Si Cendrillon pouvait mourir!

Le Show des femmes de Thetford Mines

• Éditeur: Éditions du remue-ménage
• Année: 2014
• ISBN:
  9782890914278
• Sujet: Littérature
• Sous-sujet: Théâtre

Des femmes de Thetford Mines décident de parler publiquement d'elles-mêmes et mettent en scène des tableaux de la vie quotidienne qui nous sont étrangement familiers...SI CENDRILLON POUVAIT MOURIR ilustre de façon réaliste comment, de mères en filles, nous apprenons et vivons la peur, la soumission, le conformisme, dans l'attente de princes dont la venue ne garantit aucunement notre libération. «Fallait-il être folles d'attendre...»

CINQ ANS PLUS TARD...

CAROLE ÉMOND

27 ans, à ce moment-là deux enfants, ménagère à temps plein, ex-enseignante, conjuguais mon « je » au désespoir.

Puis, un matin, un coup de fil de Juliette : le comité de condition féminime organise des journées de la femme — ce sera 1975 et l’année internationale des femmes dans quelques mois — « les filles aimeraient inscrire une pièce de théâtre au programme, elles ont pensé que tu pourrais... ». Panique, exaltation, oui ! Oui ! mais pas toute seule.

À mon tour téléphone à Louise Dupré et Paule Letendre. Le défi est d’envergure, ne sera relevé qu’au féminin : six mois entre la page blanche et la première.

Réunions dans le salon pendant la sieste du petit dernier, entre deux cours — Louise enseigne —. Qu’est-ce qu’on dit? Comment? Faire un plan. Discussions, malaises. « Les ménagères, ce n’est plus ça... » — « Les jeunes ne rêvent plus au mariage... ». Besoin d’élargir l’échantillonnage : re-réunions à 10-15, re-discussions, re-malaises, heurts... certaines ne reviendront plus. C’est le jeu de la vérité qui commence ; il durera six mois.

Au temps de l’écriture, la vie continue autour, je ne m’appartiens plus. Mon cahier suit, croquis, monologues, lessive, dénonciations, ratures, repas, paragraphe, le jour, la nuit, le show...

Paule est hospitalisée... je me retrouve seule face au groupe... ménagère... dissidente... Frustrée par le stéréotype qui couvrira la catégorie de celles dont je suis... ménagère,... les rouleaux, la vadrouille... tendres, ridicules, sous-développées. Ces femmes que j’espérais dépouillées de leurs étiquettes sociales, elles seront classifiées, catégorisées, encore... Mais « the show must go on », les illusions c’était hier.

« Au jour J c’est le trac... ouvrir le spectacle... black out... seule... l’escalier me paralyse. Tentation de la peur... La salle qui attend... Fallait t’y être folle!... Fallait t’y être folle d’hésiter, de douter! Jamais je n’oublierai l’émotion de ces publics successifs qui s’entendent, se reconnaissent, rient et pleurent aux mêmes mots simples, les nôtres et les leurs...

Si Cendrillon pouvait mourir, c’est une sorte de déshabillage collectif, une exhibition retenue, sur mesure. À la mesure de ce temps où les enfants étaient dons de Dieu, la sexualité sanctifiante et le féminisme virilisant... Nous n’y avons pas tout dit, la pudeur était sauve, mais nous en avons assez vécu pour en ressortir la vérité écorchée, le devenir à vif, béant.

Et puis après... le retour au quotidien, le creux des premières semaines, le recommencement... Je sais désormais le goût de la liberté à inventer, de la parole à prendre pour les autres, pour moi. L’action sociale, le geste collectif des groupes féministes, telle est la scène où se déroule la suite de mes dialogues.

Le jeu reprend et l’angoisse renaît ; l’exaspération et l’exaltation aussi. Celles-là même d’où émergent la conscience, la révolte et le besoin de les dire.

LOUISE DUPRÉ

La parole ne m’est pas venue d’elle-même. Elle a été déclenchée. Il s’agissait bien d’un engagement que ce « oui, on monte un show » prononcé à Carole au téléphone. Parole donnée. À prendre donc à tenir.

Jusque-là coincée entre mes études et ma fille, entre le jargon universitaire et le babil enfantin, je ne trouvais pas le ton qui convînt à ma voix. Si Cendrillon pouvait mourir allait me le révéler. Mes premiers textes furent ceux des soirées passées avec Carole et Paule à ranger les mots sur la page, pour douter ensuite et recommencer parfois. Ceux des soirées-récompenses, une fois les enfants couchés et les tâches domestiques accomplies. L'écriture représentait pour nous — et représente toujours pour moi — un luxe. Car il semble y avoir contradiction entre la maternité et l'écriture. Non que la maternité nie l'écriture : elle l'écarte plutôt, les préoccupations se situant ailleurs, du côté des problèmes de gardienne, par exemple.

Cela explique sans doute pourquoi le texte du « show » colle de si près à notre vécu. Nous pouvions raconter notre petite histoire. Nous aurions été sans doute incapables de fiction.

Si Cendrillon pouvait mourir appartient bien à la petite écriture. L'écriture-journal des souvenirs qu'on déterre. L'écriture-à-la-main, taillée, fabriquée morceau par morceau. L'écriture anonyme d'un texte non signé. L'écriture-bénévolat du « sketch » pour les salles paroissiales. L'écriture de nos mères, si elles avaient pu prendre la parole.

De cela, je n'ai pris conscience qu'une fois le show monté. J'avais cru que nous nous étions mises en scène. Par les commentaires des spectatrices, je me suis rendue compte qu'il existe peu de variantes à la condition des femmes, que toutes nos vies subissent le même cadre rigide.

Et pourtant les échanges s'étaient faits difficilement entre les femmes-épouses-et-mères et les femmes- célibataires-sans-enfants, durant toute la durée de la production. Comme si le statut social des femmes créait entre elles des incompréhensions, des barrières, comme s'il nous avait été impossible de jouir de nos différences.

En tant que mère-enseignante-étudiante, ma situation dans le groupe ne fut jamais clairement définie. Si je me suis souvent sentie assise entre deux chaises, j'ai eu par contre l'occasion d'avoir des rapports intéressants avec plusieurs femmes. Et c'est sans doute cela qui m'a valu la coordination générale de la troupe. Les multiples problèmes qui sont survenus tout au long de la production — budgets limités, mésentente avec certains organismes, démarches nombreuses liées aux déplacements, exigences légales — m'ont appris la négociation, la ténacité. Cette période...

Table des matières

• ISBN — 2-89091-005-9
• INTRODUCTION
• PROLOGUE
• LA STAR
• LE CONTE POUR ENFANTS
• LES MENSTRUATIONS
• L’ADOLESCENTE GRASSE
• LA PEINE D’AMOUR
• À LA RECHERCHE DU PRINCE CHARMANT
• LA DISCOTHÈQUE
• FEMMES ENCEINTES
• IL EST NÉ LE DIVIN ENFANT
• LA MÉNAGÈRE
• PARADE DES MÉNAGÈRES
• TÉMOIGNAGES
• ÉPILOGUE
• CINQ ANS PLUS TARD...