Chapitre III
Les chemises bleues
L’avènement au pouvoir d’Hitler en janvier 1933 constitue un point tournant dans la carrière d’Adrien Arcand. En 1933, l’idéologie fasciste est bien accueillie par les milieux conservateurs européens car elle représente, aux yeux de plusieurs, la meilleure riposte contre le communisme. Or, les idées d’extrême droite se répandent comme une traînée de poudre partout en Europe. Après l’Italie avec Mussolini dans les années 1920, elles conquièrent l’Espagne avec Franco, le Portugal avec Salazar puis, bien sûr, l’Allemagne avec Hitler. Elles gagnent même des pays aux fortes traditions démocratiques comme la France, la Belgique et l’Angleterre. Le nazisme allemand a deux armes qui lui confèrent un net avantage sur les autres fascismes d’Europe : le charisme d’Hitler et une machine de propagande redoutable. Les nazis utilisent des outils de communication spectaculaires pour véhiculer leurs idéologies. Les journaux du parti, les retraites aux flambeaux, les défilés paramilitaires et les discours enflammés d’Adolf Hitler sont autant de moyens utilisés pour stigmatiser l’opinion publique. Adolf Hitler a aussi un atout de taille dans son jeu. Il peut compter sur l’appui indéfectible de vastes couches de la population allemande.
Dès la reconstitution du Parti national-socialiste allemand, après la libération d’Hitler en 1924[], le führer utilise des moyens légaux pour prendre le pouvoir et s’y maintenir, notamment en imposant sa doctrine, le nazisme, comme une « religion » d’État dont les principes sont évoqués dans son livre, Mein Kampf (Mon combat), qu’il rédige durant ses premières années de détention. Ce livre devient en quelque sorte la Bible du nazisme. Mein Kampf bat de loin le record de tous les tirages de livres imprimés en Allemagne. Il faut dire que son achat et sa lecture sont obligatoires dans le IIIe Reich. Il est la base du catéchisme civique enseigné de l’école primaire à l’université, dans tous les établissements d’instruction publique en Allemagne, pendant douze années. L’idéologie hitlérienne veut que les lois que la nature dicte au règne animal s’appliquent également aux humains. La nature n’aime pas les bâtards. Elle aime les races authentiques et non mélangées. Seules les espèces les plus courageuses, les mieux armées pour le combat survivent et établissent leur domination sur les autres.
Il n’en va pas autrement chez les hommes. Les races humaines sont inégales. Les meilleures sont celles dont le sang est le plus pur ; celles qui sont le plus créatrices de civilisations. De toutes les races humaines, croit Hitler, la plus éminente est celle des Aryens. Ce sont eux qui sont à l’origine de la civilisation européenne. Selon Hitler, l’Aryen a un ennemi redoutable : le Sémite, le Juif. Race faible, race inférieure, selon lui, le Juif a corrompu le monde. Dans les sociétés modernes, c’est lui qui a introduit tous les poisons que les nazis combattent : l’individualisme, le libéralisme, l’intellectualisme, le parlementarisme, le marxisme socialiste et communiste. Le devoir de l’Aryen consiste donc à pourchasser et à exterminer le Juif ; à abolir les institutions qu’il a inspirées, c’est-à-dire l’ensemble des institutions démocratiques, et à instaurer une nouvelle table des valeurs inspirées par des méthodes d’éducation viriles et martiales.
Bien sûr, la popularité de cette nouvelle idéologie dépasse les frontières du Rhin. Elle gagne tous les pays d’Europe occidentale et franchit même l’Atlantique. Au Canada, Adrien Arcand suit l’ascension d’Hitler avec grand intérêt. En mars 1932, lorsque Hitler se lance dans la course à la chancellerie en Allemagne, Arcand signe un article dans le journal Le Miroir pour encenser le führer : « Demain sera l’une des dates les plus mémorables de l’histoire contemporaine. Pour la première fois dans l’histoire moderne, un gouvernement va forcer officiellement l’exil des Juifs, écraser leur puissance et sauver le ralliement du front politique chrétien dans le monde[]. »
Les fascistes canadiens prenaient leur rôle au sérieux. On les voit ici jouer aux stratèges militaires, imitant leurs émules nazis.
Pour l’historien Pierre Trépanier, le fascisme canadien tel qu’il est professé par Adrien Arcand ne peut être assimilé au nazisme : « Il faudrait convenir que le fascisme canadien-français possédait des traits qui interdisent de l’assimiler purement et simplement au nazisme[]. » Malgré cette nuance nécessaire, on ne peut minimiser l’influence que le Parti nazi et Hitler ont pu exercer sur Arcand jusqu’à la fin des années 1930. Dans Le Miroir du 1er mai 1932, Arcand témoigne de son admiration pour Hitler : « Nous n’avons jamais caché le fait que toute notre sympathie appartient au mouvement hitlérien[]. » Dans Le Miroir du 31 juillet 1932, Adrien Arcand consacre un long éditorial à Hitler. Il explique son succès en Allemagne par sa campagne menée contre les Juifs et il invite son public à appliquer son programme au modèle canadien :
Hitler a soumis au peuple allemand un programme de désengagement qui vise à l’écrasement des forces juives, qui ont fait le malheur de son pays. Nous comprendrons nous-mêmes la justesse de son idée quand nous réaliserons comment, ici même, le commerce juif a sali nos traditions commerciales, comment le cinéma juif souille nos avenues nationales dans lesquelles il s’engage. Hitler comprend que la finance, l’industrie et le commerce allemands ne pourront être allemands et dans l’honnête tradition allemande aussi longtemps que les forces juives s’en mêleront. Cela explique les mesures énergiques de libération qu’il propose de mettre à exécution[].
Des écrits tendent à prouver que le führer et son entourage s’intéressent à Arcand. À l’automne 1932, Adrien Arcand entre en contact avec un dénommé Kurt G. W. Ludecke, un espion qui relève directement de Hitler, dont la mission consiste à recruter des collaborateurs en Amérique du Nord pour l’Allemagne nazie. Dans un livre qu’il publie à Londres en 1938, intitulé I knew Hitler, Kurt G. W. Ludecke raconte sa rencontre avec Adrien Arcand à Montréal en septembre 1932 :
We were in a happy mood when we drove to Montreal to keep an appointment with Adrien Arcand, the fiery leader of the Order Patriotique des Goglus. This was a violently anti-Jewish, in the main Catholic folkic movement which at that time was growing rapidly in French Canada, with three publications, all very demagogic and clever. I liked young Arcand at once - his vibrant, intelligent fine-featured face, his genuine fighting spirit. He was greatly pleased when I gave him an autographed photograph of Hitler. We understood each other perfectly and agreed to co-operate in every way[].
Au début des années 1930, Kurt G. W. Ludecke a été mandaté par l’Allemagne nazie pour établir des contacts en Amérique. En 1932, Ludecke a rencontré Adrien Arcand à Montréal.
En 1933, Adrien Arcand fait des démarches auprès du premier ministre canadien, Richard B. Bennett, pour solliciter une rencontre de sa part avec Kurt G. W. Ludecke. Dans une lettre adressée au premier ministre le 4 janvier 1933, Arcand écrit que Kurt G. W. Ludecke, le représentant d’Hitler à Washington, sera en visite au Canada vers la fin du mois et qu’il souhaiterait le rencontrer à Ottawa. Le 9 mai, Arcand s’adresse à nouveau à Bennett pour l’informer que Kurt G. W. Ludecke désire obtenir un entretien avec lui. Rien n’indique dans la correspondance du premier ministre Bennett que la rencontre a eu lieu. En 1934, Ludecke quitte les rangs nazis pour vivre avec son épouse américaine aux États-Unis.
C’est dans ce livre intitulé I Knew Hitler que Kurt G. W. Ludecke parle de sa rencontre avec Adrien Arcand en 1932.
Le Patriote
En mai 1933, Adrien Arcand et Joseph Ménard s’inspirent de la venue d’Hitler en Allemagne pour fonder un nouveau journal : Le Patriote. Les locaux du journal sont situés au 1725, rue Saint-Denis à Montréal. L’hebdomadaire, qui paraît le jeudi, est vendu cinq sous. La première édition est publiée le 4 mai 1933. Dans son premier édit...