LA LOI SUR LES LANGUES OFFICIELLES ET LES DĂBUTS DU BILINGUISME INSTITUTIONNEL (1969-1982)
Lâadoption de la Loi sur les langues officielles
Ătant donnĂ© quâune part de lâĂ©lan de reconnaissance de la dualitĂ© nationale sâest dissipĂ©, lâĂtat fĂ©dĂ©ral priorise le plus large dĂ©nominateur commun restant. Si lâunilinguisme français, la territorialisation des « foyers en situation minoritaire », la dualitĂ© nationale et lâingĂ©rence dans les compĂ©tences provinciales suscitent la controverse, le gouvernement choisit de sâen tenir Ă la question linguistique et aux droits individuels. Selon cette perspective, la pacification du diffĂ©rend anglais-français ne passe pas par une rĂ©forme du fĂ©dĂ©ralisme, mais par des lois et des rĂšglements. La Loi sur les langues officielles, une promesse Ă©lectorale du printemps 1968 qui a fourni au gouvernement libĂ©ral sa majoritĂ©, est dĂ©posĂ©e Ă la chambre des communes au printemps 1969.
Lors des dĂ©bats sur le projet de loi sur les langues officielles, lâopposition exprime des craintes : le dĂ©putĂ© progressiste-conservateur Jack McIntosh de Swift Current (Saskatchewan) estime que le bilinguisme officiel pourrait fracturer « the dream of one nation, with one citizenship and one nationality » et porter prĂ©judice aux fonctionnaires et Ă dâautres travailleurs, dont les chauffeurs et les portiers, servant les institutions fĂ©dĂ©rales ; le crĂ©ditiste RenĂ© Matte est dâavis que le bilinguisme ne changera pas le fait que lâanglais dominera toujours au Canada. Or, les partis dâopposition craignent de sâaliĂ©ner le vote francophone en votant contre, puis les crĂ©ditistes et progressistes-conservateurs francophones espĂšrent quâil y aura dâautres mesures pour mieux soutenir la dualitĂ© nationale. Seuls 16 dĂ©putĂ©s progressistes-conservateurs, dont 15 des Prairies, votent contre le projet de loi.
Adoptée le 7 juillet 1969, puis entrée en vigueur deux mois plus tard, la Loi sur les langues officielles comprend 39 articles, dont les suivants :
Article 2 : Lâanglais et le français sont les langues officielles du Canada pour tout ce qui relĂšve du Parlement et du gouvernement du Canada ; elles ont un statut, des droits et des privilĂšges Ă©gaux quant Ă leur emploi dans toutes les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada. [âŠ]
Article 13 (1) : Un district bilingue crĂ©Ă© en vertu de la prĂ©sente loi est une subdivision administrative dĂ©limitĂ©e par rĂ©fĂ©rence aux limites de lâune, de plusieurs ou de lâensemble des subdivisions administratives suivantes : un district de recensement crĂ©Ă© en conformitĂ© de la Loi sur la statistique, un district municipal ou scolaire, une circonscription ou rĂ©gion Ă©lectorale fĂ©dĂ©rale ou provinciale.
(2) Une subdivision visĂ©e au paragraphe (1) peut constituer un district bilingue ou ĂȘtre incluse totalement ou partiellement dans le pĂ©rimĂštre dâun district bilingue, si
a) les deux langues officielles sont les langues maternelles parlées par des résidents de la subdivision ; et si
b) au moins dix pour cent de lâensemble des rĂ©sidents de la subdivision parlent une langue maternelle qui est la langue officielle de la minoritĂ© linguistique dans la subdivision.
(3) Nonobstant le paragraphe (2), lorsque le nombre des personnes appartenant à la minorité linguistique, dans une subdivision visée au paragraphe (1), est inférieur au pourcentage requis en vertu du paragraphe (2), la subdivision peut constituer un district bilingue si, avant le 7 septembre 1969, les services des ministÚres, départements et organismes du gouvernement du Canada étaient couramment mis à la disposition des résidents de la subdivision dans les deux langues officielles.
(4) Aucune modification des limites dâun district bilingue crĂ©Ă© en vertu de la prĂ©sente loi ne sera faite Ă moins que ce district, en cas de rĂ©alisation de la modification proposĂ©e, ne continue Ă satisfaire aux exigences du prĂ©sent article relatives Ă la constitution de districts bilingues en vertu de la prĂ©sente loi.
(5) Aucune proclamation crĂ©ant un district bilingue ou modifiant ses limites ne sera Ă©mise en vertu de la prĂ©sente loi avant que le gouverneur en conseil nâait reçu du Conseil consultatif des districts bilingues, nommĂ© comme lâindique lâarticle 14, un rapport Ă©nonçant ses constatations et conclusions, et notamment, le cas Ă©chĂ©ant, les recommandations y affĂ©rentes, ni pendant les quatre-vingt-dix jours qui suivent le dĂ©pĂŽt dâun exemplaire du rapport devant le Parlement en conformitĂ© de lâarticle 17.
(6) Une proclamation crĂ©ant un district bilingue ou modifiant ses limites prendra effet, pour ce district, dans les douze mois de lâĂ©mission de la proclamation, Ă la date fixĂ©e dans cette derniĂšre. [âŠ]
Article 19 (1) : Est institué un poste de commissaire des langues officielles pour le Canada, dont le titulaire est ci-aprÚs appelé Commissaire.
(2) Le Commissaire est nommé par commission sous le grand sceau, aprÚs approbation de la nomination par résolution du Sénat et de la Chambre des communes.
(3) Sous toutes rĂ©serves prĂ©vues par le prĂ©sent article, le Commissaire est nommĂ© pour un mandat de sept ans, pendant lequel il reste en fonction tant quâil en est digne ; il peut, Ă tout moment, faire lâobjet dâune rĂ©vocation par le gouverneur en conseil, sur adresse du SĂ©nat et de la Chambre des communes.
(4) Le mandat du Commissaire est renouvelable pour des pĂ©riodes dâau plus sept ans chacune.
(5) Le mandat du Commissaire expire lorsque son titulaire atteint lâĂąge de soixante-cinq ans, mais le Commissaire demeure en fonction jusquâĂ la nomination de son successeur, nonobstant lâexpiration de son mandat. [âŠ]
Les autres articles dĂ©crivent les variations temporaires pouvant ĂȘtre apportĂ©es au bilinguisme institutionnel fĂ©dĂ©ral (articles 3 Ă 7), les devoirs des ministĂšres et autres instances gouvernementales en matiĂšre de langues officielles (articles 9 Ă 11), les modalitĂ©s de mise en place de districts bilingues fĂ©dĂ©raux (articles 12 Ă 18), les rĂŽles, pouvoirs et contraintes du commissaire aux langues officielles (articles 19 Ă 35), la dĂ©finition de quelques notions, dont la « langue maternelle » et lâ« institution du parlement » (articles 35 Ă 38), et lâadoption progressive de la loi en fonction des modalitĂ©s de nomination et dâavancement du personnel dans la fonction publique fĂ©dĂ©rale (article 39).
Selon un sondage du Canadian Institute of Public Opinion, la moitiĂ© des rĂ©pondants de langue anglaise sâopposent Ă la loi. Certains opposants participent Ă la formation de la Single Canada League ; dâautres envoient des lettres Ă leur journal local et au premier ministre. Dans leur esprit, la loi est une Ă©niĂšme transgression de la tradition britannique, une atteinte Ă lâunitĂ© fĂ©dĂ©rale, une dĂ©pense inutile ou une forme de discrimination Ă lâavancement socioprofessionnel des anglophones. En contrepartie, dâautres journaux et intellectuels du Canada anglophone se montrent plus ...