Singulières erreurs
Plus inquiétantes sont les erreurs de J. C. B. au sujet de ses propres aventures.
Ainsi le récit de sa traversée de La Rochelle à Québec en 1751 soulève-t-il d’épineuses questions. J. C. B. affirme avoir effectué la traversée sur le Chariot royal, « une frégate montée en flûte […] commandée par un capitaine de vaisseau nommé Denis Salabery ». Michel (et non Denis) de Sallaberry, ou Salaberry, n’obtient le commandement du Chariot Royal que l’année suivante (1752), et la destination du navire est alors Louisbourg et non Québec. En 1751, c’est sous le commandement de Nogerée de La Filière que le navire a effectué la traversée de l’Atlantique, de Rochefort à Québec. Nous pouvons nous étonner que J. C. B. ne se souvienne pas du nom du commandant du navire sur lequel il est monté pour passer au Canada.
Qui plus est, son récit de la traversée diffère sensiblement de celui de Nogerée de La Filière.
Dans son « J[our]nal de campagne », Nogerée de La Filière indique que le Chariot Royal lève l’ancre de Rochefort le 21 juin par temps calme pour mouiller à Soubise, sur la rive sud de l’estuaire de la Charente, en aval de Rochefort, où le lendemain, quarante-neuf nouvelles recrues montent à bord du navire. Le 27 juin, le navire gagne la rade de l’île d’Aix, à l’extrémité nord-ouest de l’estuaire de la Charente puis, le 1er juillet, la rade de Chef de Baye, à l’ouest de La Rochelle, vis-à-vis l’île de Ré. Le 5 juillet, Nogerée de La Filière fait mettre à la voile, le vent étant nord-est. Le temps demeure beau jusqu’au 12 juillet, alors que la mer devient grosse. Elle le demeure jusqu’au 15 juillet. Le 17, la mer est à nouveau grosse et le vent « bon frais ». Le 1er août, à cinq heures de l’après-midi, note Nogerée de La Filière, le vent devient plus fort. La nuit, il fait gros vent, si bien que la mer est fort agitée. Le 7 août, le Chariot Royal croise un senau anglais parti de Boston depuis cinq semaines. Nogerée de La Filière estime alors être à deux cent cinquante lieues à l’est des Grands Bancs de Terre-Neuve. Treize jours plus tard, le Chariot Royal croise trois navires. Les Français parviennent à parler avec les marins d’un des navires, un senau anglais : ils sont alors à soixante-quatorze lieues à l’est des Grands Bancs. Le lendemain, 21 août, à midi, on jette la sonde et on trouve fond par cinquante brasses. Le 23 août, à sept heures du matin, on sonde à nouveau (quarante-sept brasses). On met alors le navire en travers, c’est-à-dire un côté du navire perpendiculaire au vent, et on jette des lignes à la mer afin de pêcher et de rafraîchir l’équipage. Le 25 août, à deux heures de l’après-midi, on aperçoit la côte de l’île de Terre-Neuve, puis le Chapeau Rouge, et enfin les îles Saint-Pierre, à sept heures du soir. Le 26 août, le navire range le sud des îles Saint-Pierre et, le 27, par temps brumeux, gagne le cap de Raye. Le 28, on aperçoit l’île Brion au loin et le 30 août, à deux heures de l’après-midi, les terres de Gaspé, à l’ouest-nord-ouest. Trois heures plus tard, le navire affronte un orage alors qu’il est à la hauteur de « Forillon » (aujourd’hui le parc national Forillon). Le navire poursuit sa route dans le golfe du Saint-Laurent, entre l’île d’Anticosti et Sept-Îles et, le 7 septembre, atteint Le Bic, où il mouille, à quatre heures de l’après-midi. Le 8 septembre, le navire double la pointe du petit Bic et, le 9 septembre, mouille près de l’Isle-Verte. Compte tenu des dangers de la navigation sur le Saint-Laurent, le navire mouille tous les soirs : le 17 à la hauteur de la grande île de Kamouraska, le 18 au sud-est de La Malbaie, le 20 à Laprairie (Pointe de la Prairie, île aux Coudres), en face de Baie-Saint-Paul. Le 23, le navire doit à nouveau mouiller près de l’île aux Coudres. Le 2 octobre, le navire ne peut doubler la « batture », sans doute la grande batture entre le cap à Labranche et la Pointe de la Prairie. Le 4 octobre, un bâtiment en provenance de Québec apporte du pain frais alors qu’une ancre du Chariot Royal se casse. Le 8 octobre, le navire mouille entre Cap-Rouge et Cap-Brûlé (Sault-au-Cochon). Le 9, le navire gagne la pointe de l’île d’Orléans et le 11, on peut enfin jeter l’ancre devant Québec. Le lendemain, on entreprend de décharger les effets destinés à la colonie.
Selon J. C. B., c’est le 27 ...