Mines de rien
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Mines de rien

Chroniques insolentes

  1. 162 pages
  2. French
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Mines de rien

Chroniques insolentes

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À propos de ce livre

La mine, c'est Ă  la fois le crayon, l'expression et le potentiel explosif. Nous disons mines de rien, parce qu'il s'agit de petites choses, ces petits riens souvent passĂ©s sous silence, et qui, pourtant, nous minent.Trois professeures de lettres dĂ©laissent les formes acadĂ©miques pour se donner le plaisir des billets d'humeur, de l'archĂ©ologie du quotidien, en solidaritĂ© avec toutes celles qui subissent les humiliations invisibles. TĂȘtues, critiques, moqueuses ou graves, elles s'entendent sur un point: si le monde a beaucoup changĂ©, si l'Ă©galitĂ© semble Ă  portĂ©e de main, le sexisme demeure bien vivace partout.Mines de rien, ce sont trois fĂ©ministes qui mettent en commun leurs plumes grinçantes pour dĂ©peindre nos travers avec des lunettes pas vraiment roses. Du marketing aux toilettes publiques, en passant par les mĂ©dias sociaux, la culture du viol, l'instinct maternel ou la masturbation, leurs chroniques s'indignent de l'ordinaire sexiste, et prouvent qu'il est aussi arbitraire qu'anachronique. Ici la conscience aiguĂ« du phallocentrisme n'est pas un poids, mais un moteur. Mieux vaut, paraĂźt-il, en rire. Mieux vaut surtout s'en indigner.*Isabelle Boisclair, Lucie Joubert et Lori Saint-Martin sont auteures et professeures de littĂ©rature Ă  l'universitĂ©.

Foire aux questions

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Informations

Année
2015
ISBN
9782890915053

Les ennemies no 1 et 2:
 la madame
 et la matante

L.J.

Les fĂ©ministes peuvent souffler un peu: on les prend encore Ă  partie assez souvent par les temps qui courent mais, dans le hit parade des objets de moquerie, elles sont presque supplantĂ©es en ce moment par deux autres figures fĂ©minines concomitantes aussi hautes en couleur – je dis presque parce qu’on n’abandonne pas une premiĂšre position, quelle qu’elle soit, sans pincement au cƓur. Sonnez trompettes, le rĂšgne de la madame et de la matante est arrivĂ©.
Elles sont presque jumelles; elles participent l’une de l’autre; elles sont intimement imbriquĂ©es. Elles ont une histoire. Leur ancĂȘtre: la dame Ă  chapeau qui roule lentement en voiture, garde son couvre-chef – bien peu chef, en fait – sur la tĂȘte durant les confĂ©rences culturelles, passe ses commentaires pendant un film, et s’exclame pĂ©riodiquement: «On est-tu ben sans nos maris!». Cette figure n’avait jusqu’à maintenant pas beaucoup de pouvoir, sinon celui de nous irriter; on dĂ©couvre aujourd’hui avec stupeur que ses descendantes sont en train de changer le visage de la sociĂ©tĂ© quĂ©bĂ©coise qui ne parle plus que de madamisation et de matantisation.
Cette tendance Ă  garder le fĂ©minin dans la mire du ridicule cristallise donc des nĂ©ologismes dont l’implantation dans le vocabulaire journalistique est aussi rapide que suspect. Ainsi, selon StĂ©phane Baillargeon du Devoir, on doit Ă  l’une de ses collĂšgues (fĂ©ministe, on n’arrĂȘte pas le progrĂšs) l’expression «madamisation des mĂ©dias» pour illustrer la tendance tĂ©lĂ©visuelle actuelle vers la miĂšvrerie et le pas-de-contenu. Mais attention: n’est pas madame, donc indice de flĂ©chissement intellectuel, qui veut. Ici, on parle, avec Baillargeon, de «l’institutionnalisation de la bourgeoise, de l’arriviste et de la faiseuse»; il faut de l’argent: ce n’est donc pas Ă  la portĂ©e de toutes les bourses, mĂȘme en comptant celles du mari. La madame nouvelle est «choyĂ©e, hors du foyer», «friquĂ©e et culturobranchouillĂ©e» (je vous avais prĂ©venus pour les nĂ©ologismes), nous entretient de ses «bobos de Bobos»; bref, elle se plaint le ventre plein et on n’en peut plus d’entendre ses rĂ©criminations. Soit.
La matante n’est pas aussi privilĂ©giĂ©e que sa consƓur: elle jouit d’un pouvoir financier et d’une aura d’influence moindres, mais, au final, se rĂ©vĂšle tout aussi agaçante dans son omniprĂ©sence et son association avec l’idĂ©e du nivellement par le bas. On honnit ses effets en littĂ©rature: «Écrire c’est d’abord et avant tout une entreprise intellectuelle, statue doctement Pierre Samson, lĂąchez-nous les jarrets avec vos Ă©mois de matante». On l’institue en catĂ©gorie sociale: parlant de Louis-JosĂ© Houde, Fabien Deglise relĂšvera «l’efficacitĂ© avec laquelle il dĂ©crispe, sĂ©duit, fait fondre la “matante” ordinaire, tout comme la jeune fille bien de son temps». Il faut noter la petite gĂȘne suggĂ©rĂ©e par les guillemets et comprendre qu’en plus d’ĂȘtre Ă©nervante, la matante est iiiiiiiii nerveuse et pas sortie du bois.
Enfin, la matante est, sur tous les fronts, persona non grata. On rappellera pour mĂ©moire cette tirade de Guillaume Wagner, l’humoriste: «On ne veut pas de matantes dans la salle. Elles ne comprendront pas mon humour. Truc rapide pour Ă©liminer les matantes? T’as juste Ă  faire une joke chienne sur quelqu’un de connu qu’elles aiment. N’importe qui! Du genre: “Marie-Élaine Thibert est tellement laide que ça devrait ĂȘtre dĂ©ductible d’impĂŽt de la fourrer”» – rĂ©fĂ©rence disponible partout, mais alors lĂ  partout, sur le web.
Les matantes sont un brin masochistes de payer le gros prix pour entendre cet humoriste; elles pourraient se lasser. Si j’étais lui, je les mĂ©nagerais. Je ne m’étendrai pas sur ce qu’il y a de colon – dans le sens anatomique du terme – au cƓur de cette attaque gratuite contre une chanteuse; je m’attarderai plutĂŽt au caractĂšre sexuĂ© de ces figures du discours social. Que l’ancienne madame, la dame Ă  chapeau, celle du canal 10, dont il faisait bon se moquer et qui venait d’un milieu modeste, ait Ă©tĂ© remplacĂ©e par son ersatz, la matante (la madame actuelle Ă©tant, on l’a vu, maintenant riche, narcissique et probablement nĂ©vrosĂ©e), ne change rien au fond de la question: ces types fĂ©minins sont associĂ©s au superficiel, Ă  l’ignorance, au culte de la bĂȘtise institutionnalisĂ©e; ils font Ă©cran aux vrais dĂ©bats, Ă  l’information substantielle. On les tient responsables de l’écroulement de la culture.
On me dira, Ă  l’instar de StĂ©phane Baillargeon, qui revient sur le sujet, que «le mot importe moins que la chose», et qu’il est trĂšs simple de trouver aux madames et aux matantes des correspondants masculins, qu’il «y a la mononc’isation aussi», «la bonhommisation», «le prout prout ma chĂšre face au prout prout tout court», que la bĂȘtise est Ă©quitablement rĂ©partie, hĂ©las, entre les deux sexes. Sans doute. Il faut alors se questionner sur la fulgurante popularitĂ© du terme et sur la surenchĂšre dans son utilisation, alors que le mononcle, lui, est absent de la place publique, et subsiste Ă  peine dans l’expression «dis pardon, mon oncle4» ou alors comme rĂ©fĂ©rent libidineux des partys de NoĂ«l. (À cet Ă©gard, on constatera que le mononcle cochon, s’il est redoutĂ© par les filles, jouit auprĂšs de tous les autres membres de la famille d’une grande indulgence car, aprĂšs tout, c’est l’alcool qui le rend si entreprenant: sobre, il ne vous mettrait jamais la main aux fesses.)
Baillargeon propose, aprĂšs avoir allumĂ© le feu, de trouver un terme plus neutre comme «estivalisation des mĂ©dias»; intĂ©ressant, mais cela n’enlĂšve rien au fait que le premier rĂ©flexe a Ă©tĂ© d’imputer la dĂ©rive d’une information dĂ©cervelĂ©e et sans envergure Ă  un prototype fĂ©minin. Ce n’est pas innocent ni sans consĂ©quence, c’est mĂȘme diablement symbolique.
Songe-t-on Ă  traiter de mononcles ces gĂ©rants d’estrade qui pĂ©rorent Ă  l’écran sur la derniĂšre blessure Ă  la laine de nos millionnaires en patin? Non: on les trouve idiots, Ă  la limite, et on change de poste. Aurait-on le rĂ©flexe de dire de Jeff Fillion que c’est un mononcle? Douteux. On le conspue ou on adore le haĂŻr: des Ă©motions violentes, viriles. Appellerait-on mononcles ces auteurs qui osent parler de leur vĂ©cu? Bien sĂ»r que non: leur vie, cela va de soi, est nĂ©cessairement digne d’intĂ©rĂȘt, contrairement aux histoires de bonnes femmes (la bonne femme, une sous-catĂ©gorie, lĂ , sans mĂȘme y toucher). Plus encore: si l’on tente de renverser la sexuation de la madamisation, il faut recourir au mot monsieur. Quand se moque-t-on d’un monsieur?
Ma mĂšre me disait souvent que les mots ne font pas mal. C’était Ă  une Ă©poque oĂč on ne portait guĂšre attention Ă  la charge Ă©motionnelle de certains vocables. On n’en est plus lĂ . Le terme «madamisation» me reste en travers de la gorge Ă  cause de toutes les connotations qu’il charrie: mĂ©diocritĂ©, complaisance, futilitĂ©. Le recours Ă  la matante pour indiquer un type de femme sans consistance, dĂ©passĂ©e par les Ă©vĂ©nements, mallĂ©able et pas trop brillante, ne passe pas mieux aux douanes. Je riais des matantes quand j’avais 12 ans et que j’étais mal dans ma peau. J’en suis maintenant solidaire.
4. Ou dans une publicité de voiture: Tasse-toi mononcle


Sur les tablettes
 d’un supermarchĂ©
 prÚs de chez vous

I.B.

Ça a commencĂ© doucement, on ne sait plus quand. DĂ©jĂ , quand j’étais petite, ça existait: il y avait de l’antisudorifique pour homme, et de l’antisudorifique pour femme – «Assez fort pour lui, mais conçu pour elle». Apparemment, la transpiration ne ressortit pas Ă  la condition humaine, mais bien au sexe: les glandes sudoripares ont un genre. À l’époque, ça n’était pas questionnĂ©: ça semblait normal qu’il y ait certains produits pour les hommes, d’autres pour les femmes. Mais qui sait? Ça a peut-ĂȘtre surpris le jour oĂč le premier produit pour elle ou pour lui a Ă©tĂ© «inventé», va savoir. Le fait est que lorsqu’on grandit avec ces produits, leur existence semble aller de soi. Ça meuble notre environnement, ça nous est familier, et ce qui nous est familier nous paraĂźt bientĂŽt «naturel»  jusqu’à ce que d’autres produits fassent leur apparition. L’étrangetĂ© du phĂ©nomĂšne ne nous effleure que lorsqu’un produit qui existait auparavant dans sa plus grande neutralitĂ© affiche tout Ă  coup du bimorphisme sexuel, et encore: la pensĂ©e du genre est tellement ancrĂ©e en nous que l’apparition sur les tablettes de produits dĂ©sormais dĂ©clinĂ©s en deux versions nous semble presque aller de soi.
Dans un cas comme dans l’autre, la question se pose: quelles limites au marketing genrĂ©? Car qu’il soit question de crayons ou de dentifrice, on ne peut se rĂ©clamer de la nature pour justifier l’existence de produits diffĂ©renciĂ©s – surtout quand l’humanitĂ© a pu s’en passer jusqu’ici. Les biologistes et les gĂ©nĂ©ticiens s’entendent de nos jours pour soutenir qu’il n’y a pas de frontiĂšre nette entre l’un et l’autre sexe, comme on l’a longtemps cru. Un modĂšle conceptuel plus juste serait celui du spectre, du continuum. Albert Jacquard aimait rappeler que le sexe n’est rien d’autre qu’une «astuce technique» pour assurer la reproduction de l’espĂšce – un mĂ©canisme de procrĂ©ation parmi d’autres –, insistant sur le fait que les retombĂ©es culturelles Ă©taient dĂ©mesurĂ©es en regard de son utilitĂ©. Pensons-y: Ă  l’échelle d’une vie, ces spĂ©cificitĂ©s reproductives ne sont pas requises si souvent – car on ne parle pas de sexualitĂ©, de plaisir des corps, mais bien de procrĂ©ation. Mais alors que les biologistes nous mĂšnent Ă  cette conclusion, les agents de mise en marchĂ©, eux, multiplient Ă  l’envi les produits consacrant la DiffĂ©rence.
Il y a les classiques, ceux qui meublent le paysage depuis plus longtemps: l’antisudorifique, on l’a dit, puis le parfum. Les jouets pour enfants aussi. Mais ces derniers ne sont pas souvent mis en question – hors des groupes fĂ©ministes, du moins – parce qu’ils sont justement vus comme des outils indispensables de socialisation, d’apprentissage de la DiffĂ©rence (sans que personne note que si le genre a besoin d’un apprentissage, c’est peut-ĂȘtre qu’il n’est pas si naturel que ça, hĂ©). Qu’adviendrait-il de nos enfants si les unes perdaient contact avec leur princesse intĂ©rieure, et les autres, avec le guerrier qui sommeille en eux?, je vous le demande, ma bonne dame.
Puis il y a les nouveautĂ©s, qui se multiplient actuellement. Ainsi, en version «pour elle» et «pour lui», on trouve de nos jours des stylos, des bouchons d’oreilles (!), des tĂ©lĂ©phones portables, des brosses Ă  dents, des boissons Ă©nergĂ©tiques, de la biĂšre, des coffres Ă  outils, des GPS (!), des mouchoirs, et j’en passe.
On pensait peut-ĂȘtre que l’alimentaire y Ă©chapperait? Nah! La viande n’est-elle pas masculine, les lĂ©gumes, fĂ©minins? Mais les filles se dĂ©niaisent, il leur arrive de manger de la viande. DĂšs lors, il convient de reconfigurer les territoires: dans certains restaurants, on offrira des burgers pour homme, et des burgers pour femme. VoilĂ  qu’on invente de nouvelles distinctions: du yogourt pour homme, des bouteilles d’eau distinctes pour elle et lui, des saucisses pour elle (faibles en matiĂšres grasses). MĂȘme: du laxatif pour lui, du laxatif pour elle, c’est-y pas beau, ça: la DiffĂ©rence intestinale! On pourrait continuer, la liste est longue et de nouveaux produits apparaissent Ă  chaque semaine. Tiens, les derniers en date: du vin, du thĂ©, du pain (du pain!). Sans compter que certains autres, pour n’ĂȘtre pas nĂ©cessairement identifiĂ©s «pour homme» ou «pour femme», n’en demeurent pas moins emballĂ©s dans des couleurs et motifs genrĂ©s et que, bien souvent, la publicitĂ© prolonge le travail de l’emballage.
DerriĂšre tous les objets ainsi fabriquĂ©s – formatĂ©s – et destinĂ©s aux hommes ou aux femmes, se terre la perception persistante d’une DiffĂ©rence: ce qui est masculin est robuste, ce qui est fĂ©minin est dĂ©licat. DĂ©cidĂ©ment, les stĂ©rĂ©otypes que l’on s’emploie pourtant Ă  questionner et Ă  dĂ©construire depuis plus de 40 ans ne se laissent pas dĂ©loger si facilement. La possibilitĂ© d’une variation intrasexe n’est mĂȘme jamais suggĂ©rĂ©e: de la belle grosse DiffĂ©rence Nette, voilĂ  ce qui est vendu

Tout ce qu’on souhaite, c’est que les plus absurdes de ces propositions finissent par nous faire constater l’absurditĂ© du procĂ©dĂ© lui-mĂȘme. Mais on n’en est pas lĂ , de toute Ă©vidence. Les enfants d’aujourd’hui grandissent dans un environnement oĂč d’innombrables produits sont diffĂ©renciĂ©s, pas seulement l’antisudorifique
 Moi je dis: «À quand la banane pour homme et la banane pour femme?» Monsanto devrait s’y mettre, il y a de l’avenir, tant la pensĂ©e binaire est ancrĂ©e profondĂ©ment
 et qu’elle fait vendre, fait vendre et vendre


Les filles
de la construction

L.J.

Quand je vois une fille occuper un de ces emplois que l’on croyait, il n’y a pas si longtemps, rĂ©servĂ©s aux hommes, me vient en tĂȘte cette scĂšne hilarante de Mademoiselle Autobody, des Folles AlliĂ©es: TimothĂ©e veut faire rĂ©parer sa voiture mais il est inquiet de voir que le garage local a Ă©tĂ© rachetĂ© par une fille; il dit au maire: «Son chum ou ben son mari va arriver, ça va ĂȘtre lui le mĂ©canicien». Le maire rĂ©pond, au grand dam de l’intĂ©ressĂ©: «Non MothĂ©e. A l’a dĂ» suivre un cours de non-traditionnel».
Oserais-je avouer que moi-mĂȘme, qui pratique le fĂ©minisme comme une erreligion (Ă  prononcer en roulant les «erres» comme les Ursulines, que je salue en passant), j’ai dĂ©jĂ  eu, dans une vie antĂ©rieure, cette rĂ©action devant une fille qui se trouvait lĂ  oĂč, normalement, aurait dĂ» se trouver un gars? Si je confesse mes spasmes de misogynie passĂ©s, c’est que ce rĂ©flexe est plus rĂ©pandu qu’on le pense chez les femmes, encore maintenant. Mais il est, qu’on se rassure, bien rĂ©volu le temps oĂč je croyais qu’un homme Ă  la quincaillerie saurait mieux mĂȘler mes couleurs. Maintenant, je fais de la sĂ©lection positive: si j’entre dans un Rona, c’est vers la fille que je cours m’informer pour trouver les clous que je vais planter tout de travers. Je sais que les filles sont aussi bonnes que les gars pour ces questions; je me le suis rĂ©pĂ©tĂ© assez souvent. Question rĂ©glĂ©e.
Ou presque: j’ai fait rĂ©nover ma cuisine rĂ©cemment et j’adorerais dire que les gars et les filles ont fait un travail formidable mais, dans ce domaine, le tableau n’a pas beaucoup changĂ©. C’est une femme qui a dessinĂ© les plans – admirables, vous viendrez voir – et ce sont des gars qui les ont matĂ©rialisĂ©s. MĂȘme si j’aime bien voir une femme aux commandes d’un projet, je me suis demandĂ© oĂč Ă©taient les filles peintres, Ă©bĂ©nistes, les Ă©lectriciennes, les maçonnes? Que des hommes dans ma cuisine, mais un progrĂšs, que je considĂšre ÉNORME: personne n’a insinuĂ© que mon mari m’avait offert un beau cadeau (peut-ĂȘtre parce que c’est moi qui signais les chĂšques
). On Ă©volue, on Ă©volue: je me rappelle avoir vu Ă  l’Expo de Trois-RiviĂšres un brave gars vendant des meubles qu’il fabriquait lui-mĂȘme sous la banniĂšre «RĂȘve de femme».
Les filles, donc, Ă©taient absentes de ma cuisine; c’est assez ironique en soi, cet endroit Ă©tant, on le sait, du ressort du sexe fĂ©minin – Ă  part pour la cuisine spectacle, quand il s’agit d’aligner savamment quatre crevettes et une rose de gingembre pour la modique somme de 32$. Mais elles continuent par ailleurs d’investir les bastions masculins; elles deviennent soudeuses (j’en ai eu une dans ma famille et je n’en suis pas peu fiĂšre; je ne lui ai pas dit qu’elle Ă©tait pour moi un symbole fĂ©ministe; je craignais confusĂ©ment de l’apeurer et de la voir partir en courant pour retourner vers la tradition); elles discutent travaux de voirie, entre deux Ă©pandages d’asphalte, le casque orange bien plantĂ© sur la tĂȘte, elles salivent en entrant chez Canadian Tire autant que moi dans une librairie. Tout ça me fait Ă©normĂ©ment plaisir
 et me ramĂšne Ă  une de mes propres contradictions.
J’ai Ă©tudiĂ© en lettres, j’enseigne la littĂ©rature, un des dĂ©partements les plus fĂ©minins qui soient, oĂč l’on a longtemps vu des classes complĂštes de filles boire les paroles de professeurs masculins assez au fait du pouvoir de sĂ©duction qu’ils exerçaient. Si la situation a progressĂ© ici aussi, les statistiques favorisent encore les hommes: toutes proportions gardĂ©es, les gars sont plus nombreux Ă  obtenir des diplĂŽmes de doctorat en littĂ©rature, Ă  investir les responsabilitĂ©s de reprĂ©sentants Ă©tudiants, Ă  cogner aux portes pour demander des assistanats de recherche, etc. Souvent, j’ai envie de dire aux filles: «Qu’attendez-vous?» Et c’est lĂ  que, subitement, mon paradoxe me rattrape. Suis-je si diffĂ©rente de ces filles qui n’osent pas se mettre de l’avant? N’ai-je pas choisi un domaine un peu pĂ©pĂšre (mĂ©mĂšre serait plus juste!) par peur d’ĂȘtre confrontĂ©e Ă  une rĂ©sistance masculine de quelque sorte qu’elle soit? Ici mĂȘme, dans mon travail, alors qu’on dĂ©plore le peu de femmes dans les hauts postes administratifs, pourquoi est-ce que je ne pose pas ma candidature? Est-ce vraiment parce que le pouvoir ne m’intĂ©resse pas, parce que je prĂ©fĂšre l’enseignement, la recherche? TĂątons-nous, tĂątons-nous.
Dans ces instants, c’est une anecdote d’Hillary Clinton qui me vient Ă  l’esprit, dont les dĂ©tails m’échappent mais qui garde son sens: alors qu’elle invitait des fe...

Table des matiĂšres

  1. Avant-propos
  2. PERSISTANTS DIFFÉRENCE, AGAÇANTE DIFFÉRENCE
  3. C’est qui, le sexiste, DÉJÀ?
  4. Comment fabriquer la différence sexuelle en 10 étapes faciles
  5. Who cares? Les femmes, comme par hasard
  6. Politique du pipi
  7. Flippe-moi ça!
  8. Cinquante ans d’écart
  9. Les ennemies no 1 et 2: la madame et la matante
  10. Sur les tablettes d’un supermarchĂ© prĂšs de chez vous
  11. Les filles de la construction
  12. MALAISES CULTURELS
  13. Cherchez les femmes
  14. Un Ă©crivain, une Ă©crivaine
  15. Les nƓuds de la prostitution
  16. Hors cadre
  17. DĂ©tournement de fond/s
  18. Aimer. Materner. Jeter le bĂ©bĂ© avec l’eau du bain
  19. HOMMES DE BONNE ET DE MAUVAISE VOLONTÉ
  20. Les couacs d’une cantate
  21. «Ta» femme et «tes» enfants? suivi de «Lettre Ă  celui qui »
  22. Les pĂšres cool, les mĂšres nulles
  23. L’homme des tavernes 2.0
  24. La vie sans rose
  25. Gynocide: le «y» décisif
  26. L’ÉCOLE DE LA FÉMINITÉ
  27. Aimez-vous! C’est un ordre!
  28. La nouvelle pitoune19, mĂȘme vieille poutine

  29. Poser la question, c’est y rĂ©pondre
  30. Les femmes tremblent encore
  31. La peur du cirque
  32. Je fais (nous faisons) partie de ce groupe: #YesAllWomen
  33. Talons des filles, talons d’Achille
  34. Main basse sur l’imaginaire
  35. La nature dénaturée
  36. Les mots sales
  37. MSN et moi
  38. JEUNESSES DU FÉMINISME
  39. On est toujours trop gentilles
  40. Les nouvelles radicales
  41. Comment fabriquer des intellectuelles?
  42. C’est quoi, ĂȘtre fĂ©ministe, dĂ©jĂ ?
  43. RÉFÉRENCES