L’effervescence du XIXe siècle
Bien que lents à vraiment s’établir au XVIIIe siècle, les liens des habitants des Éboulements avec le monde de la navigation se sont développés de façon remarquable au siècle suivant. À partir de 1810, c’est pratiquement tous les printemps que de nouveaux bateaux furent lancés des grèves de la seigneurie. En tout, on en a construit 117 entre 1810 et 1897, soit 108 goélettes, 6 brigantins, 2 bricks et 1 sloop. Pour chacune des années 1837, 1855, 1874 et 1875, il y a eu pas moins de 5 nouveaux lancements. En 1855, ce sont 5 goélettes de plus de 80 tonneaux, dont deux de plus de 100 tonneaux, qui furent enregistrées au port de Québec par des propriétaires des Éboulements.
Parmi les goélettes, 64 jaugeaient moins de 59 tonneaux et 44 jaugeaient 60 tonneaux et plus. Ces dimensions n’étaient pas particulières aux Éboulements. Ailleurs dans Charlevoix, et ailleurs sur les rives du Saint-Laurent, on lançait des goélettes de jauge comparable. Les quelques brigantins étaient toutefois plus petits que ceux lancés ailleurs, à l’exception de l’Alexina. Nous y reviendrons.
Les goélettes, et sans doute aussi les petits brigantins, étaient essentiellement destinés au cabotage sur le Saint-Laurent, y compris dans le Golfe, voire sur les bords de l’Atlantique. C’est à Québec, dans de grands chantiers maritimes, que l’on construisait les navires destinés à la navigation au long cours, trois mâts carrés et barques, dont un très grand nombre allaient être vendus à l’extérieur du pays, le plus souvent en Angleterre.
En parcourant la liste des premiers propriétaires des bateaux construits aux Éboulements au XIXe siècle, on note que près d’une centaine d’entre eux habitaient dans le village. Comme il n’existait pas de grands chantiers permanents, il y eut en effet peu de constructions commandées par des personnes de l’extérieur, navigateurs d’autres villages du comté et d’ailleurs, ou par des marchands ou armateurs de Québec.
La grande majorité des propriétaires de goélettes des Éboulements étaient des navigateurs et plusieurs d’entre eux construisirent eux-mêmes ou firent construire plus d’une goélette pendant leur vie active dans le domaine, dont certaines en association avec d’autres propriétaires, souvent des membres de leur famille. Qualifiés de navigateurs dans le Registre des navires, Philibert Bergeron (1821-1898), Ovide Bouchard (1826-1881) et Georges Lapointe (1805-1872) ont enregistré pour leur part chacun quatre nouvelles goélettes. Dans les recensements de 1851 et 1861, ils étaient identifiés à la fois comme navigateurs (Bergeron, 1851), comme cultivateurs et navigateurs (Bouchard, 1861 ; Lapointe, 1851) ou simplement comme cultivateurs (Bergeron, 1861 ; Lapointe, 1861). Philibert Bergeron et Ovide Bouchard sont aussi dits navigateurs dans l’ouvrage d’Anctil et Gravel.
Le Registre des navires indique aussi que Roger Savard (1808-1881), un autre habitant des Éboulements, d’abord qualifié de charpentier de navires, puis de navigateur et enfin de marchand, a lancé en son nom pas moins de huit goélettes et un brigantin, un sommet dans le domaine. Il a lancé en plus deux goélettes, la première en 1841 et la seconde en 1861, pour des navigateurs de l’extérieur du comté. À n’en pas douter, il fut un homme d’affaires prospère. Dans le recensement de 1842, on le présentait comme marchand, et dans celui de 1851, comme propriétaire d’un magasin. En 1861, on le disait négociant et on signalait qu’il s’occupait de commerce et de navigation. Ses entreprises comptaient sept « hommes », c’est-à-dire sept employés, dont certainement des hommes d’équipage. Les actes des notaires démontrent également que les habitants des Éboulements recouraient régulièrement à lui pour des emprunts d’argent. Comme beaucoup d’autres, Roger Savard a un jour quitté les Éboulements pour le Saguenay. Lors du recensement de 1871, il se trouvait à Chicoutimi. Bien que marchand prospère, il ne s’y désintéressa pas complètement des bateaux puisque, en 1881, il lança à Lévis le vapeur à roue à aubes Chicoutimi, un bateau d’une centaine de tonneaux qui fut vendu l’année suivante en Ontario, peu après son décès.
Clément Dufour (1773-1854), qui semble avoir été le seul constructeur, outre Savard, à être identifié comme charpentier de navires dans le Registre des navires, serait venu de l’Isle-aux-Coudres aux Éboulements entre 1817 et 1819 si l’on se fie aux localités où furent baptisés ses enfants. On peut suivre sa trace dans les recensements de 1825 et 1851. Son nom ne figure pas dans les recensements de 1831 et 1842, mais on peut supposer qu’il habitait, avec son épouse, chez un de ses fils, Simon, où tous deux se trouvaient d’ailleurs nommément en 1851.
Entre 1830 et 1852, le nom de Clément Dufour fut associé à la construction des goélettes Providence (1830), Marie-Prudente (1836), Marie-Louise (1837), Louise (1847), Marie Victoria (1851) et Marie-Anne (1852). Il est intéressant de noter que, lors des trois dernières constructions, il aurait eu plus de 70 ans, signe qu’il était un charpentier reconnu. Sans en être le constructeur attitré, il a pu aussi participer à la construction d’autres goélettes aux Éboulements, sans parler de la construction de goélettes dans d’autres villages, comme ce fut le cas pour la Clarisse, lancée à l’Isle-aux-Coudres en 1845.
Le nom d’un autre constructeur, Marcel Dufour, est par ailleurs associé à la construction de sept goélettes lancées aux Éboulements où, semble-t-il, ce dernier ne se serait jamais établi. Marcel Dufour fut aussi navigateur puisque, lors de l’enregistrement de la Sélina, en 1842, on mentionna qu’il était le capitaine de cette goélette.
Cependant, les noms des constructeurs n’étaient pas indiqués systématiquement dans le Registres des navires. Ils furent rarement mentionnés avant 1829, pas davantage entre 1855 et 1862 ni entre 1869 et 1873, deux périodes d’activité intense sur le plan de la construction navale aux Éboulements. Nos informations à l’égard des constructeurs sont ainsi incomplètes et leur valeur ne peut donc être qu’indicative.
En règle générale, les registres paroissiaux et les recensements ne font pas état d’un grand nombre de personnes, hormis les navigateurs, à avoir eu une occupation liée au monde maritime. Le recensement de 1842 ...