Trouver sa place dans le champ littéraire
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Trouver sa place dans le champ littéraire

Paratopie et création

  1. 188 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Trouver sa place dans le champ littéraire

Paratopie et création

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À propos de ce livre

Devenir un (grand) écrivain, c'est savoir trouver sa place dans le champ littéraire, se façonner une identité énonciative, à la fois condition et produit d'une œuvre. Ce qui revient à élaborer une paratopie personnelle, produire une figure singulière de l'impossible appartenance de l'écrivain à la société. Bien peu y parviennent. Ce livre met à l'épreuve ce concept de paratopie en comparant les carrières de deux poètes de la fin du XIXe siècle: José Maria de Heredia et Emile du Tiers.

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Informations

Éditeur
Academia
Année
2016
ISBN
9782806120748



III
Émile du Tiers

Chapitre 1 : Dédicaces

Nous avons abordé l’œuvre de Heredia en analysant le poème qui ouvre Les Trophées. Cela nous a permis ensuite de rapporter ce recueil à la paratopie spécifique qui l’a rendue possible, une paratopie que nous avons mise à l’épreuve de deux autres sonnets. Un tel mode de présentation est approprié pour un écrivain comme Heredia qui, édifiant un monument, propose aux critiques une œuvre conforme aux présupposés dominants depuis le début du XIXe siècle en matière d’esthétique : compacte, organique, associée à une « vision du monde » singulière, une véritable « création ». Cette harmonie entre la forme que dessine une œuvre et les normes partagées par les producteurs et les critiques offre sans nul doute un matériau privilégié à l’analyste ; mais statistiquement il s’agit d’un phénomène rare : la plupart des écrivains produisent bien une œuvre, au sens d’un ensemble de textes qu’on peut unifier autour de leur nom, mais cet ensemble ne dessine pas une forme consistante, il ne se présente pas comme une « œuvre », qu’on pourrait d’une manière ou d’une autre unifier autour d’une paratopie, associée à une « vision du monde » et un « style » identifiable. C’est un privilège réservé à une minorité.
Émile du Tiers appartient à la foule de ceux qui n’ont pas accédé à ce privilège, bien que sa période créatrice ne dure que quelques années et qu’il n’ait publié que des poésies. On se trouve confronté à un ensemble de textes qu’on peut très difficilement rapporter à une élaboration paratopique et un positionnement consistants. Plutôt qu’à une trajectoire qui semble régie par une téléologie obscure, où l’écrivain apparaît comme quelqu’un qui sait tourner heureusement les circonstances au profit de la cohérence de son œuvre, on observe chez lui une série de déplacements qui apparaissent comme des réactions aux possibilités et aux impossibilités qu’offre l’environnement immédiat. Cette incapacité à « faire œuvre », qui voue Du Tiers à rester dans les marges, n’est pas seulement affaire de psychologie ou de talent individuel, elle résulte pour une bonne part d’un certain nombre d’obstacles objectifs, qui n’auraient été surmontables qu’au prix d’efforts considérables : en particulier sa santé précaire, une entrée tardive en littérature et l’éloignement de Paris.
Ne pouvant aborder efficacement sa production en étudiant un poème susceptible de donner accès au cœur d’une œuvre, nous avons décidé d’observer les mouvements par lesquels il s’efforce de se faire reconnaître dans le champ. Précisément parce qu’ils ne se laissent pas intégrer dans un parcours continu, une « carrière » dont les historiens de la littérature pourraient retracer les étapes signifiantes.
Ses publications s’étalent sur une période relativement courte, huit années seulement, de 1889 à 1896, alors que celles de Heredia couvrent plus de quarante ans. Elles sont groupées dans six recueils publiés à Niort, le premier paraissant en 1890 et le dernier en 1896. Quand il entre en littérature, Du Tiers, rappelons-le, n’a pas le profil type du postulant : ce n’est pas un jeune provincial monté à Paris plein d’ambition, mais un homme de 41 ans atteint d’une maladie incurable et qui demeure en province. Ce que son biographe commente ainsi : « c’est lorsque la vie active, la vie tumultueuse se fermait devant lui, qu’il vint à la poésie comme à la meilleure, à la plus douce consolatrice des misères humaines » (Renaud s.d. : 15). Son entrée en poésie s’appuie néanmoins sur un capital culturel fort. La formation classique reçue dans l’enseignement secondaire lui a donné l’envie de préparer l’École Normale Supérieure (« non pour le professorat », précise Renaud), mais la pression familiale l’a contraint à étudier le Droit à Poitiers, ce qui ne l’a pas empêché de préparer en même temps une licence de lettres. Il est difficile de dire si la maladie a été pour lui l’opportunité de suivre tardivement une carrière littéraire qu’il n’avait pas eu la force d’assumer dans sa jeunesse, ou si ce ne fut qu’un pis-aller, le moyen de supporter son éviction de la vie active. Néanmoins, il semble qu’il n’ait pas réussi à coïncider pleinement avec cet héritage que la pression familiale l’avait incité à recevoir, comme l’atteste son souci de faire des études de lettres parallèlement à celles de Droit, le fait qu’il soit encore célibataire à quarante ans, alors même que, n’ayant qu’une sœur, les espoirs de perpétuation de sa lignée reposent sur lui. La rapidité avec laquelle il abandonne la vie professionnelle va dans le même sens. On voit ici apparaître ce qui est une des constantes de son attitude pendant sa courte carrière littéraire : la difficulté à trancher. Mais sa fortune personnelle le dispense d’appartenir à cette « population très importante de jeunes gens sans fortune, issus des classes moyennes ou populaires de la capitale et surtout de la province, qui viennent à Paris tenter des carrières d’écrivain ou d’artiste » (Bourdieu 1992 : 95). Ce qui n’est pas nécessairement un avantage dans un univers où la marginalité sociale fonctionne souvent comme signe d’élection pour le postulant à la notoriété artistique.
Au début, pour un homme qui n’est plus jeune, qui est loin de la vie littéraire parisienne et n’a pas une perception claire de la géographie du champ, l’urgence n’est aucunement de se positionner mais de publier pour être reconnu, au moins par son entourage, comme poète légitime. Il commence au niveau le plus bas du cursus honorum. À Niort vient d’être lancée1 une nouvelle revue, Niort-Artiste, vendue 20 centimes, qui se présente comme une « revue artistique, musicale et littéraire ». Comme la plupart de ses consœurs, son existence sera éphémère : même pas une année. Le postulant se présente aux bureaux de la revue et propose une première poésie, intitulée « Rêverie », qui va paraître dans le numéro 3 sous la signature de « Nihil ». En voici la première strophe :
L’heure est bien mal choisie
Pour écrire des vers ;
Elle a peur des hivers,
La poésie.
Et la dernière :
Rêver, c’est le ciel même,
Où l’on entre un moment
Pour dire simplement
Ce seul mot : j’aime !
On ne peut pas dire que ce type de poésie n’est pas identifiable. Un spécialiste n’aurait pas grand mal à la rattacher au lyrisme romantique, et même à la version qu’en a proposée Alfred de Musset. En cultivant ainsi en 1889 un type de poésie que rejettent depuis longtemps les courants alors dominants, Du Tiers montre qu’il est étranger aux conflits qui structurent alors le champ littéraire ; il se conforme à l’image de la poésie qui prévaut alors dans l’opinion, pour qui le lyrisme romantique constitue en quelque sorte le standard. C’est d’ailleurs ce qui vaut à Musset le privilège d’être l’auteur le plus violemment dénoncé par Rimbaud dans sa célèbre « Lettre du voyant ».
Musset est quatorze fois exécrable pour nous, générations douloureuses et prises de visions, – que sa paresse d’ange a insultées ! Ô ! les contes et les proverbes fadasses ! Ô les nuits ! Ô Rolla, Ô Namouna, Ô la Coupe ! Tout est français, c’est-à-dire haïssable au suprême degré ; français, pas parisien ! Encore une œuvre de cet odieux génie qui a inspiré Rabelais, Voltaire, Jean La Fontaine, ! commenté par M. Taine ! Printanier, l’esprit de Musset ! Charmant, son amour ! En voilà, de la peinture à l’émail, de la poésie solide ! On savourera longtemps la poésie française, mais en France. Tout garçon épicier est en mesure de débobiner une apostrophe Rollaque, tout séminariste en porte les cinq cents rimes dans le secret d’un carnet (Lettre à Paul Demeny, 15 mai 1871, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de La Pléiade », 1954, p. 272)
Le choix du pseudonyme que s’est donné Du Tiers est révélateur : « Nihil », c’est-à-dire « Rien », un Rien qui est à la mesure d’un premier poème comme il s’en fait en masse à l’époque, dont n’émergent pas des traits saillants qui permettraient de l’affilier à quelque région active du champ discursif. Mais un « Rien » qui est aussi une forme de captatio benevolentiae : l’ethos humble affiché par celui qui dit n’être Rien peut être lu comme la dénégation d’une ambition.
Quelques mois plus tard, dans le numéro du 13 avril 1890, Du Tiers réapparaît sous le pseudonyme d’« O. Give », au bas d’un sonnet intitulé « Les comètes ». Le même numéro contient un autre sonnet de lui (« Les pêcheurs à la ligne »), signé du pseudonyme antérieur : « Nihil ». Le fait d’user d’un nouveau pseudonyme, par ailleurs ostensiblement désinvolte, semble symptomatique d’un engagement encore hésitant. Du Tiers ne se pose pas encore vraiment en auteur. Le recours à deux pseudonymes lui permet d’avoir deux fers au feu, de présenter un poème qui se place dans la continuité du poème précédent signé « Nihil », mais aussi un sonnet, dont la forme et la thématique se rapprochent du Parnasse : l’humour qu’implique le nom « O. Give » ne doit pas faire oublier la référence toute parnassienne à l’architecture.
Pourtant, quelques années après la mort du poète, dans le volume commémoratif qui lui est dédié en 1898, son ami et biographe H. Clouzot interprète le pseudonyme « O. Give » comme résultant de la volonté de « mettre une barrière entre ses mois d’apprentissage et la voie nouvelle où il voulait entrer » (Le Mercure poitevin, s.d. : 291). Clouzot voit en outre dans ces « Comètes » le premier sonnet de Du Tiers : « son premier essai dans cette forme qu’il devait particulièrement adopter et qui convenait si bien à sa recherche de la perfection » (ibid.). Enfin, il situe en mai la parution de « Comètes » (« six mois suffirent pour dégager les ailes du poète de l’enveloppe de la chrysalide, et aux premiers jours de mai paraissait le sonnet des Comètes… » (ibid.)). On a ici un bon exemple de reconstruction des faits, dans le but de les rendre conformes au canon d’une carrière d’écrivain prototypique, de dessiner la trajectoire d’une œuvre véritable. Ce qui est la moindre des choses quand on élabore un volume commémoratif. En réalité, on l’a vu, Du Tiers continue à utiliser le pseudonyme « Nihil », et le sonnet « Les comètes » figure dans le même numéro du 13 avril qu’un autre sonnet de lui intitulé « Les pêcheurs à la ligne ». Le critique hagiographe cherche à effacer l’idée que le poète tâtonne, qu’il suit en parallèle diverses orientations.
Par ses « erreurs », certainement involontaires, Clouzot peut réduire des données confuses à un schéma exemplaire, disponible dans la cu...

Table des matières

  1. Couverture
  2. 4e de couverture
  3. Au cœur des textes
  4. Titre
  5. Copyright
  6. Introduction
  7. I – Discours littéraire et paratopie
  8. II – José-Maria de Heredia
  9. III – Émile du Tiers
  10. IV – Trouver sa place
  11. Conclusion
  12. Références bibliographiques
  13. Table des matières