CHAPITRE 1
L’enfant terrible du Parti libéral
C’est à la veille de la Grande Dépression que le premier des quatre mousquetaires lance sa carrière politique. Né dans la paroisse Saint-Roch de Québec en 1890, Oscar Drouin est le fils d’Alfred Drouin, commis voyageur, et de Délima Dufour, tous deux originaires de La Malbaie. Son grand-père, Gilbert Drouin, est un scieur de long. Oscar vient donc d’un milieu relativement aisé aux origines modestes. Il est l’aîné d’une famille de dix enfants. En 1918, il épouse en premières noces Cécile Lemieux, fille de Marc Lemieux, dont on sait peu de choses. Il semble qu’aucun enfant ne soit né de cette première union. Quatre ans plus tard, il épouse Bibiane Auger, fille du comptable Charles Auger, avec qui il a trois enfants. Diplômé en droit de l’Université Laval, il est admis au barreau à 24 ans. Le droit est pour lui une porte d’entrée vers le milieu politique. Le jeune Drouin démontre rapidement des talents d’organisateur, qu’il met en pratique pendant la Première Guerre mondiale en orchestrant des assemblées de protestation contre la conscription à Québec. Comme c’est souvent le cas au Québec à cette période, les fils Drouin tiennent leur allégeance politique de leur père.
Avant de lancer leur propre étude légale, Oscar et son frère Henri-Paul pratiquent le droit avec Élisée Thériault, député libéral de L’Islet. Oscar est alors remarqué par Ernest Lapointe, député fédéral de Québec-Est et ministre de la Justice, dont il devient le principal organisateur électoral. Le jeune Drouin devient l’un des responsables du patronage fédéral dans le comté. Ceux qui souhaitent obtenir quelque chose du gouvernement se tournent vers lui afin qu’il plaide en leur faveur auprès de leur député-ministre. Déjà bien placé dans le monde politique, il n’est pas étonnant que le jeune avocat songe à briguer un jour les suffrages. L’appui d’Ernest Lapointe n’est toutefois pas la meilleure porte d’entrée dans la politique provinciale.
Bien que les partis libéraux provincial et fédéral soient à l’époque bien plus intimement liés qu’ils ne le sont aujourd’hui, ils sont séparés par un fossé idéologique ainsi que par des conflits de personnalité. Autonomiste et dévoué aux intérêts de la province de Québec, le premier ministre Louis-Alexandre Taschereau se bute souvent aux visées centralisatrices du premier ministre du Canada William Lyon Mackenzie King, dont Ernest Lapointe est le lieutenant québécois. Les efforts de Taschereau pour rapatrier au pays les Canadiens français installés en Nouvelle-Angleterre se heurtent au manque d’intérêt du ministère fédéral de l’Immigration. Avec le premier ministre ontarien Howard Ferguson, Taschereau est le principal adversaire aux projets de King et de Lapointe pour amender la constitution afin de réformer le sénat. La province de Québec est la seule à s’opposer au régime fédéral des pensions de vieillesse. À l’époque où la province développe son réseau hydroélectrique, Lapointe et Taschereau s’affrontent également sur les questions d’accords énergétiques. La recommandation du ministre fédéral de la Justice n’est donc pas la meilleure caution morale aux yeux du premier ministre de la province de Québec.
C’est bien malgré la volonté de Louis-Alexandre Taschereau qu’Oscar Drouin est élu député de Québec-Est lors de l’élection partielle de 1928, rendue nécessaire par la démission de l’ancien député libéral Louis Létourneau. Il est courant à cette époque de voir s’affronter deux candidats d’un même parti, l’un ayant l’étiquette sous-entendue d’« officiel » tandis que l’autre est désigné sur les bulletins de vote comme « indépendant ». Se présentant d’abord comme « libéral indépendant », Drouin s’affaire à démontrer au cours de la campagne qu’il a davantage la faveur populaire que son adversaire, l’homme d’affaires J.-Arthur Marier. Les assemblées de Drouin obtiennent un succès considérable, l’une attirant plus de 700 électeurs. Taschereau n’intervient pas dans la joute. La victoire de son parti semble assurée pendant un temps, le Parti conservateur ne présentant aucun candidat avant la toute fin de la course. La donne change lorsque, dix jours avant le scrutin, l’avocat Pierre Audet se présente sous la bannière conservatrice. Le Parti conservateur est amorphe dans la province de Québec depuis la fin de la Première Guerre mondiale, honni par sa proximité avec son grand frère fédéral. Les libéraux québécois ne ratent jamais une occasion de rappeler que le Parti conservateur est le parti de la conscription. Les « bleus » semblent toutefois reprendre du poil de la bête depuis l’arrivée de leur nouvelle vedette, le très populaire maire de Montréal, Camillien Houde. Alors qu’il est question qu’un des deux candidats libéraux se désiste en faveur de l’autre, Drouin prévient qu’il n’a pas l’intention d’abandonner et qu’il mènera la lutte jusqu’au bout. Craignant que la division du vote libéral ne favorise une victoire conservatrice, Taschereau recommande à Marier de se désister et de laisser le champ libre à Drouin. L’enthousiasme populaire et les talents d’organisateur de l’avocat de Limoilou ont eu raison du premier ministre.
Tout en se revendiquant de l’étiquette libérale et en répétant son appui à la politique économique de Louis-Alexandre Taschereau, Oscar Drouin se présente comme le « candidat du peuple » et invite les conservateurs de son comté à voter pour lui. Alors que Marier se présentait comme le candidat des milieux d’affaires, Drouin se pose en champion des droits des travailleurs. Il souhaite faire bonifier la Loi des accidents du travail, votée au printemps précédent. Cette loi permet d’indemniser les ouvriers lorsqu’ils sont victimes d’accidents dans le cadre de leur travail, mais elle immunise également les employeurs contre toute forme de poursuite civile. Par ailleurs, elle ne permet pas à l’ouvrier de choisir son médecin. L’examen est fait par le médecin payé par la compagnie et est donc plus susceptible de donner raison à l’employeur qu’à l’employé. Drouin promet de faire amender cette loi afin de la dévouer principalement à la protection des ouvriers. Il promet également d’aider le gouvernement à rappeler à l’ordre les usines qui obligent leurs employés à travailler le dimanche malgré la loi qui l’interdit. Sa promesse la plus importante e...