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La correspondance entre linguistes
Un espace de travail
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- 197 pages
- French
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- Disponible sur iOS et Android
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Ă propos de ce livre
Le prĂ©sent ouvrage fait suite au recueil Archives et manuscrits de linguistes (Academia, 2014). L'objectif de ce volume est d'entamer une Ă©tude de la correspondance entre linguistes â susceptible d'ĂȘtre pensĂ©e comme un espace de travail et comme un canal de rĂ©flexion et d'Ă©change des savoirs â et d'attirer l'attention sur le processus d'Ă©laboration des thĂ©ories linguistiques et de ses concepts. L'Ă©tude des correspondances scientifiques facilite l'accĂšs, en effet, Ă de vĂ©ritables laboratoires d'Ă©laboration intellectuelle.
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Informations
Sous-sujet
LinguistiqueChapitre 5
Glossématique « par correspondance » : Hjelmslev et ses interlocuteurs (Martinet et Bazell)
Viggo Bank JENSEN
Université de Copenhague
Lorenzo CIGANA
UniversitĂ© de LiĂšge â FNRS
Université de Copenhague
Lorenzo CIGANA
UniversitĂ© de LiĂšge â FNRS
1. Introduction
Nous prĂ©sentons ici quelques spĂ©cimens de correspondance issus du riche fonds « Louis Hjelmslev » de la Kongelige Bibliotek de Copenhague, notamment : 1) une lettre de Hjelmslev Ă Martinet dĂ©posĂ©e dans le dossier Kps. 26, que nous discutons afin quâelle intĂšgre et enrichisse le dĂ©bat engendrĂ© par ArrivĂ© et Ablali (cf. la prĂ©sentation et la discussion la correspondance entre Martinet et Hjelmslev dans ArrivĂ© 1982, Ablali-ArrivĂ© 2001, voir ci-dessous §
2) ; et 2) lâensemble de la correspondance entre Hjelmslev et C.E. Bazell dĂ©posĂ©e dans le dossier Kps. 21. Notre objectif est de montrer dans quelle mesure la correspondance constitue une source textuelle nous permettant dâaffiner la comprĂ©hension de la thĂ©orie (en lâoccurrence, de la glossĂ©matique). En effet, lâĂ©tude de lâĂ©change Ă©pistolaire entre linguistes constitue souvent une situation privilĂ©giĂ©e pour saisir des dĂ©tails thĂ©oriques parfois importants ou des explications additionnelles, notamment pour apprĂ©cier le dĂ©bat vital, bilatĂ©ral quoique privĂ©, des thĂ©oriciens qui accompagne la publication de leurs travaux.
2. Pourquoi sâintĂ©resser Ă la correspondance ?
Nous aimerions commencer en interrogeant lâintĂ©rĂȘt thĂ©orique de la correspondance, dont lâimportance nous semble primordiale en fonction de la rĂ©Ă©valuation de la pensĂ©e structuraliste qui se produit de nos jours dans les milieux de lâhistoire des idĂ©es, de la linguistique, de la philosophie du langage et de la sĂ©miotique. Une telle rĂ©Ă©valuation prend justement la forme dâune relecture des textes : lâexamen philologique auquel on soumet les textes vise lâopportunitĂ© de saisir des Ă©lĂ©ments dont la pertinence avait Ă©tĂ© « narcotisĂ©e » par la rĂ©ception directe. Il sâagit donc dâun procĂ©dĂ© par lequel on dissout le texte en tant que cristallisation de la rĂ©flexion dâun auteur pour dĂ©gager les ingrĂ©dients fondamentaux, en les reliant Ă des informations supplĂ©mentaires afin dâobtenir, au moins idĂ©alement, les moyens de : 1. poursuivre les thĂšses rĂ©putĂ©es les plus intĂ©ressantes ou dĂ©cisives en rĂ©ponse Ă une urgence thĂ©orique quelle quâelle soit (par exemple, une « crise des modĂšles ») ; 2. actualiser prospectivement la pensĂ©e dâun auteur ; 3. vĂ©rifier rĂ©trospectivement (câest-Ă -dire, suivant une perspective historiographique) les sources ou les interactions avec dâautres thĂ©ories ; 4. resituer lâauteur dans le cadre organique de son Ă©poque, en en Ă©tablissant les continuitĂ©s ou les discontinuitĂ©s1. Ces informations supplĂ©mentaires dĂ©rivent typiquement des documents issus des archives ou des fonds des auteurs eux-mĂȘmes â lĂ oĂč ce genre de dĂ©pĂŽt documentaire existe â et qui reprĂ©sentent la chance la plus importante dâaccomplir la tĂąche reconstructive dont nous parlons.
Parmi les diffĂ©rents types de documents quâon rencontre souvent dans les archives, Ă cĂŽtĂ© des Ă©bauches des Ćuvres, des manuscrits prĂ©paratoires des communications ou des cours universitaires ou encore des notes privĂ©es, la correspondance prĂ©sente un intĂ©rĂȘt particulier : elle se situe au carrefour entre rĂ©flexion privĂ©e (inĂ©dite, cachĂ©e derriĂšre les Ćuvres publiĂ©es) et rĂ©flexion « publique » (Ă©ditĂ©e), comme entre thĂ©orisation « centripĂšte » (la construction dâun modĂšle propre original) et thĂ©orisation « centrifuge » (portĂ©e sur lâĂ©change de points de vue et sur lâopposition entre modĂšles diffĂ©rents).
La correspondance entre linguistes nous permet de saisir des dĂ©tails importants sur la genĂšse des thĂ©ories, et notamment lâeffort visant la solution des problĂšmes liĂ©s aux diffĂ©rentes phases dâĂ©laboration, la confrontation vitale entre les savants sur une mĂȘme question, les incomprĂ©hensions et les prĂ©judices qui connotent lâinterprĂ©tation rĂ©ciproque et qui souvent se sclĂ©rosent dans une tradition interprĂ©tative partielle, bien que prestigieuse.
Ă cet Ă©gard, la correspondance entre Louis Hjelmslev et AndrĂ© Martinet, prĂ©sentĂ©e et discutĂ©e Ă plusieurs reprises par Michel ArrivĂ© et Driss Ablali (ArrivĂ© 1982, ArrivĂ©-Ablali 2001), est paradigmatique. On connaĂźt bien, dâailleurs, lâapport de Martinet Ă la tortueuse histoire Ă©ditoriale de lâĆuvre peut-ĂȘtre la plus importante de Hjelmslev, les ProlĂ©gomĂšnes Ă une thĂ©orie du langage (dont Jeanne Martinet [rĂ©ponse Ă ArrivĂ©-Ablali 2001 : 54-57] rappelle Ă bon droit le « jeu dâĂ©preuves densĂ©ment annotĂ©es » qui constituait lâarriĂšre-plan des traductions françaises) â apport qui comprenait le long compte rendu de cet ouvrage (cf. Martinet 1985), le travail soigneux de rĂ©vision de la traduction du manuscrit, ainsi que quelques conseils terminologiques qui devaient se rĂ©vĂ©ler inspirants pour lâadoption du concept de « cĂ©nĂ©matique » (Ă la place de celui de « phonĂ©matique », plus compromis du point de vue de la tradition linguistique (cf. ArrivĂ©-Ablali 2001 : 36 ; ArrivĂ© 1982 : 88-89, n. 9, 10), de la constellation de notions comme « schĂ©ma », « usage », « processus » (cf. ArrivĂ©-Ablabli 2001 : 46, 48). Dâailleurs, comme ArrivĂ© et Ablali lâont clairement montrĂ©, la correspondance permet dâapprĂ©cier les divergences thĂ©oriques qui sĂ©paraient les deux linguistes. On osera dire que câest bien en cela que consiste lâintĂ©rĂȘt primordial de leur correspondance : câest Ă partir du dialogue issu des difficultĂ©s interprĂ©tatives, des incomprĂ©hensions, quâon peut thĂ©matiser les questions les plus urgentes â comme les solutions envisagĂ©es (partielles, privĂ©es, pas encore explicitĂ©es ou incluses dans la thĂ©orie, temporaires, purement esquissĂ©esâŠ) â en pĂ©nĂ©trant dans les enjeux de la thĂ©orie et en mettant au point notre comprĂ©hension. ArrivĂ© et Ablali identifient au moins trois points de rupture :
âle rĂŽle de la substance, qui se rĂ©verbĂšre, comme par un effet domino, sur nombre de questions affĂ©rentes, comme celles de la substance amorphe ou de la « matiĂšre » (ArrivĂ©-Ablali 2001 : 39, 49 sqq), ou encore du terme mĂȘme de « fonction » (ArrivĂ©-Ablali 2001 : 40) ;
âla valeur Ă©pistĂ©mologique de la phonologie et son rĂŽle en tant que modĂšle inspirateur de la glossĂ©matique (ArrivĂ©-Ablali 2001 : 41) ;
âle modĂšle hjelmslĂ©vien de lâ« isomorphisme (non conforme) » vis-Ă -vis de celui de la « double articulation » proposĂ© par Martinet (ArrivĂ© 1982 : 87, n. 5).
Câest donc par esprit dâaddition que nous allons prĂ©senter et discuter ci-aprĂšs (§ 3) une lettre de Hjelmslev Ă Martinet qui nâest mentionnĂ©e que briĂšvement dans ArrivĂ©-Ablali (2011 : 39-40) et qui est fort intĂ©ressante pour la thĂ©matisation dâun quatriĂšme aspect de la querelle : le problĂšme philosophique de lâidentitĂ© dans les sciences du langage qui inclut au moins en partie la question de la substance mentionnĂ©e ci-dessus (point 1).
En revanche, câest par esprit fĂ©dĂ©rateur que nous prĂ©sentons (§ 4) lâensemble de la correspondance entre Hjelmslev et Charles Ernest Bazell (1909-1984), professeur dâanglais et de linguistique gĂ©nĂ©rale Ă lâuniversitĂ© dâIstanbul (1942-1957) et successeur de Firth Ă lâenseignement de linguistique gĂ©nĂ©rale Ă lâĂcole des Ătudes Orientales et Africaines (SOAS â School of Oriental and African Studies) de lâuniversitĂ© de Londres jusquâen 1977, annĂ©e de sa retraite. Les questions les plus intĂ©ressantes traitĂ©es dans cette correspondance concernent surtout la thĂ©orie morphologique de Hjelmslev, lâagencement des catĂ©gories linguistiques et le problĂšme du rapport entre la dĂ©finition abstraite (logique) des fonctions paradigmatiques et leur interprĂ©tation concrĂšte (phĂ©nomĂ©nologique) â question trĂšs dĂ©licate, car elle montre le besoin de reporter lâoutillage thĂ©orique glossĂ©matique au niv...
Table des matiĂšres
- Couverture
- 4e de couverture
- Sciences du langage
- Titre
- Copyright
- Avant-propos (Dâ) Ă©crire la pensĂ©e
- Le rĂ©seau Ă©pistolaire de Hugo Schuchardt (1842-1927) : soixante ans dâhistoire de la linguistique. Coup dâĆil dans les archives dâun linguiste allotrique
- Correspondre dans un espace socioculturel linguistique particulier. Exemple du fonds Lucien TesniĂšre
- Ă lâombre de deux maĂźtres : la correspondance Bally-Vendryes
- Louis Hjelmslev en toutes lettres : éléments de réponse au projet glossématique inachevé avec Uldall dans des lettres à Martinet, Jakobson, Benveniste et quelques autres
- Glossématique « par correspondance » : Hjelmslev et ses interlocuteurs (Martinet et Bazell)
- La linguistique dans les lettres des linguistes
- à propos des traductions, la diffusion et la réception du Cours de linguistique générale en Russie (1916-1927)
- Lettres inĂ©dites de Serge Karcevski au professeur Lev Chtcherba et Ă lâacadĂ©micien Ivan Mechtchaninov
- Présentation des auteurs
- Table des matiĂšres