, il n’est certes pas faux d’af...

Table des matières

  1. Couverture
  2. 4e de couverture
  3. Dans la même collection
  4. Titre
  5. Copyright
  6. Avant-propos
  7. La problématique
  8. Le diable, un mal nécessaire ? Regard sur quelques textes du Nouveau Testament
  9. Les chrétiens ont-ils cru à leur diable ? Significations et enjeux du crime de sorcellerie (XIVe-XVIIe siècles)
  10. Le diable comme personnage dans les romans de Georges Bernanos
  11. Satan, ou la peur de l’autre qui me pousse à détruire
  12. De l’idole au diable, ou « en finir avec le serpent ? »
  13. Jouer avec le diable, se jouer de Satan Le démon des jeux vidéo : représentations, figures, interactions
  14. Les figures du diable dans le Coran
  15. Le Démon pour raison garder
  16. Postface
  17. Liste des auteurs
  18. Table des matières