Au cœur de la baleine
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Au cœur de la baleine

Obésité et transformation

  1. 160 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Au cœur de la baleine

Obésité et transformation

Détails du livre
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Table des matières
Citations

À propos de ce livre

L'auteure nous raconte son expérience de l'obésité et nous livre ses impressions sur le processus de changement qu'elle a vécu en perdant 60 kilos. Loin du livre de recettes, c'est une suite de réflexions autour de thèmes comme la représentation du corps, le plaisir, la souffrance...«Ce livre décrit beaucoup plus que l'itinéraire d'une obèse dans sa lutte pour redevenir conforme aux diktats d'une société. C'est une analyse déchirante de nos rapports avec les êtres et la nourriture...» — Hélène Laberge, L'Agora

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Informations

LE CŒUR GROS

L’histoire dont il s’agit

L’histoire que je voudrais raconter concerne une femme dans la foule, comme il en existe des milliers, Je voudrais parler à la fois de cette femme et de la foule, et cela me semble si difficile, entre autres parce qu’elle se tait et que mon désir n ’est là maintenant que pour l’entendre, bien que pendant des années elle me fut parfaitement indifférente. Et cette histoire ne pourra se dire qu’à la condition de capter l’onde fine détachée du magma humain, de suivre aussi bien le mouvement épuisé de ses pas que les changements successifs de sa peau, d’observer en détail l’amalgame de la révolte et de la détresse. Il me faudra donc accepter beaucoup d’intimité, il n’est pas certain que j’en sois capable.
Cette femme sera bientôt âgée de quarante ans, elle n’imagine plus l’avenir malgré toutes les promesses que lui procure une certaine réussite. Elle défend les mots, eux seuls, et leur chemin lui semble obscur: comment les mots survivent, traversent la petite histoire quotidienne, se déposent dans la bouche, se mélangent entre eux; existe-t-il des passages reliant le corps aux mots, et puis le corps ne pourrait-il être fabriqué que de mots? Elle plane dans un ciel de mots couverts. Les livres lus sont par milliers, chacun d’eux comme une énigme opaque, autant de pages refermées sur la peine. Chaque jour, elle tente de donner vie aux autres corps de la foule, elle écrit des phrases, elle enseigne des titres, que tout cela lui échappe se dit-elle, la tâche s’avère immense, secrètement inutile. Depuis maintenant plusieurs années, elle parle mais sans la parole, son corps n ’est plus que le regard de tous les autres. Une forme de souffrance bien banale, pourquoi s’en soucier?
Son ample manteau couvre ses chevilles, l’hiver sera sans merci comme à l’accoutumée, mais cela n’importe guère, car il y a longtemps qu’elle a froid et que l’amour périt. J’ai prononcé le mot amour, que cela fait drôle au tout début de ce livre, je sais que j’écrirai une histoire d’amour, et que cette femme me servira de prétexte. Il s’agit d’une femme immense, démesurée, elle a peut-être avalé l’amour.
Je suis cette femme-là, il n’y a pas de doute.

Les naissances

Dans les faubourgs à la mélasse où naquirent mes grands- mères, des feux rasèrent un jour leur monde. Ces femmes ont traversé le siècle, connu les secours de la Vierge et l’abandon ordinaire des gouvernants. Les enfants naissaient chaque année. Elles allaient au marché et la nourriture arrivait selon la saison.
Tu t’appelles Germaine, ma mère. Je ne sais pas où tu es née exactement, tu ne m’en as jamais parlé. Dans ta maison de la rue Marie-Louise, il y avait des chats et des tournesols, le sens de l’honneur compensait le manque à gagner. Paraît-il qu’en ces temps de crise, on lavait les prélarts à la cire ; pour faire briller le plancher, la trâlée d’enfants chaussait ses bas de laine, patinait en riant et en se bousculant dans la grande cuisine propre de tous les pauvres. Les bonnes années, à Noël, on distribuait des oranges et des chocolats. Ce soir, des milliers de kilomètres nous séparent, il y a quelque chose de honteux à ne pas savoir où tu es née, dans quelles circonstances, entre les mains de qui, s’il y a eu d’autres maisons que celle de la rue Marie-Louise. Tu m’as raconté ces histoires de bébés morts en couches ou très jeunes, ta petite sœur Cécile morte de la tuberculose, ton frère Emile qui n’a rien reçu du monde que son nom. À l’époque où les docteurs coûtaient trop cher, « Y en savaient pas plus que nous autres », quand on mourait du sang, ou des poumons, ou bien encore de sa belle mort. Les corps, comme la vie, fragiles, emportés au moindre souffle. Des histoires de froid et de faim, et puis de maladie.
Elle fut silencieuse à propos de ses mises au monde, Laura, ma minuscule grand-mère qui jadis grandit dans le faubourg Saint-Jean-Baptiste. Les « maladies », on ne parlait pas de cela aux petites filles. Quand elle mourut à l’Hôpital Général, la transparence couvrait son visage d’enfant qui en avait bien assez vu. La courte vie dans les mêmes quartiers, dans le quadrilatère de l’église, l’école, l’épicerie et la rue commerciale.
Toi non plus, je ne sais pas où tu es né, Jean-Charles, mon père. Il y a eu une rue Montmartre, et ta mère mariée dans le faubourg Saint-Roch. Elle vous laissait souvent parce que chez vous aussi il y avait des maladies étranges qui emportaient les corps et livraient les âmes à Dieu. Puis les grandes opérations qui tranchaient le ventre des femmes et laissaient les cicatrices de la science. Quand elle partait pour l’hôpital, vous les garçons, on vous plaçait à l’orphelinat. Chez vous, on disait « la mère », « le père » pour parler des parents. Et puis à Noël, « c’était ben comme rien ». « On était pauvres mais on mangeait tout le temps, du pain, du beurre, on avait de toute! » Car après tout, Juliette, « pauv’ pas pauv’ », c’était une faiseuse de festins!
Pendant longtemps vous avez habité derrière le cimetière municipal, dit Saint-Charles, et les rats d’égoût couraient le long des tracks du National Canadian. La furie du train noir de marchandises terrorise les enfants-hommes qui ne pleurent pas quand ils tremblent. Peut-être que ta mère t'a donné le nom du cimetière pour te protéger de la mort, toi le plus jeune qui a eu « un métier ». Je sais qu'il y a eu un frère mort de la tuberculose. Tu m'as dit que ton père avait reçu un autre nom que celui de la famille lors de son baptème. Tu n'as jamais su où se cachait la vérité quant à ce nom d'un étranger que nous portons.
J'aperçois Juliette foulant d'un pas pressé la rue Saint-Joseph et arborant l'un de ces chapeaux étranges qu'elle seule savait confectionner, au style moitié-années folles, moitié-années noires. Dans ce pays, les bingos se tiennent dans les sous-sols des églises où les dieux se superposent. Elle marche à toute vitesse pour arriver à temps au bingo, là où la chance sourit toujours un peu. Juliette, encore une fois ressuscitée de la dernière maladie.
Je ne sais rien de ta naissance, on ne transmet point aux hommes cette parole-là, mais il existe une photo de toi dans un carrosse d'osier, de cette époque où les enfants paraissaient vieux dès le berceau. Depuis quelques années, tu vis en retraite, les gaz et le cambouis t'ont rendu malade, la vie comme du pareil au même, une roue qui tourne, dis-tu, tu respires à moitié, tu ne chasses plus le gibier, tu t'occupes des oiseaux sauvages. La nourriture sert à prolonger la vie que tu trouves parfois insistante sans très bien comprendre pourquoi.
Mes parents ont grandi sans se connaître, dans ces faubourgs voisins remplis d'ouvriers, fils et filles de paysans. D'un saint à l'autre tous ces quartiers de la ville basse se ressemblent : Saint-Roch, Saint-Sauveur, Saint-Malo, Sacré-Coeur, Notre-Dame de Jacques Cartier... L'amour s'étale à la craie sur la brique des blocs-appartements ouvriers des années trente, aux formes de boîtes à beurre, quand on trace les cœurs et les flèches d'un espoir que la pluie dévale. L. Love V. Durant les années soixante, « c'était après la guerre », les enfants écriront leurs noms sur les clôtures de fortune, et mangeront à leur faim. La nourriture ne sera plus une question de survie ou de sécurité : c'était le temps de l'abondance. Je me rappelle le laitier qui transportait en ville les bouteilles de verre s'entrechoquant joyeusement, puis la criée des itinérants : « Des fraises ! Des blés-d'Inde ! Des...

Table des matières

  1. Au cœur de la baleine
  2. Au cœur de la baleine
  3. PRÉAMBULE
  4. LE CŒUR GROS
  5. LE SOUFFLE DU PASSAGE
  6. ÉPILOGUE
  7. BIBLIOGRAPHIE