Les ennemies no 1 et 2:
 la madame
 et la matante
L.J.
Les fĂ©ministes peuvent souffler un peu: on les prend encore Ă partie assez souvent par les temps qui courent mais, dans le hit parade des objets de moquerie, elles sont presque supplantĂ©es en ce moment par deux autres figures fĂ©minines concomitantes aussi hautes en couleur â je dis presque parce quâon nâabandonne pas une premiĂšre position, quelle quâelle soit, sans pincement au cĆur. Sonnez trompettes, le rĂšgne de la madame et de la matante est arrivĂ©.
Elles sont presque jumelles; elles participent lâune de lâautre; elles sont intimement imbriquĂ©es. Elles ont une histoire. Leur ancĂȘtre: la dame Ă chapeau qui roule lentement en voiture, garde son couvre-chef â bien peu chef, en fait â sur la tĂȘte durant les confĂ©rences culturelles, passe ses commentaires pendant un film, et sâexclame pĂ©riodiquement: «On est-tu ben sans nos maris!». Cette figure nâavait jusquâĂ maintenant pas beaucoup de pouvoir, sinon celui de nous irriter; on dĂ©couvre aujourdâhui avec stupeur que ses descendantes sont en train de changer le visage de la sociĂ©tĂ© quĂ©bĂ©coise qui ne parle plus que de madamisation et de matantisation.
Cette tendance Ă garder le fĂ©minin dans la mire du ridicule cristallise donc des nĂ©ologismes dont lâimplantation dans le vocabulaire journalistique est aussi rapide que suspect. Ainsi, selon StĂ©phane Baillargeon du Devoir, on doit Ă lâune de ses collĂšgues (fĂ©ministe, on nâarrĂȘte pas le progrĂšs) lâexpression «madamisation des mĂ©dias» pour illustrer la tendance tĂ©lĂ©visuelle actuelle vers la miĂšvrerie et le pas-de-contenu. Mais attention: nâest pas madame, donc indice de flĂ©chissement intellectuel, qui veut. Ici, on parle, avec Baillargeon, de «lâinstitutionnalisation de la bourgeoise, de lâarriviste et de la faiseuse»; il faut de lâargent: ce nâest donc pas Ă la portĂ©e de toutes les bourses, mĂȘme en comptant celles du mari. La madame nouvelle est «choyĂ©e, hors du foyer», «friquĂ©e et culturobranchouillĂ©e» (je vous avais prĂ©venus pour les nĂ©ologismes), nous entretient de ses «bobos de Bobos»; bref, elle se plaint le ventre plein et on nâen peut plus dâentendre ses rĂ©criminations. Soit.
La matante nâest pas aussi privilĂ©giĂ©e que sa consĆur: elle jouit dâun pouvoir financier et dâune aura dâinfluence moindres, mais, au final, se rĂ©vĂšle tout aussi agaçante dans son omniprĂ©sence et son association avec lâidĂ©e du nivellement par le bas. On honnit ses effets en littĂ©rature: «Ăcrire câest dâabord et avant tout une entreprise intellectuelle, statue doctement Pierre Samson, lĂąchez-nous les jarrets avec vos Ă©mois de matante». On lâinstitue en catĂ©gorie sociale: parlant de Louis-JosĂ© Houde, Fabien Deglise relĂšvera «lâefficacitĂ© avec laquelle il dĂ©crispe, sĂ©duit, fait fondre la âmatanteâ ordinaire, tout comme la jeune fille bien de son temps». Il faut noter la petite gĂȘne suggĂ©rĂ©e par les guillemets et comprendre quâen plus dâĂȘtre Ă©nervante, la matante est iiiiiiiii nerveuse et pas sortie du bois.
Enfin, la matante est, sur tous les fronts, persona non grata. On rappellera pour mĂ©moire cette tirade de Guillaume Wagner, lâhumoriste: «On ne veut pas de matantes dans la salle. Elles ne comprendront pas mon humour. Truc rapide pour Ă©liminer les matantes? Tâas juste Ă faire une joke chienne sur quelquâun de connu quâelles aiment. Nâimporte qui! Du genre: âMarie-Ălaine Thibert est tellement laide que ça devrait ĂȘtre dĂ©ductible dâimpĂŽt de la fourrerâ» â rĂ©fĂ©rence disponible partout, mais alors lĂ partout, sur le web.
Les matantes sont un brin masochistes de payer le gros prix pour entendre cet humoriste; elles pourraient se lasser. Si jâĂ©tais lui, je les mĂ©nagerais. Je ne mâĂ©tendrai pas sur ce quâil y a de colon â dans le sens anatomique du terme â au cĆur de cette attaque gratuite contre une chanteuse; je mâattarderai plutĂŽt au caractĂšre sexuĂ© de ces figures du discours social. Que lâancienne madame, la dame Ă chapeau, celle du canal 10, dont il faisait bon se moquer et qui venait dâun milieu modeste, ait Ă©tĂ© remplacĂ©e par son ersatz, la matante (la madame actuelle Ă©tant, on lâa vu, maintenant riche, narcissique et probablement nĂ©vrosĂ©e), ne change rien au fond de la question: ces types fĂ©minins sont associĂ©s au superficiel, Ă lâignorance, au culte de la bĂȘtise institutionnalisĂ©e; ils font Ă©cran aux vrais dĂ©bats, Ă lâinformation substantielle. On les tient responsables de lâĂ©croulement de la culture.
On me dira, Ă lâinstar de StĂ©phane Baillargeon, qui revient sur le sujet, que «le mot importe moins que la chose», et quâil est trĂšs simple de trouver aux madames et aux matantes des correspondants masculins, quâil «y a la mononcâisation aussi», «la bonhommisation», «le prout prout ma chĂšre face au prout prout tout court», que la bĂȘtise est Ă©quitablement rĂ©partie, hĂ©las, entre les deux sexes. Sans doute. Il faut alors se questionner sur la fulgurante popularitĂ© du terme et sur la surenchĂšre dans son utilisation, alors que le mononcle, lui, est absent de la place publique, et subsiste Ă peine dans lâexpression «dis pardon, mon oncle» ou alors comme rĂ©fĂ©rent libidineux des partys de NoĂ«l. (Ă cet Ă©gard, on constatera que le mononcle cochon, sâil est redoutĂ© par les filles, jouit auprĂšs de tous les autres membres de la famille dâune grande indulgence car, aprĂšs tout, câest lâalcool qui le rend si entreprenant: sobre, il ne vous mettrait jamais la main aux fesses.)
Baillargeon propose, aprĂšs avoir allumĂ© le feu, de trouver un terme plus neutre comme «estivalisation des mĂ©dias»; intĂ©ressant, mais cela nâenlĂšve rien au fait que le premier rĂ©flexe a Ă©tĂ© dâimputer la dĂ©rive dâune information dĂ©cervelĂ©e et sans envergure Ă un prototype fĂ©minin. Ce nâest pas innocent ni sans consĂ©quence, câest mĂȘme diablement symbolique.
Songe-t-on Ă traiter de mononcles ces gĂ©rants dâestrade qui pĂ©rorent Ă lâĂ©cran sur la derniĂšre blessure Ă la laine de nos millionnaires en patin? Non: on les trouve idiots, Ă la limite, et on change de poste. Aurait-on le rĂ©flexe de dire de Jeff Fillion que câest un mononcle? Douteux. On le conspue ou on adore le haĂŻr: des Ă©motions violentes, viriles. Appellerait-on mononcles ces auteurs qui osent parler de leur vĂ©cu? Bien sĂ»r que non: leur vie, cela va de soi, est nĂ©cessairement digne dâintĂ©rĂȘt, contrairement aux histoires de bonnes femmes (la bonne femme, une sous-catĂ©gorie, lĂ , sans mĂȘme y toucher). Plus encore: si lâon tente de renverser la sexuation de la madamisation, il faut recourir au mot monsieur. Quand se moque-t-on dâun monsieur?
Ma mĂšre me disait souvent que les mots ne font pas mal. CâĂ©tait Ă une Ă©poque oĂč on ne portait guĂšre attention Ă la charge Ă©motionnelle de certains vocables. On nâen est plus lĂ . Le terme «madamisation» me reste en travers de la gorge Ă cause de toutes les connotations quâil charrie: mĂ©diocritĂ©, complaisance, futilitĂ©. Le recours Ă la matante pour indiquer un type de femme sans consistance, dĂ©passĂ©e par les Ă©vĂ©nements, mallĂ©able et pas trop brillante, ne passe pas mieux aux douanes. Je riais des matantes quand jâavais 12 ans et que jâĂ©tais mal dans ma peau. Jâen suis maintenant solidaire.
Sur les tablettes
 dâun supermarchĂ©
 prÚs de chez vous
I.B.
Ăa a commencĂ© doucement, on ne sait plus quand. DĂ©jĂ , quand jâĂ©tais petite, ça existait: il y avait de lâantisudorifique pour homme, et de lâantisudorifique pour femme â «Assez fort pour lui, mais conçu pour elle». Apparemment, la transpiration ne ressortit pas Ă la condition humaine, mais bien au sexe: les glandes sudoripares ont un genre. Ă lâĂ©poque, ça nâĂ©tait pas questionnĂ©: ça semblait normal quâil y ait certains produits pour les hommes, dâautres pour les femmes. Mais qui sait? Ăa a peut-ĂȘtre surpris le jour oĂč le premier produit pour elle ou pour lui a Ă©tĂ© «inventé», va savoir. Le fait est que lorsquâon grandit avec ces produits, leur existence semble aller de soi. Ăa meuble notre environnement, ça nous est familier, et ce qui nous est familier nous paraĂźt bientĂŽt «naturel»⊠jusquâĂ ce que dâautres produits fassent leur apparition. LâĂ©trangetĂ© du phĂ©nomĂšne ne nous effleure que lorsquâun produit qui existait auparavant dans sa plus grande neutralitĂ© affiche tout Ă coup du bimorphisme sexuel, et encore: la pensĂ©e du genre est tellement ancrĂ©e en nous que lâapparition sur les tablettes de produits dĂ©sormais dĂ©clinĂ©s en deux versions nous semble presque aller de soi.
Dans un cas comme dans lâautre, la question se pose: quelles limites au marketing genrĂ©? Car quâil soit question de crayons ou de dentifrice, on ne peut se rĂ©clamer de la nature pour justifier lâexistence de produits diffĂ©renciĂ©s â surtout quand lâhumanitĂ© a pu sâen passer jusquâici. Les biologistes et les gĂ©nĂ©ticiens sâentendent de nos jours pour soutenir quâil nây a pas de frontiĂšre nette entre lâun et lâautre sexe, comme on lâa longtemps cru. Un modĂšle conceptuel plus juste serait celui du spectre, du continuum. Albert Jacquard aimait rappeler que le sexe nâest rien dâautre quâune «astuce technique» pour assurer la reproduction de lâespĂšce â un mĂ©canisme de procrĂ©ation parmi dâautres â, insistant sur le fait que les retombĂ©es culturelles Ă©taient dĂ©mesurĂ©es en regard de son utilitĂ©. Pensons-y: Ă lâĂ©chelle dâune vie, ces spĂ©cificitĂ©s reproductives ne sont pas requises si souvent â car on ne parle pas de sexualitĂ©, de plaisir des corps, mais bien de procrĂ©ation. Mais alors que les biologistes nous mĂšnent Ă cette conclusion, les agents de mise en marchĂ©, eux, multiplient Ă lâenvi les produits consacrant la DiffĂ©rence.
Il y a les classiques, ceux qui meublent le paysage depuis plus longtemps: lâantisudorifique, on lâa dit, puis le parfum. Les jouets pour enfants aussi. Mais ces derniers ne sont pas souvent mis en question â hors des groupes fĂ©ministes, du moins â parce quâils sont justement vus comme des outils indispensables de socialisation, dâapprentissage de la DiffĂ©rence (sans que personne note que si le genre a besoin dâun apprentissage, câest peut-ĂȘtre quâil nâest pas si naturel que ça, hĂ©). Quâadviendrait-il de nos enfants si les unes perdaient contact avec leur princesse intĂ©rieure, et les autres, avec le guerrier qui sommeille en eux?, je vous le demande, ma bonne dame.
Puis il y a les nouveautĂ©s, qui se multiplient actuellement. Ainsi, en version «pour elle» et «pour lui», on trouve de nos jours des stylos, des bouchons dâoreilles (!), des tĂ©lĂ©phones portables, des brosses Ă dents, des boissons Ă©nergĂ©tiques, de la biĂšre, des coffres Ă outils, des GPS (!), des mouchoirs, et jâen passe.
On pensait peut-ĂȘtre que lâalimentaire y Ă©chapperait? Nah! La viande nâest-elle pas masculine, les lĂ©gumes, fĂ©minins? Mais les filles se dĂ©niaisent, il leur arrive de manger de la viande. DĂšs lors, il convient de reconfigurer les territoires: dans certains restaurants, on offrira des burgers pour homme, et des burgers pour femme. VoilĂ quâon invente de nouvelles distinctions: du yogourt pour homme, des bouteilles dâeau distinctes pour elle et lui, des saucisses pour elle (faibles en matiĂšres grasses). MĂȘme: du laxatif pour lui, du laxatif pour elle, câest-y pas beau, ça: la DiffĂ©rence intestinale! On pourrait continuer, la liste est longue et de nouveaux produits apparaissent Ă chaque semaine. Tiens, les derniers en date: du vin, du thĂ©, du pain (du pain!). Sans compter que certains autres, pour nâĂȘtre pas nĂ©cessairement identifiĂ©s «pour homme» ou «pour femme», nâen demeurent pas moins emballĂ©s dans des couleurs et motifs genrĂ©s et que, bien souvent, la publicitĂ© prolonge le travail de lâemballage.
DerriĂšre tous les objets ainsi fabriquĂ©s â formatĂ©s â et destinĂ©s aux hommes ou aux femmes, se terre la perception persistante dâune DiffĂ©rence: ce qui est masculin est robuste, ce qui est fĂ©minin est dĂ©licat. DĂ©cidĂ©ment, les stĂ©rĂ©otypes que lâon sâemploie pourtant Ă questionner et Ă dĂ©construire depuis plus de 40 ans ne se laissent pas dĂ©loger si facilement. La possibilitĂ© dâune variation intrasexe nâest mĂȘme jamais suggĂ©rĂ©e: de la belle grosse DiffĂ©rence Nette, voilĂ ce qui est venduâŠ
Tout ce quâon souhaite, câest que les plus absurdes de ces propositions finissent par nous faire constater lâabsurditĂ© du procĂ©dĂ© lui-mĂȘme. Mais on nâen est pas lĂ , de toute Ă©vidence. Les enfants dâaujourdâhui grandissent dans un environnement oĂč dâinnombrables produits sont diffĂ©renciĂ©s, pas seulement lâantisudorifique⊠Moi je dis: «à quand la banane pour homme et la banane pour femme?» Monsanto devrait sây mettre, il y a de lâavenir, tant la pensĂ©e binaire est ancrĂ©e profondĂ©ment⊠et quâelle fait vendre, fait vendre et vendreâŠ
Les filles
de la construction
L.J.
Quand je vois une fille occuper un de ces emplois que lâon croyait, il nây a pas si longtemps, rĂ©servĂ©s aux hommes, me vient en tĂȘte cette scĂšne hilarante de Mademoiselle Autobody, des Folles AlliĂ©es: TimothĂ©e veut faire rĂ©parer sa voiture mais il est inquiet de voir que le garage local a Ă©tĂ© rachetĂ© par une fille; il dit au maire: «Son chum ou ben son mari va arriver, ça va ĂȘtre lui le mĂ©canicien». Le maire rĂ©pond, au grand dam de lâintĂ©ressĂ©: «Non MothĂ©e. A lâa dĂ» suivre un cours de non-traditionnel».
Oserais-je avouer que moi-mĂȘme, qui pratique le fĂ©minisme comme une erreligion (Ă prononcer en roulant les «erres» comme les Ursulines, que je salue en passant), jâai dĂ©jĂ eu, dans une vie antĂ©rieure, cette rĂ©action devant une fille qui se trouvait lĂ oĂč, normalement, aurait dĂ» se trouver un gars? Si je confesse mes spasmes de misogynie passĂ©s, câest que ce rĂ©flexe est plus rĂ©pandu quâon le pense chez les femmes, encore maintenant. Mais il est, quâon se rassure, bien rĂ©volu le temps oĂč je croyais quâun homme Ă la quincaillerie saurait mieux mĂȘler mes couleurs. Maintenant, je fais de la sĂ©lection positive: si jâentre dans un Rona, câest vers la fille que je cours mâinformer pour trouver les clous que je vais planter tout de travers. Je sais que les filles sont aussi bonnes que les gars pour ces questions; je me le suis rĂ©pĂ©tĂ© assez souvent. Question rĂ©glĂ©e.
Ou presque: jâai fait rĂ©nover ma cuisine rĂ©cemment et jâadorerais dire que les gars et les filles ont fait un travail formidable mais, dans ce domaine, le tableau nâa pas beaucoup changĂ©. Câest une femme qui a dessinĂ© les plans â admirables, vous viendrez voir â et ce sont des gars qui les ont matĂ©rialisĂ©s. MĂȘme si jâaime bien voir une femme aux commandes dâun projet, je me suis demandĂ© oĂč Ă©taient les filles peintres, Ă©bĂ©nistes, les Ă©lectriciennes, les maçonnes? Que des hommes dans ma cuisine, mais un progrĂšs, que je considĂšre ĂNORME: personne nâa insinuĂ© que mon mari mâavait offert un beau cadeau (peut-ĂȘtre parce que câest moi qui signais les chĂšquesâŠ). On Ă©volue, on Ă©volue: je me rappelle avoir vu Ă lâExpo de Trois-RiviĂšres un brave gars vendant des meubles quâil fabriquait lui-mĂȘme sous la banniĂšre «RĂȘve de femme».
Les filles, donc, Ă©taient absentes de ma cuisine; câest assez ironique en soi, cet endroit Ă©tant, on le sait, du ressort du sexe fĂ©minin â Ă part pour la cuisine spectacle, quand il sâagit dâaligner savamment quatre crevettes et une rose de gingembre pour la modique somme de 32$. Mais elles continuent par ailleurs dâinvestir les bastions masculins; elles deviennent soudeuses (jâen ai eu une dans ma famille et je nâen suis pas peu fiĂšre; je ne lui ai pas dit quâelle Ă©tait pour moi un symbole fĂ©ministe; je craignais confusĂ©ment de lâapeurer et de la voir partir en courant pour retourner vers la tradition); elles discutent travaux de voirie, entre deux Ă©pandages dâasphalte, le casque orange bien plantĂ© sur la tĂȘte, elles salivent en entrant chez Canadian Tire autant que moi dans une librairie. Tout ça me fait Ă©normĂ©ment plaisir⊠et me ramĂšne Ă une de mes propres contradictions.
Jâai Ă©tudiĂ© en lettres, jâenseigne la littĂ©rature, un des dĂ©partements les plus fĂ©minins qui soient, oĂč lâon a longtemps vu des classes complĂštes de filles boire les paroles de professeurs masculins assez au fait du pouvoir de sĂ©duction quâils exerçaient. Si la situation a progressĂ© ici aussi, les statistiques favorisent encore les hommes: toutes proportions gardĂ©es, les gars sont plus nombreux Ă obtenir des diplĂŽmes de doctorat en littĂ©rature, Ă investir les responsabilitĂ©s de reprĂ©sentants Ă©tudiants, Ă cogner aux portes pour demander des assistanats de recherche, etc. Souvent, jâai envie de dire aux filles: «Quâattendez-vous?» Et câest lĂ que, subitement, mon paradoxe me rattrape. Suis-je si diffĂ©rente de ces filles qui nâosent pas se mettre de lâavant? Nâai-je pas choisi un domaine un peu pĂ©pĂšre (mĂ©mĂšre serait plus juste!) par peur dâĂȘtre confrontĂ©e Ă une rĂ©sistance masculine de quelque sorte quâelle soit? Ici mĂȘme, dans mon travail, alors quâon dĂ©plore le peu de femmes dans les hauts postes administratifs, pourquoi est-ce que je ne pose pas ma candidature? Est-ce vraiment parce que le pouvoir ne mâintĂ©resse pas, parce que je prĂ©fĂšre lâenseignement, la recherche? TĂątons-nous, tĂątons-nous.
Dans ces instants, câest une anecdote dâHillary Clinton qui me vient Ă lâesprit, dont les dĂ©tails mâĂ©chappent mais qui garde son sens: alors quâelle invitait des fe...