Les émotions argumentées dans les médias

Raphaël Micheli, Ida Hekmat, Alain Rabatel

• Éditeur: EME Editions
• Année: 2013
• ISBN:
  9782806601421
• Sujet: Sozialwissenschaften
• Sous-sujet: Medienwissenschaften

L'émotion argumentée autour des identités dans les genres médiatiques, Ida Hekmat, Raphaël Micheli & Alain Rabatel / Argumentations de la colère face aux "caricatures de Mahomet" et constructions identitaires, Ida Hekmat / Expression et gestion des émotions dans les talk-shows télévisés de type conflflictuel. Le cas de Tout le monde en parle et On n'est pas couché, Alina Oprea / L'émotionalité au service de l'argumentation sur le répondeur de l'émission Là-bas, si j'y suis, Heike Baldauf-Quilliatre...

Expression et gestion des émotions dans les talk-shows télévisés de type conflictuel. Le cas de Tout le monde en parle et On n’est pas couché

Alina Oprea1
Université Babeş-Bolyai, Cluj-Napoca
Université Lumière Lyon 2

1. Introduction

1.1 Objectif de la recherche

Aborder la question des émotions dans le cadre des interactions verbales revient à s’attaquer à une question « fuyante » dans le sens où « les émotions sont à la fois dans le langage partout, et nulle part » (Kerbrat-Orecchioni 2000 : 57). Aborder la question des émotions dans les polémiques télévisées semble d’autant plus délicat car l’on entre dans un cadre profondément ancré dans le pathos, dans tous les sens du terme.

Notre objectif dans le présent article est d’offrir quelques éclairages sur le fonctionnement de la dimension pathémique articulée, d’un côté, avec la dimension argumentative du discours, et, de l’autre côté, avec le système de la politesse2. Notre démarche est ici double : il s’agit, dans un premier temps, de repérer et de décrire le fonctionnement des arguments dits « émotionnels » ou « émotifs » (cf. Walton 1992) dans trois échanges particuliers, à savoir des séquences de polémiques extraites de talk-shows télévisés. Il s’agit, dans un deuxième temps, d’explorer la relation entre certains arguments émotifs et l’impolitesse, de cerner le rôle de ces derniers dans la démarche de dévalorisation de l’adversaire.

1.2 Quelques considérations théoriques

1.2.1 Arguments émotifs

Avant d’entrer dans le vif du sujet, quelques précisions d’ordre théorique s’imposent. Pour une étude des arguments émotifs dans la perspective de l’analyse du discours, nous nous sommes appuyée en particulier sur le courant théorique anglophone portant sur la place des affects dans l’argumentation, notamment sur les ouvrages de Walton qui, dans The Place of Emotion in Argument, traite la question de la légitimité des arguments dictés par l’émotion. L’auteur met l’accent sur quatre types d’arguments émotifs : la menace (ad baculum), l’attaque personnelle (ad personam), l’appel à la miséricorde (ad misericordiam), et l’argument démagogique (ad populum), affirmant que ceux-ci sont habituellement considérés comme non raisonnables (ou fallacieux) et peuvent bloquer ou faire dévier la discussion raisonnée. Cependant, ajoute Walton, ils peuvent être acceptés en tant qu’arguments raisonnables lorsqu’ils contribuent aux fins du dialogue dans lequel les participants sont engagés ; en outre, Walton argue que les émotions peuvent même accroître la force de l’argumentation. En fin de compte, les arguments émotifs ne seraient pas fallacieux en eux-mêmes, leur pertinence et leur tolérance dépendant essentiellement de l’usage que les locuteurs en font.

1.2.2 Impolitesse et violence verbale

Pour le cadre théorique de la politesse et de l’impolitesse nous avons adopté le modèle le plus connu, celui proposé par Brown & Levinson (1987), qui repose sur la notion de « face » et sur le fait que la majorité des actes de langage sont potentiellement « menaçants » pour la face de l’autre (comme, d’ailleurs, pour le locuteur lui-même). Dans cette optique, la politesse est un face-work, un travail qui consiste tantôt à adoucir, à atténuer les FTAs (Face Threatenig Acts), tantôt à formuler des FFAs (Face Flattering Acts3).

L’impolitesse suppose alors l’évitement de ce face-work et/ou l’absence d’un ou plusieurs marqueurs de la politesse (adoucisseurs ou FFAs). Dans le cadre des échanges à caractère hautement confrontationnel (tel le cas des extraits que nous soumettons ici à l’analyse), la question de la politesse se pose moins, certaines formes d’impolitesse et de violence verbale étant tolérées dans un tel contexte. En effet, les normes du genre permettent aux protagonistes d’aller au-delà de la parole polie, policée, au-delà de l’argumentation logique et raisonnable, et de se livrer à des pratiques discursives habituellement estimées illégitimes. Ainsi, dans notre corpus, de nombreux arguments émotifs sont proférés sous la forme de critiques virulentes, attaques personnelles, accusations, autant d’actes qui, du point de vue des théories de l’argumentation, sont renvoyés dans la catégorie des ad hominem et qui sont jugés comme impolis. Par ailleurs, certains auteurs (Herman 2010) ont mis en évidence le fait que toute tentative de dévalorisation de la face d’autrui est un acte émotionnel et non rationnel.

Une notion connexe à l’impolitesse est ...

Table des matières

• L’émotion argumentée autour des identités dans les genres médiatiques
• Argumentations de la colère face aux « caricatures de Mahomet » et constructions identitaires
• Expression et gestion des émotions dans les talk-shows télévisés de type conflictuel. Le cas de Tout le monde en parle et On n’est pas couché
• L’émotionalité au service de l’argumentation sur le répondeur de l’émission Là-bas, si j’y suis1
• À propos d’une émotion, ‘l’indignation’, et de son argumentation : un regard sur la polémique Hessel
• La construction discursive de la tension émotionnelledans l’argumentation entre les Lucides et les Solidaires
• Le repentir public comme mode de gestion de crise. Quelques stratégies d’atténuation de l’offense et de la responsabilité de l’offenseur1.
• Empathie et émotions argumentées en discours
• Les noms de peur dans la presse (titres et dossiers)
• Stupéfier et jalouser dans les séquences textuelles journalistiques : quel profil discursif pour quelle stratégie argumentative ?