Écrits au noir
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Écrits au noir

Essais

  1. 162 pages
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Écrits au noir

Essais

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À propos de ce livre

Je suis politisée. Au passé et au présent, je suis une écrivaine connue pour mes prises de position, ma participation à des manifestations, ma présence à des réunions politiques, mon travail d'essayiste. Je n'ai pas été, je ne suis pas et je ne serai sans doute jamais une écrivaine qui prend la parole en public, qui se prononce à haute voix, justifie ses positions devant les autres. La parole m'a été enlevée de tout temps et m'est encore enlevée. J'ai une pensée féministe et politique que je livre par écrit.Dans Écrits au noir, France Théoret signe un parti pris d'écriture. Elle y décrit le féminisme comme une œuvre au noir, dévoile les sources littéraires de la féminisation de la langue. Invoquant ses affinités, de Claude Gauvreau, Antonin Artaud, Hannah Arendt, Simone de Beauvoir, Gabrielle Roy à Elfriede Jelinek, elle prend position en faveur de l'engagement politique.Elle refuse la littérature intimiste et ses dérives. Par des réflexions passionnées, l'écrivaine réfute inconditionnellement les langues de bois, les pirouettes formalistes et la marée noire du bavardage.

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Informations

QUATRIÈME PARTIE

Affinités littéraires

Aux sources de l’écriture

Lire Artaud et Gauvreau est toujours un événement. J’ai longtemps pensé à des affinités secrètes. Je les ai lus à la même époque. Chez l’un et l’autre, le flamboiement de la langue, le verbe éclaté fait appel au corps. Je rapproche Artaud, poète et Gauvreau, poète. Je le fais en parlant du chaos.
Artaud et Gauvreau ont œuvré en groupe, avec d’autres artistes, les surréalistes et les automatistes, et ils se sont retrouvés seuls. Ils découvrent tôt leurs langages littéraires et existentiels, les radicalisent. Ils écrivent jusqu’à la fin leurs découvertes. Leurs questions subjectives progressent, se poursuivent par bonds, puis se décalent. Ce ne sont pas les mêmes. Ils sont en lutte dans la forme entière de leur pensée contre la société: la religion, l’institution psychiatrique, l’art officiel. Ils ont inventé leur esthétique. Ils ont été, l’un et l’autre, enfermés, psychiatrisés.
Les singularités d’Artaud et de Gauvreau sont incomparables. Ils ont écrit avec la violence du rebelle irrécupérable. À ce titre, il y a une incongruité à comparer ces poètes.
*
Gauvreau, dans la Correspondance de 1949-1950 avec Jean-Claude Dussault, écrit son admiration pour Artaud: les grands poètes du XXesiècle sont «le Tzara du début, Jarry, Artaud, Césaire».
Gauvreau montre qu’il a un goût affirmé, très sûr en poésie, en peinture et en musique, un art que les surréalistes méconnaissaient, à l’exception d’Artaud. Ce désir d’inventer du nouveau à partir des découvertes d’autrui se manifeste dans un irréductible pacte d’écriture. La poésie exploréenne, qu’il définit, qu’il pratique, appelle la faculté de sentir. C’est une langue éprise de l’existence avec le corps. «Il faut que la gamme des acquis sensibles soit extrêmement vaste et variée», écrit-il. Tout défaut de générosité, toute forme de restriction mentale, tout calcul se perçoit en art. L’authenticité rend l’art à la liberté de son expression. Mais l’œuvre réalisée peut être une réussite ou un échec. En art, il n’y a pas de certitudes.
Gauvreau découvre la nécessité de l’image exploréenne. Il entend participer de toutes ses forces à faire naître le nouvel Egrégore, une utopie libertaire, antitotalitaire, annonçant la civilisation future, celle qui doit se substituer à la civilisation chrétienne décadente. Il a découvert le nom de ce qu’il cherche. Dans l’acte d’écrire, il l’affirme, ce qu’il dit de sa démarche poétique, du poème exploréen, est inexploitable par quiconque. À chacun son authenticité artistique, qui va de pair avec la générosité de la pensée. «Ayez le cran de vous engloutir dans les ténèbres et de vous débattre (avec angoisse sûrement) contre les monstres verts de la forêt», écrit-il à Jean-Claude Dussault.
Gauvreau a fait siennes les propositions du Refus global, il les continue par ses élaborations. Sa détermination reste entière. Il est possible d’affirmer qu’il a trouvé dès le commencement sa manière, et davantage sa motivation profonde. Son œuvre est déjà amorcée. Connaître l’inquiétude afin de privilégier l’attention est, pour lui, une question de méthode. Cela n’a rien à voir avec les «boulets grignoteurs» de l’incertitude.
Il annonce son projet poétique avec une clarté saisissante. Pour approcher la pensée et la réalité existentielle de façon immanente, il invente une langue exploréenne. Jean-Claude Dussault écrit:
[Gauvreau] tirait littéralement la poésie de son corps même, se roulant sur le lit qui lui servait de divan ou en marchant de long en large en se frappant violemment la poitrine de ses poings: il luttait physiquement avec les phonèmes qu’il éjectait par la suite avec force, en mouvements saccadés, en un véritable processus d’accouchement.
Poète, il a voulu franchir les limites, ce qu’il a fait. Il conseille aux poètes débutants de tout conserver, de ne pas détruire leurs ébauches pour pouvoir se relire. Pour autant il ne recommande pas de tout publier, il fait appel à la notion de responsabilité à l’égard des lecteurs. En 1950, Gauvreau écrit à son correspondant Jean-Claude Dussault, en regard d’une œuvre commencée, encore à réaliser, d’une œuvre à venir. Il souhaite publier bientôt ses premières pièces de théâtre et ses poèmes: opérer un choix, former un ensemble pour donner à lire une progression, un mouvement. Il a une conception totalisante de l’œuvre. Il ne semble pas croire à l’unité d’un recueil de poèmes, par exemple. La façon d’aborder l’écriture est centrale, le genre littéraire ne l’est pas.
Gauvreau dit à Jean-Claude Dussault:
On écrit pour essayer de traduire des choses obscures et urgentes qui encombrent les tripes et qui demandent à sortir, on écrit pour essayer de faire soi ce qui gêne et échappe, on écrit parce qu’on désire familiariser ce qui n’est que pressenti.
Son jugement est scindé, dédoublé de son activité d’écrivain, ce qu’il trouve envers et contre tout, accordant au sensible l’ultime prépondérance. Gauvreau connaît les arts contemporains. L’exercice du jugement et le savoir le mènent vers l’inconnu. L’écriture côtoie l’imprévisible.
«L’art n’est pas le chaos, mais la composition du chaos… un chaos composé – non pas prévu ni préconçu», écrivent Deleuze et Guattari dans Qu’est-ce que la philosophie? Ils écrivent encore: «l’artiste se bat moins contre le chaos (qu’il appelle de tous ses vœux, d’une certaine manière) que contre les clichés de l’opinion». Le chaos est donc appelé par les poètes. Le chaos est également menace d’engloutissement. Les poètes apprennent du chaos. Il s’agit de transfigurer le chaos pour ne pas disparaître. Les Écrits sur l’art et les Correspondances désignent les «clichés de l’opinion».
*
En 1923, Artaud cherche à publier ses poèmes, mais c’est la correspondance établie avec l’éditeur Jacques Rivière qui intéresse celui-ci. Des poèmes et des textes sur son état psychique constituent ses premières œuvres: L’Ombilic des limbes et Le Pèse-nerfs.
«Traduire les choses obscures et urgentes», Artaud écrit à Rivière: «Je souffre d’une effroyable maladie de l’esprit. Ma pensée m’abandonne à tous les degrés.» Dès le commencement, Artaud fait une synthèse lumineuse. C’est un nœud d’où l’écriture peut tirer du sens.
Confronter le chaos peut ressembler à ceci: un désencombrement, une tentative de se recréer, y compris par «ce qui gêne et échappe» et, dans l’acte d’écrire, approcher une réalité dont on soupçonne l’existence.
Il n’y a pas d’œuvre au sens habituel de ce terme chez Artaud. La publication de ses manuscrits est achevée. Ses livres sont élaborés de manière très personnelle. Artaud écrit: «Je n’ai plus qu’une occupation, me refaire.» Il précise aussi le sens de cette recréation: «J’ai le culte non pas du moi mais de la chair, dans le sens sensible du mot chair.» Le corps, la chair, le senti, la faculté de saisir matériellement peuvent le refaire et lui redonner sa pensée.
Il dialogue avec le cliché de la normalité:
Il me manque une concordance des mots avec la minute de mes états.
Mais c’est normal, mais à tout le monde il manque des mots, mais vous êtes trop difficile avec vous-même, mais à vous entendre il n’y paraît pas, mais vous vous exprimez parfaitement en français, mais vous attachez trop d’importance à des mots.
Le dédoublement inscrit dans le texte la voix de l’opinion qu’Artaud connaît. Il doit quitter la voix de l’opinion, sachant qu’il la quitte pour écrire quelque chose de l’ordre de la pensée avec le corps. Il sait, il l’a éprouvé comme une perte à la fois de la pensée et du corps, que le langage résiste à s’approprier du corps, à faire corps avec ce qu’il sent, voit et entend.
La proposition de rendre aux mots, aux phrases, à la langue un peu d’immanence ne peut pas être un vague projet. Cette entreprise est gigantesque et difficile quand elle est prise à la lettre. Artaud entend inscrire dans le texte cette proposition titanesque. Il la fait sienne. Le poète transcrit de nouveau le cliché de l’opinion: «Il me parle de Narcissisme, je lui rétorque qu’il s’agit de ma vie.»
Souffrir de l’esprit parce que sa langue est en inadéquation avec sa pensée, analyser les conséquences de ce mal et vouloir recommencer, se refaire, heurte tous les discours de communication.
Des témoins ont raconté qu’Artaud se livrait à des activités physiques pour écrire: il martelait un bloc de bois, il entaillait le mobilier de sa chambre à coups de couteau. Onomatopées, suffocations, glossolalies. Artaud écrit dans le Manifeste en langage clair: «Ma déraison lucide ne redoute pas le chaos.»
*
Ces poètes cherchent leur manière d’être au monde, leur façon de s’incarner davantage. Ce sont des écrivains marginaux. Ils ont été dénigrés et ils ont été considérés comme des mythes. La formation du mythe est une invitation à sacraliser le personnage, une voie d’évitement de la lecture des œuvres. Artaud affirme pour sa part qu’il n’est pas un personnage sacré quand il écrit: «Le fond du sacré est cannibale.» Cannibalisé, il l’a été, il n’entend pas cannibaliser les autres.
Je compose avec les voix distantes d’Artaud et de Gauvreau. J’entends leurs voix étrangères qui me font pénétrer des mondes radicalement différents du mien.
L’un et l’autre départagent la langue littéraire de la langue de communication.
L’un et l’autre font souverainement appel aux liens secrets entre la langue et le corps, à une langue matérielle qui dit le corps existant.
Artaud et Gauvreau sont aussi dissemblables. Dans les premières œuvres, Artaud semble avoir trouvé un vide, ce qu’il appelle le «problème central», sa pensée se connaît ou se soupçonne, mais elle demeure inatteignable par sa dissociation d’avec le corps. Gauvreau paraît avoir déjà trouvé l’essentiel. Il l’explicite dans la Correspondance à Jean-Claude Dussault. Il veut transmettre son savoir, son expérience de l’art et la mémoire de ses combats avec l’institution religieuse du collège. Il tend vers l’exhaustivité. Il énumère, il nomme inlassablement ce qu’il connaît. Il a confiance en son destinataire, à qui il écrit de très longues lettres. Le fait d’avoir trouvé rend Gauvreau vulnérable face à la société, face à l’opinion. Il écrit la fragilité et la vulnérabilité dans La Charge de l’orignal épormyable et Les oranges sont vertes.
Jean-Claude Dussault écrit dans l’introduction de la Correspondance:
J’ai assisté avec émotion aux représentations de ses deux pièces de théâtre. J’avais l’impression de décoder chaque mot et chaque phrase de cette audacieuse entreprise que, sans irrespect et sans ironie, je qualifierais de paranoïaque.
Le diagnostic psychiatrique pèse lourdement. Le qualificatif est une disqualification. Gauvreau met en scène un poète renié, enfermé, détruit. Pourquoi ne le ferait-il pas? L’entreprise périlleuse pouvait aboutir à un échec. La pièce de théâtre est réussie. «...

Table des matières

  1. Couverture
  2. De la même auteure
  3. Crédits
  4. PREMIÈRE PARTIE: Parti pris d’écriture
  5. DEUXIÈME PARTIE: Le féminisme au noir
  6. TROISIÈME PARTIE: L’invention politique
  7. QUATRIÈME PARTIE: Affinités littéraires