CHAPITRE 1
L’environnement naturel
Introduction
L’environnement naturel de l’Acadie était très différent de celui du Loudunais. Le Loudunais était dominé par des plaines ayant subi des transformations depuis des générations pour les besoins de l’agriculture et l’établissement d’habitations, alors que l’Acadie était un mélange de hautes terres rocailleuses boisées et de basses-terres marécageuses peu transformées par les populations autochtones de chasseurs-cueilleurs. Cette différence a fait jaillir un certain nombre de questionnements : dans quelle mesure a-t-il été difficile, pour les colons, de s’établir ? Est-ce que les marais fertiles, une fois drainés, les ont avantagés par rapport à leurs homologues loudunais quant à la productivité agricole ? Quelles répercussions ont eu les endroits naturels et les prédateurs sur les deux sociétés ? Quels autres aspects de l’environnement naturel, tels que le climat et les ressources naturelles, ont influencé les sociétés rurales ?
L’environnement naturel est fondamental pour l’agriculture, mais il a aussi influencé les schémas d’établissement des habitants et eu un effet direct sur leur santé et leur état d’esprit. Parallèlement, les gens ont transformé l’environnement autour d’eux, défrichant et cultivant la terre, élevant du bétail et endiguant des cours d’eau. La décision des Acadiens de drainer des marais peut paraître exceptionnelle, mais, en fait, ces méthodes étaient bien connues et abondamment employées en Europe et en Amérique du Nord. Il y avait même de nouvelles fermes qui étaient créées en terres marécageuses au Loudunais à la même époque. En Acadie comme au Loudunais, il y avait une préférence marquée pour un style d’établissement dispersé. De plus, les habitants des deux régions faisaient face à des défis similaires liés à l’environnement, tels que le maintien de la fertilité du sol et l’adaptation à des conditions climatiques défavorables. Les ressources naturelles comme les forêts, le poisson et les fourrures pouvaient s’avérer d’importants suppléments à l’économie rurale, mais étaient aussi synonyme de rivalité et d’une volonté, de la part des élites et de l’État, d’en prendre le contrôle. Au bout du compte, les deux sociétés rurales cherchaient à créer un paysage stable, familier et productif. Ce qui est le plus surprenant, c’est la similitude observée entre ces paysages une fois créés, malgré les différences considérables de terrain, de climat, de la faune et des ressources naturelles.
Fig. 1.1 Jacques-Nicolas Bellin, « Carte de l’Accadie », 1744
Source : Pierre-François Xavier de Charlevoix, Histoire et description générale de la Nouvelle-France, Paris : Chez Rolin fils, librairie 1744.
Le terrain
Le Loudunais était une région avec un paysage composé d’une alternance de plaines calcaires et argileuses et de collines de craie vallonnées, bordée au nord par la vallée de la Vienne. Le sol était fertile et le terrain majoritairement plat, ce qui en faisait un endroit idéal pour la culture intensive du blé. Par conséquent, les terres arables dans le Loudunais avaient beaucoup plus de valeur qu’ailleurs au Poitou et comptaient plusieurs seigneuries laïques et cléricales importantes. Déjà en 1600, toutes les meilleures terres étaient labourées. Les surplus étaient transportés vers le nord le long des multiples petites rivières, jusqu’à Saumur, où le grain rejoignait le plus important réseau commercial de la Loire. Ces rivières ainsi que les quelques routes de la région portaient les Loudunais à aller vers le nord, en Touraine, plutôt que vers le Poitou au sud. Bien entendu, le blé n’était pas le seul produit agricole. Des céréales secondaires comme le seigle et l’orge étaient aussi cultivées, surtout pour un usage local. Certaines paroisses produisaient aussi du vin pour l’exportation. Il n’y avait toutefois pas beaucoup d’élevage commercial puisque seul un petit pourcentage du terrain convenait au pâturage : selon une estimation, il n’y avait que 700 arpents (240 hectares [ha]) de prairie dans tout le pays. Le cadastre, un relevé foncier détaillé effectué entre 1828 et 1830, indique qu’environ 7 pour cent des terres à Aulnay, La Chaussée et Martaizé étaient utilisées comme pâturage. Les laboureurs possédaient des bœufs et la plupart des paysans possédaient ou louaient quelques chèvres, des poulets et parfois une vache pour avoir des œufs, de la viande et du lait pour leur propre subsistance. Seuls quelques membres de l’élite possédaient de véritables troupeaux. Par exemple, François Henry de Lomeron, le seigneur d’Aulnay, a loué pour 775 livres tournois (lt) de bétail entre 1735 et 1744, surtout à un seul laboureur, Louis Bourdier d’Aulnay. Le notaire royal de Moncontour, Henry Bigot, a loué quant à lui pour 1 100 lt de bétail entre 1753 et 1756, surtout à François Esselin de Martaizé.
Fig. 1.2 A. Guiljelmum et I. Blaeu, « Loudunais et Mirebalais », 1635
Aulnay, La Chaussée et Martaizé se trouvent en bas, dans le coin droit de la carte, à l’est de Moncontour et au sud de Loudun. Notez le marais clairement indiqué à proximité. Source : Série FI L 192, AD V.
Le Loudunais avait peu de terres boisées et, par conséquent, le bois de chauffage ou de construction était très onéreux. Il est toutefois possible que les paysans d’Aulnay et de La Chaussée aient eu plus facilement accès que d’autres à du bois puisqu’ils étaient situés juste à l’ouest du bois de Guesnes. Jusqu’en 1830, plus de 16 pour cent du terrain d’Aulnay et plus de 22 pour cent de celui de La Chaussée était toujours boisé, pour un total de 150 ha, bien que seulement le tiers de ces forêts aient été bien entretenues. La grande majorité de ces arbres étaient toujours sous la gouverne de trois domaines seigneuriaux (Sautonne, Aulnay et La Bonnetière), ce qui laisse croire que les droits des paysans y aient été limités et qu’ils ne récoltaient probablement que les arbres morts. La plus grande commune de Martaizé était plus typique du reste du Loudunais avec ses 5 ha de forêts. Les seules autres aires boisées significatives du Loudunais se trouvaient à l’est de Loudun (le bois Rogue) et dans l...