CHAPITRE I
La Nouvelle-Écosse
Boston
J’arrivai… à Boston le samedi 14 juillet à 9 h 1/2 du soir, Hotel Revere House.
Je ne me trouvais en voyage ni par désœuvrement, ni par curiosité de voyageur ni pour faire du commerce ce qui faisait l’étonnement et le désespoir des Yankees qui m’entouraient. Lorsque je leur disais que je m’étais mis en route pour aller visiter les anciennes colonies Françaises de l’Acadie, ils fixaient sur moi des yeux étonnés dans lesquels se peignait toute une intention de défiance narquoise, tant ce motif leur semblait chimérique et contraire à toutes les habitudes reçues.
Je venais à Boston non point pour visiter la ville, ni les États-Unis, mais pour y trouver un moyen de transport pour la Nouvelle-Écosse. Cependant, je n’aurais pas voulu décemment passer dans cette ville sans m’y arrêter assez pour en prendre une connaissance au moins sommaire. Je comptais y rester deux ou trois jours, mais les instances d’un négociant de la ville que je connaissais m’y firent rester cinq jours et aller même à la campagne.
Mais j’y fus cordialement accueilli par un jeune négociant actif et intelligent qui appartenait lui-même à la malheureuse race Acadienne, l’objet de mes recherches. Mr Louis Surette né à Sainte-Anne au sud de la Nouvelle-Écosse le neuvième d’une famille de douze enfants, est lui même l’auteur de sa fortune. Il a commencé par être pêcheur, puis matelot et caboteur puis garçon de magasin à Boston. Aujourd’huy il est à la tête d’une importante maison de commerce et il a 4 ou 5 navires qui naviguent jusque dans la Méditerranée.
Dimanche 15 (juillet) promenades dans la ville. Messe entendue dans la rue… Constructions très légères, placage en granit avec un rang de briques derrière ; quelle solidité cela peut-il avoir. Les bâtisses en briques sont souvent faites de deux rangs parallèles qui ne sont pas mariés ensemble. Tout pour l’apparence rien de solide, des maisons en briques comme celles où je suis sont plaquées d’un stuc qui imite le granit. Il y a cependant quelques maisons réellement en granit et en blocs de granit, mais très rares. Quelques constructions surtout d’édifices publics en granit brut très original (semblables à celles des Romains vues en Algérie)…
Boston est de toutes les villes Américaines celle dont la physionomie s’écarte le moins de nos villes d’Europe. Les rues n’y sont pas coupées à angles droits formant d’interminables parallèles. Une partie de la population vient d’Europe ou y a voyagé et les relations journalières entre les deux pays y maintiennent [une] certaine communauté d’habitude et d’esprit. Cependant [elle] n’a pas de quoi comme les villes Anglaises.
La population y est aussi restée mieux tenue, plus civile ; l’ordre et la police de la ville sont plus complets qu’en aucune autre ville de l’Union. Ce fut à Boston néanmoins que commencèrent toutes mes plus grandes désillusions. Je ne tardai pas à m’apercevoir à Boston de ce qui est partout le côté de la société Américaine… c’est un village Anglais que les Américains ont outrageusement exagéré. Chacun a un petit quai, inégaux dans leur hauteur et leur forme, particulier et fermé sur l’arrière de ses magasins, de sales pilotis souillés de vase verte, recouverts d’un plancher sous lequel à la marée basse se déverse l’Alluvion de toutes les ordures de la ville. Tel est le paysage que présentent tous les ports des États-Unis.
Vu et causé avec une petite barque Acadienne ; il y avait un Commeau, un Maillet et un Saulnier.
Lundi 16 [juillet] – Mr Surette et chez lui un grand nombre d’Acadiens capitaines de barques, deux Commeaux, et un LeBlanc. Les deux Commeaux sont de grands hommes admirablement taillés, et l’un d’eux a l’air très intelligent. LeBlanc, intelligent et rusé, est d’une taille ordinaire mais d’une figure très originale et expressive. Deux Capitaines Saulnier, tous deux [ont] l’air ouvert, résolu et intelligent. Un Deveau qui vient de temps à autre lui payer les avances qu’il lui a faites.
En général, tous remarquables par la vigueur brune et nerveuse de leur tempérament, et vifs et intelligents, quelques-uns remarquables par leur taille. Mr Surette me dit que les Potier et d’Entremont sont bien plus grands.
Visite au consul ; individu assis par terre dans les lieux d’aisance au pied du siège, comme s’il y eut voulu dormir. Qui était-ce ?
Pour une bouteille du vin le plus modeste, moins d’un dollar la demi-bouteille et j’y ai vu du vin de Madère de 12 dollars la demi-bouteille.
Mardi 17 [juillet] – Je vais voir les travaux du Jardin public et en somme je n’y trouve ni plus de travail ni meilleure entente du travail qu’au Canada. Les tombereaux sont plus grands, mais les chevaux sont également bien plus grands et on ne remplit pas les tombereaux à moitié. Au lieu de dételer, les chevaux attendent les chargements avec les tombereaux. Les hommes ne portent pas beaucoup à la fois, mais ils paraissent s’occuper de leur besogne. Leurs pics sont trop petits. Cependant en sortant de là j’ai rencontré deux tombereaux, puis deux autres chargés de terrassements avec de petites haussières de 6 pouces et une barre par derrière, à peu près remplis et attelés cependant d’un seul cheval. J’ai vu aussi quelques voitures de briques et de grains assez rondement chargées.
Le soir je vais chez Mr Surette à Concorde. Cet excellent monsieur fait pour moi des Frais dont je suis confondu. Des Carrosses ici, des Carrosses chez lui pour me mener promener. Je vais voir le monument où a eu lieu la première rencontre des troupes Américaines et Anglaises, et le premier soldat Anglais tué et enterré. Concorde est un vrai jardin Anglais semé de maisons. Visite à Mr Emerson et à un Mr qui cultive la vigne. Les vignes exotiques sont en serre, mais la vigne naturelle des Etats-Unis est à l’air libre. Grand perfectionnement pour la culture, il a intenté la greffe, les rapprochements, etc. Il a fait du vin [qui] se rapproche [du] vin d’Espagne. Malheureusement il met du sucre en le faisant fermenter. On ne peut ainsi bien le juger.
Mr Shattuck bon vieillard fin et rusé. Mme Surette bonne et simple mère de famille toute à son intérieur. J’ai un mal de gorge affreux.
Mercredi 18 [juillet] – Promené le matin avec Mr Surette. [Le] cimetière de Concorde trop joli pour un cimetière et cependant cet ancien lac desséché, ce bassin singulier a une physionomie originale qui cadre bien avec un cimetière. Terrain Surette, son projet d’un monument Acadien, ses deux enfants enterrés sous des rosiers.
Boston, le consul de France, ses grandes obligeances pour moi, mes regrets de ne pouvoir aller chez lui. Je lui laisse [des] notes Anthropologiques pour Mr Howard. Je pars le soir pour l’Acadie sur un Packet à voile à 9 heures du soir. Douglas, le prétendant à la présidence, est venu hier au soir à mon Hôtel, sérénade par la milice.
Mr Surette veut rester exprès ce soir à Boston pour me voir partir....