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Ă propos de ce livre
Pierre Ier de Russie n'a pas bĂ©nĂ©ficiĂ© de l'Ă©ducation d'un prince. Autodidacte, il dĂ©veloppe trĂšs jeune une passion pour les exercices militaires et la marine. Parvenu au sommet de l'Ătat, il s'applique Ă construire une armĂ©e moderne qui est aussi le champ expĂ©rimental de ses rĂ©formes politiques, Ă©conomiques et sociales. Fondateur d'une capitale, Saint-PĂ©tersbourg, il impose son nouveau mode de vie progressiste, respectueux cependant de l'essence mĂȘme de la civilisation russe avec le dogme orthodoxe. CrĂ©ateur de la Russie moderne, Pierre Le Grand n'a cessĂ© de susciter des jugements antagonistes, en particulier durant son sĂ©jour en France.
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HistoireSous-sujet
Histoire du mondeLes LumiÚres pétroviennes
Construire Saint-PĂ©tersbourg signifiait dĂ©fier la nature. Le climat Ă©tait inhospitalier, les vents dâouest balayant sans cesse la ville. Les inondations, dues Ă la fonte des neiges, les pluies estivales ou la montĂ©e des eaux de la mer compromettaient lâavancĂ©e des travaux tout comme la conservation du site. Contrairement Ă la lĂ©gende, lâemplacement de la nouvelle capitale nâĂ©tait pas une zone dĂ©serte ; les SuĂ©dois y avaient dĂ©jĂ construit des relais et les commerçants de Novgorod avaient profitĂ© du rĂ©seau de voies fluviales qui descendaient vers le sud pour Ă©couler leurs marchandises. Relais postal de la Hanse, lâendroit Ă©tait frĂ©quentĂ© par les nĂ©gociants et colporteurs allemands.
La construction de Saint-PĂ©tersbourg, gravure du XVIIIe siĂšcle.
Pierre fonde Saint-PĂ©tersbourg, Peter the Great, Londres, Harrap, 1915.
Il fallait trouver de la main-dâĆuvre pour creuser des canaux, planter des parcs et tracer des artĂšres. La majeure partie de la ville fut Ă©difiĂ©e sur des marĂ©cages ; ils devaient ĂȘtre assĂ©chĂ©s, puis consolidĂ©s Ă lâaide de pillons. Pour la seule forteresse Saints-Pierre-et-Paul, lâarchitecte en utilisa 40 000.
Quand la place fut conquise en 1703, le tsar ordonna Ă ses soldats de commencer les travaux ; ils furent rejoints par 20 000 paysans des environs. Leur nombre sâavĂ©ra bientĂŽt insuffisant pour faire Ă©merger une ville en quelques annĂ©es. Un premier oukase de Pierre Ă©ditĂ© le 1er mars 1704 ordonna la venue de 40 000 hommes. Le nombre moyen dâouvriers employĂ©s par an sâĂ©levait Ă 30 000 personnes, auxquelles sâajoutaient les prisonniers de guerre. Le choix se fit dans la population taillable et corvĂ©able, de lâordre dâun paysan sur neuf foyers, puis un sur quatorze. Les familles qui ne fournissaient pas dâhomme furent pĂ©nalisĂ©es par un impĂŽt supplĂ©mentaire : qui ne travaillait pas payait !
Lâacheminement sur cet immense chantier se faisait sous haute surveillance ; le cas Ă©chĂ©ant, les ouvriers furent enchaĂźnĂ©s. PrĂšs de la moitiĂ© des hommes sĂ©lectionnĂ©s Ă©chappait cependant Ă cette obligation ; le dysfonctionnement de lâadministration, les erreurs de recensement et les problĂšmes liĂ©s aux distances leur permettaient de fuir. Les Ă©pidĂ©mies et les dĂ©cĂšs par accident firent le reste. Ils devaient se munir dâoutils de charpente, de pelles et de pioches, voire sâoccuper de leurs vivres pour la route. Lâorganisation des tĂąches relevait de la discipline militaire, mais sur place personne ne songea Ă un approvisionnement adĂ©quat ou Ă des instruments indispensables pour creuser la roche. Les serfs transportaient la terre Ă dos dâhomme, les brouettes faisant dĂ©faut. Les travaux eurent lieu dâavril Ă octobre, selon un roulement de trois mois. Chacun recevait un rouble par mois, la ration de grain et de blĂ© y Ă©tant incluse.
Les logements de fortune (des baraquements ou des abris sous terre) furent construits Ă la hĂąte. Un problĂšme majeur Ă©mergea peu aprĂšs le transfert de la capitale Ă PĂ©tersbourg. En 1716, les prix de la consommation courante Ă©taient trois fois plus hauts quâĂ Moscou ; lâouvrier ne pouvait pas sâalimenter correctement, sâil ne recevait pas de lâaide de ses proches. Plus il venait de loin, plus il avait faim. Est-ce que la construction de la ville se fit au
Pierre explique ses desseins Ă ses architectes et Ă ses ouvriers.
HĂ©liogravure du XIXe siĂšcle.
Pierre Ă©tudiant les plans de Saint-PĂ©tersbourg, gravure sur acier du XIXe siĂšcle.
Pierre sur le chantier de Saint-PĂ©tersbourg
Ăpisodes de lâhistoire de Russie ; miniatures des annĂ©es 1960, collections Liebig.
prix de 200 000 morts comme lâĂ©crivit le diplomate Weber, un homme plutĂŽt favorable Ă Pierre le Grand ? Selon dâautres sources, les pertes annuelles sâĂ©levaient Ă deux tiers des effectifs (donc Ă environ 20 000 personnes) ; les estimations les plus rĂ©alistes donnent 150 000 victimes. Le consul de France, Henri La Vie, accusait la mauvaise conduite des responsables du chantier et surtout la friponnerie des intermĂ©diaires chargĂ©s du ravitaillement. Ils volaient des denrĂ©es pour les revendre Ă prix fort. La maltraitance ne fut pas la cause majeure de cette mortalitĂ©. La concentration des hommes favorisa les Ă©pidĂ©mies. Les carences alimentaires provoquaient du scorbut et de la dysenterie ; lâĂ©puisement et lâinsalubritĂ© des lieux firent le reste. Le tsar nâavait pas prĂ©vu de cimetiĂšre. Les morts furent jetĂ©s dans la Neva ou enterrĂ©s dans des tombes de fortune.
Les artisans qualifiĂ©s, soit 4 720 personnes en 1710, bĂ©nĂ©ficiaient dâun traitement de faveur. Ils venaient avec leurs familles et constituaient ainsi la premiĂšre population de Saint-PĂ©tersbourg. Ils avaient droit Ă six hectares, maison et terrain compris. Ils Ă©taient mieux rĂ©munĂ©rĂ©s que les paysans.
à partir de 1718, le systÚme de travail forcé fut petit à petit aboli, car la capitale commençait à attirer entrepreneurs et travailleurs saisonniers.
Des soldats, libĂ©rĂ©s du service militaire, travaillaient sur les chantiers ou dans le bĂątiment. Lâembauche dâĂ©trangers Ă©tait une pratique courante et les manifestes Ă leur attention se succĂ©dĂšrent. Ils Ă©taient mieux payĂ©s que les autochtones, soit 150 roubles par an. Les maĂźtres artisans touchaient 400 Ă 500 roubles, contre 24 roubles plus un lopin de terre rĂ©servĂ©s Ă un Russe qualifiĂ©. Ces disparitĂ©s reflĂ©taient bien les rĂ©alitĂ©s de la ville.
Pierre dĂ©cida de creuser un quadrillage de canaux rectilignes dans lâĂźle Vassilevski permettant aux navires de commerce et aux barques de maraĂźchers ou de pĂȘcheurs de dĂ©charger. Comme Ă Venise, ils assuraient le transport des hommes. Le centre de la capitale devait prendre place sur lâĂźle. Les dignitaires avaient ordre dây construire leurs palais. Menchikov sâexĂ©cuta et fit Ă©difier son « Oranienbaum » de style batave. Un bĂątiment gouvernemental, les « Douze-CollĂšges », construit par le Suisse Domenico Trezzini, hĂ©bergeait tous les services administratifs ; le mĂȘme architecte bĂątit la maison de Pierre, situĂ©e de lâautre cĂŽtĂ© de la Neva. Il Ă©difia lâĂ©glise de la forteresse Saints-Pierre-et-Paul avec sa flĂšche dorĂ©e qui domine la ville. Sur la rive mĂ©ridionale de la Neva, une « Nouvelle Hollande » devait prendre place au long des canaux de la MoĂŻka et de la Fontanka.
Dans son enthousiasme, Pierre avait oubliĂ© de faire construire des ponts qui permettaient de circuler des deux cĂŽtĂ©s du fleuve sans avoir recours Ă des bateaux. QuâĂ cela ne tienne ! Il dĂ©cida de dĂ©placer le centre administratif sur terre ferme. Lâancien faubourg « industriel » devint le quartier rĂ©sidentiel de la nouvelle capitale ; Pierre reporta le projet hollandais en faveur dâun modĂšle plus prestigieux : Versailles ! Pour ce faire, il lui fallait un architecte français ; il demanda ainsi Ă Le Blond de concevoir un plan radial, un trident avec trois avenues ou perspectives qui devaient converger vers lâAmirautĂ©, le symbole de la conquĂȘte des mers par le grand souverain. LâartĂšre principale ralliait cet
Carte de la NĂ©va, avec les premiĂšres rues de la capitale, gravure, vers 1715.
Ă©difice Ă©rigĂ© Ă la gloire de la flotte russe au monastĂšre dĂ©diĂ© Ă Alexandre Nevski, le vainqueur des SuĂ©dois au XIIIe siĂšcle. Les plans originaux de cette laure furent tracĂ©s par Trezzini sous lâĆil vigilant de Pierre, le maĂźtre dâĆuvre dâune rĂ©volution architecturale en son pays.
Le tsar dĂ©cida du peuplement de sa ville ; la noblesse administrative fut sollicitĂ©e de dĂ©mĂ©nager la premiĂšre. Les rĂ©sidences des hauts fonctionnaires et dignitaires furent construites selon un rĂšglement trĂšs strict qui prescrivait dimensions, style et matĂ©riaux. Lâemploi de la brique Ă©tait obligatoire pour empĂȘcher les incendies. Suivant la fortune du propriĂ©taire, sa demeure avait un ou deux Ă©tages. Lâemplacement des maisons suivait la mĂȘme logique ; les nobles et trĂšs hauts fonctionnaires se regroupaient autour du centre administratif ; les artisans sâinstallĂšrent dans un quartier plus Ă©loignĂ© dont chaque rue dĂ©signait une spĂ©cialitĂ©. Pour garantir la rapide rĂ©alisation de la ville, la construction de maisons de brique ou de pierre fut interdite dans les autres parties de lâempire. Charpentiers, maçons et tailleurs de pierre affluĂšrent ainsi vers la nouvelle capitale pour trouver du travail.
Plan de Saint-Pétersbourg vers 1730, gravé par Reiner Ottens.
Le rythme de construction se devine Ă partir des chiffres suivants : en 1703, Pierre ordonna lâĂ©dification de 12 maisons rĂ©sidentielles rĂ©servĂ©es aux dignitaires de lâĂtat, en 1717, il en fit bĂątir 301. Avant le transfert de la capitale en 1712, la ville comptait 750 Ă 800 foyers, Ă la mort de Pierre, il y en avait 6 000. En 1725, la ville comptait 40 000 habitants. Les militaires formaient en moyenne 40 % des foyers, suivis de la noblesse (de 2 Ă 20 % selon les quartiers), puis des petits fonctionnaires, artisans, commerçants, ouvriers (plus de 40 %), souvent des serfs affranchis. Le reste de la population Ă©tait formĂ© dâanciens serfs, devenus par exemple domestiques, ou qui sâĂ©taient affranchis grĂące au mĂ©rite. Quand un seigneur libĂ©rait son paysan pour lâenvoyer Ă PĂ©tersbourg, il Ă©tait exemptĂ© de fournir une re...
Table des matiĂšres
- Couverture
- 4e de couverture
- Copyright
- Titre
- Sommaire
- Introduction
- Lâhomme
- Tsar Ă dix ans
- PremiÚres démarches politiques
- Croyant, mais anticlérical
- La victoire qui changea tout
- Péripéties diplomatiques
- LâĆuvre rĂ©formatrice dâun empereur autoproclamĂ©
- Sâen prendre Ă la sociĂ©tĂ©
- Les LumiÚres pétroviennes
- Conclusion
- Chronologie du rĂšgne de Pierre le Grand
- Bibliographie sélective