Les avatars du christianisme en bandes dessinées

Les nouvelles aventures du religieux des "bons pères" franco-belges aux quêteurs de sens des années 2000

Nouailhat René

• Éditeur: EME Editions
• Année: 2014
• ISBN:
  9782806628930
• Sujet: Sciences sociales
• Sous-sujet: Sociologie

La bande dessinée confessionnelle franco-belge est issue de la pastorale de la jeunesse des années 1930-40. Elle a donné ses codes à l'illustration de l'univers symbolique religieux. Les hebdomadaires Spirou et Tintin sont nés dans ce contexte. Les récits catho-laïques des années 50 en ont prolongé les modèles. Les productions qui ont fait événement dans les décennies traduisent les transgressions et les ruptures qui ont bouleversé le rapport au religieux dans les années 1960-90...

1ère partie

MODÈLES, IDEAUX-TYPES
ET IMPRÉGNATIONS

ANNÉES 1930-60

Dans les premières décennies du XXe siècle, les oppositions frontales qui divisaient en France le camp républicain laïque d’inspiration socialiste et le monde catholique conservateur, fidèle à l’Ancien Régime, ont abouti à une véritable « guerre des deux France »26. Ces oppositions se répercutaient dans tous les domaines de la vie ; les caricatures de l’époque le disent sans détour avec une imagerie qui restera longtemps récurrente pour fustiger d’un côté l’obscurantisme et la tyrannie réactionnaire des curés représentés en corbeaux prédateurs, ou de l’autre l’agressivité furieuse des laïques socialistes, juifs ou francs-maçons, diabolisés en suppôts de Satan27. Les histoires dessinées se sont développées dans ce contexte. La Belgique, beaucoup plus massivement catholique, a joué un rôle pionnier dans la constitution d’une BD chrétienne très vite largement diffusée dans les milieux catholiques français.

Nous évoquerons successivement ces deux mondes laïques et cléricaux pour cerner la genèse et les premiers développements des illustrés d’inspiration chrétienne. Si opposés s’affirmaient-ils, les interférences furent nombreuses et même constitutives du genre catho-laïque des décennies ultérieures. Celui-ci restera même le référentiel structurant des récits sécularisés du milieu du siècle dernier dans les deux principaux illustrés issus du monde catholique belge, Spirou et Tintin.

1. Presse laïque et « presse catho » au début de XXe siècle

1. 1. Une littérature de divertissement chargée d’idéologie

Des histoires illustrées pour faire rire ou pour faire rêver

Dans le monde laïque28, les « illustrés », selon la dénomination de l’époque, s’étaient multipliés en France comme en Belgique au début du XXe siècle. Ces publications se développaient sous l’influence conjuguée du roman populaire, de l’humour graphique des caricaturistes et de l’imagerie imprimée du type des célèbres images d’Epinal.

Ces productions échappaient à l’emprise ecclésiastique ; elles ne donnaient qu’exceptionnellement dans le registre religieux. On le voit avec les premiers maîtres du genre, aux débuts de la Bande Dessinée au sens actuel (bien que non encore formulé) du terme : la « littérature en estampes » du Suisse Rodolphe Töpffer, qu’admira Goethe (Les aventures de Monsieur Vieux-Bois datent de 1827 ; premier album en 1833 ; Töpffer dessinera jusqu’en ١٨٤٥)29, les dessins de l’Alsacien Gustave Doré (Des agréments d’un voyage d’agrément, 185130), de l’Allemand Wilhelm Busch (Max und Moritz, dans les années 1860), ceux de Caran d’Ache (son Épopée napoléonienne, 1885), les personnages de Christophe (La Famille Fenouillard, 1889, puis Les Facéties du Sapeur Camembert, Les Mésaventures du savant Cosinus, Les Malices de Plick et Plock) et les animaux de Benjamin Rabier31.

Nous avons là une galerie de portraits devenus extraordinairement populaires grâce au merveilleux talent de leurs auteurs, dont les inventions graphiques toujours très claires réussissaient très bien à faire rire ou à émouvoir à partir de poncifs, de situations banales ou de références communément partagées : histoires du quotidien ou de l’épopée nationale, avec des textes souvent assez abondants sous des images minutieusement composées.

Les illustrés du début du siècle qui exposaient ces créations graphiques et narratives originales leur donnèrent leur notoriété. Les truands y avaient la part belle avec La bande des Pieds-Nickelés de Louis Forton ; Croquignol, Ribouldingue et Filochard apparaissent dans L’Épatant en 1908 ; les aventures de ces trois lascars si débrouillards eurent tout de suite un immense succès. Forton est aussi l’auteur des astuces de Bibi Fricotin (1924). Il y avait aussi les espiègleries de Lili, par Jo Valle et André Vallet (dans Fillette, en 1909), ou les plus sages histoires de La Semaine de Suzette qui publia à partir de ١٩٠٥ les mésaventures de Bécassine, imaginées par Maurice Languereau (alias Caumery) et dessinées par Joseph-Porphyre Pinchon.32 On pourrait citer aussi Job, Gerbault, Omry, et bien d’autres.

Les premières signatures de grande renommée furent en France Alain Saint-Ogan et en Belgique Hergé. Le premier connut un succès foudroyant avec les voyages de Zig et Puce, deux gars débrouillards qui apparurent en mai 1925, dans Le Dimanche illustré. Le succès sera renforcé par la présence du pingouin Alfred quelques temps plus tard. Pour le second, Tintin et Milou débutèrent en 1929, et acquirent rapidement une grande notoriété. L’œuvre d’Hergé était issue d’un autre milieu culturel, très « catho », sur lequel nous reviendrons. Tous deux se situent dans la tradition de la narration graphique des Töpffer, Busch, Caran d’Ache, Christophe et Rabier, Forton et Pinchon, au dessin très simple et de belle lisibilité.

La bande dessinée, qui s’appelait alors comics, développait trois genres principaux : le comique, le conte et l’aventure. Le comique reste proche de la farce théâtrale ; il était au départ influencé par le burlesque cinématographique, genre Charlot ou Laurel et Hardy. Quelques cases suffisaient pour présenter un gag. C’est la force du genre : trois images en deux coups de crayon faisaient un comic strip. La BD humoristique reste le plus souvent faite de séquences d’une bande ou d’une page. Le conte, c’est la reprise illustrée des thèmes traditionnels de la société d’Ancien Régime, avec ses rois, ses princesses, ses vaillants guerriers et toutes les forces du Mal (traîtres, sorcières, monstres, etc.) ; les récits étaient surtout influencés par les légendes germano-celtiques ou flamandes, type Till Eulenspiegel ; l’histoire se développe en ce cas sur plusieurs pages, voire en plusieurs épisodes. L’aventure, c’est l’héritage des romans-feuilletons, avec ses ingrédients d’exotisme, de science-fiction et de mystère, avec des rebondissements qui peuvent être interminables. Quant aux héros, ils peuvent être des enfants ou des adultes, solitaires ou associés, selon que le récit met en valeur la singularité du modèle, le héros, ou la force du groupe, la famille ou la petite équipe.

Pour traiter du religieux, la bande dessinée n’inventera pas de nouveaux genres graphico-littéraires, elle s’inscrira dans ces genres établis, des courtes bandes drolatiques de quelques images avec l’ange Séraphin aux plus longs récits médiévaux de chevaliers et aux aventures de boys-scouts.

Le débarquement de Mickey et la déferlante US

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Table des matières

• Préface
• INTRODUCTION
• 1ère partie MODÈLES, IDEAUX-TYPESET IMPRÉGNATIONSANNÉES 1930-60
• 2e partie RUPTURES ET TRANSGRESSIONSANNÉES 1960-90
• 3e partie LA RELIGION EN QUESTIONSDANS LES ANNÉES 2000
• CONCLUSION
• Principales BD citées :
• Bibliographie
• Remerciements
• Dans la collection « Divin & Sacré » :