Coïts
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Coïts

  1. 250 pages
  2. French
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  4. Disponible sur iOS et Android
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À propos de ce livre

Paru en 1987, l'essai hautement controversé Intercourse, enfin traduit en français, est un incontournable du féminisme radical de la deuxième vague. Andrea Dworkin y analyse les relations hétérosexuelles dans un univers contrôlé par les hommes, où le sexe devient outil et matière de la domination, et où les femmes sont le plus souvent anéanties dans le désir des autres.Coïts est un livre incisif, bouleversant et sans compromis qui explore tout ce que le sexe peut contenir de violence, en disséquant la symbolique à l'oeuvre chez des auteurs tels que James Baldwin, Gustave Flaubert, Léon Tolstoï ou encore Bram Stoker. Peu de féministes se sont depuis aventurées sur ce terrain aussi loin et aussi honnêtement qu'elle, prenant à partie le non-dit dans la culture. Son travail nous entraîne dans les profondeurs de l'assujettissement des femmes, aussi étrange, amère ou salissante que soit la plongée, nous prévient Dworkin.

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Informations

Année
2019
ISBN
9782890916715

PREMIÈRE PARTIE

LE COÏT DANS UN MONDE
D’HOMMES

«À partir d’un certain point, il n’y a plus de retour
possible. C’est ce point qu’il faut atteindre.»
Franz Kafka

Chapitre 1

RÉPUGNANCE

En 1905, à l’âge de vingt-cinq ans, chargée de deux enfants malades, Alma Mahler, épuisée, aliénée et malheureuse dans son couple, eut une dispute avec son mari, Gustav, où elle lui dit trouver son odeur repoussante. Son biographe imagine qu’elle parlait de celle de ses cigares. Elle écrivit dans son journal intime:
Il était un étranger pour moi, et beaucoup de choses en lui me sont restées étrangères – et le resteront, je crois, éternellement […]. Je trouve extraordinaire que, sachant cela, nous puissions continuer à vivre ensemble. Est-ce le devoir? Les enfants? L’habitude? Non, je sais que je l’aime réellement et que je n’aime que lui (citée par Monson, 1985: 64).
Peu après, le compositeur Hans Pfitzner, qui rendait visite à l’époux, s’amouracha de l’épouse. Ils flirtèrent, s’embrassèrent. Au cours d’une longue promenade d’après-midi, Alma s’en confessa à Gustav. Irrité, il la laissa derrière, et elle dut rentrer seule à pied. Au crépuscule, un étranger se mit à la suivre. Arrivée à la maison, elle dit à Gustav qu’un homme l’avait suivie. Il y vit une nouvelle preuve de déloyauté. Ils se disputèrent. Elle alla se coucher seule. Habituellement, quand Gustav voulait un rapport sexuel, il attendait qu’Alma soit endormie ou feigne de l’être; puis il entreprenait de copuler avec elle. Cette nuit-là, il vint à elle en sachant qu’elle était éveillée; il lui dit qu’elle devrait lire La Sonate à Kreutzer, un court roman de Tolstoï, puis il la baisa et s’en alla. Elle «ne put se rendormir et se mit à songer avec angoisse à leur avenir, craignant d’être sur le point de perdre tout courage et la volonté de vivre» (Monson, 1985: 64).
Quelques années plus tôt, en 1887, un autre grand artiste, le comte Léon Tolstoï, avait été poussé à baiser sa femme par une autre grande œuvre d’art, La Sonate à Kreutzer, de Beethoven. Son fils et un étudiant en musique avaient interprété cette œuvre sensuelle et débridée lors d’un concert à sa maison de campagne. Tolstoï «l’écouta, les larmes aux yeux, puis, au moment du presto, incapable de se dominer, il se leva, s’approcha de la fenêtre et, regardant le ciel étoilé, étouffa un sanglot» (Troyat, 1979: 574). Cette nuit-là, Sophie, la comtesse Tolstoï, fut engrossée de son treizième enfant. Le comte avait soixante ans, son épouse, seize de moins. Elle l’avait connu à dix ans; au moment de leur mariage en septembre 1862, elle avait dix-huit ans et lui, trente-quatre.
Plus tard, à Moscou, le comte écouta de nouveau La Sonate à Kreutzer, en compagnie d’un acteur et d’un peintre. Plus mesuré cette fois, il leur proposa de créer chacun une œuvre inspirée de cette sonate. Il fut le seul à le faire. Son récit, La Sonate à Kreutzer, est une création puissante et accablante. C’est la combinaison d’une nouvelle inachevée, «L’homme qui tua sa femme», et d’un récit narré à Tolstoï par le peintre à propos de sa rencontre d’un étranger ayant des soucis conjugaux. À dire vrai, toutefois, ce texte décrit le mariage de Tolstoï. L’histoire est autobiographique, comme le sont beaucoup de ses œuvres romanesques. Il s’y sert des détails de ses relations sexuelles avec Sophie, ce que son biographe Henri Troyat a appelé «ses ruts» (Troyat, 1979: 580), pour afficher sa profonde répugnance à l’endroit de la femme qu’il continue de baiser et pour l’acte sexuel lui-même. Cette répugnance est non seulement ancrée dans un désir continu, mais également dans son assouvissement, lui aussi réel, phénomène distinct ayant un effet d’aversion. Le désir n’est pas désincarné ou abstrait, comme dans un essai de philosophie française. Il existe une femme réelle, Sophie, sur le corps de qui, à l’intérieur de qui s’exprime le désir du narrateur; et quand il en a terminé avec elle, il la rejette avec une brusque indifférence ou un mépris glacial.
Le récit est dense, passionné, ficelé avec art, halluciné de misogynie et d’intuition; la femme qui en est réellement l’objet a été diagnostiquée en 1910, la dernière année de la vie du comte, comme souffrant d’une «double dégénérescence: paranoïaque et hystérique, avec prédominance de la première» (Troyat, 1979: 782). Le récit possède un argument: pour la chasteté, contre le rapport sexuel. Le récit possède une analyse: celle de la nature du rapport sexuel et de son lien avec l’égalité des sexes. La femme avait un argument: son mari devait aimer en elle un être humain, et non se contenter de l’utiliser comme objet lorsqu’il voulait la baiser. La femme avait une analyse: son mari était égoïste à un degré exceptionnel et horrifiant, et c’était un hypocrite; les gens n’étaient réels pour lui que dans la mesure où ils l’affectaient personnellement; elle-même n’était réelle pour lui que lorsque et parce qu’il voulait de l’amour physique; une fois satisfait sexuellement, il devenait froid et indifférent envers elle. L’homme – artiste et mari, désireux d’être un saint, en voie de renonciation à tout pouvoir, à toute richesse, à toute violence – évitait cependant de brûler ses ponts. «Ce n’est pas le devoir de chasteté qu’il faut s’imposer, mais la volonté de s’en approcher», écrivit-il dans une lettre (Tolstoï, 1986: 142). Et surtout, il ne voulait pas se faire prendre. «Et si un nouveau bébé naissait?», confia à son journal l’auteur de La Sonate à Kreutzer un mois après l’avoir terminée, «combien j’aurais honte, devant mes enfants surtout! Ils confronteront la date [de la conception] avec celle de la rédaction» (cité dans Troyat, 1979: 581). La première lecture publique du récit eut lieu en octobre 1889; dès décembre 1890, Sophie eut peur d’être à nouveau enceinte (mais elle échappa à une quatorzième grossesse).
L’opinion qu’avait Sophie du maître n’était pas révérencieuse. Un jour, il parla à l’heure du thé d’un menu végétarien qu’il avait lu et aimé: des amandes et du pain. Dans son journal, Sophie écrivit: «Sans doute celui qui prône un tel régime s’y soumet comme L. à la chasteté qu’il prêche dans La Sonate à Kreutzer» [Suivaient trente-sept mots qui ont été supprimés par ses héritiers.] (Tolstoï Andreyevna, 2010a: 196). L’ironie de Sophie plaît rarement aux biographes de Tolstoï (à l’exception distinguée de Troyat). La plupart d’entre eux se rallient au pieux comte et considèrent Sophie comme vaniteuse, corrompue, égoïste – l’adversaire d’un saint. L’auteur de Tolstoy and Gandhi: Men of Peace, par exemple, lui a reproché «un déni continuel des convictions de Tolstoï et un ridicule irritable et parfois hystérique», ainsi qu’une «banalité morale», «une incohérence et un égoïsme brutal» (Green, 1983: 191). Elle n’en aurait pas été surprise. «Mais dans sa biographie, a-t-elle noté en 1895, on écrira plus tard qu’il transportait l’eau à la place de son portier, et nul ne saura que jamais il n’a apporté de l’eau à son enfant, afin d’accorder à sa femme fût-ce un instant de répit, et qu’en trente-deux années il n’a pas passé cinq minutes au chevet d’un enfant malade, pour me permettre de souffler, de rattraper mon sommeil, de faire un tour de promenade, ou tout bonnement de me reposer de mes labeurs» (Tolstoï Andreyevna, 2010a: 275-276).
Ses labeurs furent considérables, difficiles et tristes. Elle connut treize grossesses, treize naissances; six enfants moururent de maladies pénibles et douloureuses, par exemple la méningite et le croup. Elle souffrit de fièvre puerpérale au moins une fois, ainsi que d’autres fièvres et d’inflammations aux seins. Elle transcrivit tous les livres et journaux du comte, sauf pour une courte période, tard dans leur mariage, où il les confia à ses filles devenues adultes, pour exclure Sophie. (Il la réaffecta à ce travail de transcription pour La Sonate à Kreutzer.) Elle éduqua leurs enfants. À partir de 1883, elle géra les biens de Tolstoï, son argent, ses droits d’auteur, et nourrit et hébergea ses enfants. Elle publia ses livres, ce qui nécessita parfois d’intervenir auprès du censeur de l’État (elle implora du tsar la permission d’éditer La Sonate à Kreutzer). Ce n’est que le 3 juillet 1897 qu’elle quitta le lit conjugal, ne voulant plus avoir de rapports sexuels, mais Tolstoï continua de la baiser quand il en avait envie et de l’ignorer le reste du temps. Elle détestait «sa froideur, sa froideur effarante» (Tolstoï Andreyevna, 2010b: 90), son indifférence envers elle après le coït, qui ne changeait que lorsqu’il voulait copuler à nouveau.
Cette froideur afflige son mariage dès ses débuts et jusqu’au décès de Tolstoï. Après quatre mois de mariage, elle veut un travail comme le sien «pour que dans les moments où il se refroidit envers moi, je puisse trouver une occupation qui me plaît. Or ces moments reviennent de plus en plus souvent, imperceptiblement, comme il en est allé jusqu’à présent» (Tolstoï Andreyevna, 2010a: 52).
«J’ai terriblement changé, écrit-elle en 1865, et déjà la froideur de Liova ne me touche plus, je sais l’avoir méritée» (Tolstoï Andreyevna, 2010a: 87). En 1867, «tout est perdu, […] je n’aurais pas cru que nous puissions en arriver là, que cela soit si intolérable, si lourd» (Tolstoï Andreyevna, 2010a: 99). En 1891, elle craint qu’arrive un temps où il ne voudra plus d’elle, «et il me rejettera tout simplement de sa vie, cyniquement et sans pitié» (Tolstoï Andreyevna, 2010a: 249).
Après la mort de Tolstoï, elle a écrit que l’amour physique n’a jamais «signifié un jeu affectif pour moi, mais toujours quelque chose de très semblable à la souffrance» (Tolstoï Andreyevna, 2010b: 37). De son vivant, elle voulait, comme elle l’a consigné dans son journal en 1891, «une sereine et douce amitié», mais a plutôt été forcée d’endurer «ces flambées de passion, toujours suivies d’un froid durable» (Tolstoï Andreyevna, 2010a: 244).
Pour elle, cette froideur fut le contexte réel du coït. Pour lui, le coït fut le contexte où existait Sophie: ses flambées à lui, son existence à elle; il ne vécut sa froideur à l’endroit de Sophie que comme sa propre vie, réelle, choisie et poursuivie sans ambiguïté. Il la baisa jusqu’à ce qu’il ait l’âge de quatre-vingt-un ans, un an avant sa mort. «Le diable s’abattit sur moi», écrivit-il pour décrire son désir d’homme vieillissant face à Sophie, «et mon sommeil fut agité. C’était si dégoûtant, comme après un crime. Et le même jour, […] possédé à nouveau de façon plus puissante, je rechutai» (cité dans Simmons, 1946: 132-133).
Finalement, durant sa dernière année, Tolstoï cessa réellement de vouloir de Sophie, devenue son «lourd fardeau» (Tolstoï, 1985: 940). Elle devrait, pensait-il, «se contenter d’une vieillesse de simplicité, vécue en accord avec son mari, sans se mêler de ses affaires et de sa vie» (Tolstoï, 1985: 917). Au lieu de cela, Sophie, incapable de manger ou de dormir, pleurant de façon incontrôlable, irritable, hostile, nerveuse, était devenue ce qu’un «égoïste […] qui vous a condamnée impitoyablement» (Tolstoï Andreyevna, 2010a: 130), comme elle l’avait un jour décrit, laissait dans le sillage de sa grande et magnifique vie comme artiste et comme saint. Elle était maintenant rejetée parce qu’il en avait fini avec elle; et elle hurlait dans une agonie qui passait pour de la folie. Après l’avoir accusée de ne chercher qu’à se tourmenter, il écrivit qu’«on ne peut pas ne pas la prendre en pitié» (Tolstoï, 1985: 917). Mais il ne sut jamais ce qu’était la pitié, pas même cela, un sentiment aussi restreint et condescendant, pas envers elle. Jamais, ni dans l’art ni dans la vie, ne la connut-il autrement qu’au sens biblique. Dans La Sonate à Kreutzer, le mari ne voit finalement son épouse avec une certaine empathie, comme être humain, qu’après l’avoir brutalement assassinée: «“J’ai regardé les enfants, son visage couvert de bleus, et pour la première fois, j’ai cessé de penser à moi, à mes droits, à ma fierté, pour la première fois j’ai vu en elle un être humain”» (Tolstoï, 2010: 96). L’art est miséricordieux. Le meurtre donne apparence humaine à la femme que l’on a baisée toute sa vie. Cette éthique n’a pas d’équivalent contemporain. Aujourd’hui, dans les livres et les films, le meurtre ne fait jamais place au risque d’une compassion tardive: il n’y a pas de remords. Au lieu de cela, c’est le meurtre lui-même qui est l’acte sexuel, ou le moment de l’orgasme. Le meurtre narré par Tolstoï, lourd de haine et d’horreur envers la femme comme telle, lourd d’une sexualité inéluctable et de la conviction passionnée de l’artiste que cet acte est juste et nécessaire, n’en est pas moins tissé de fragilité, de prises de conscience et de remords. C’est un récit tragique parce que l’acte sexuel prédétermine le meurtre aussi absolument que si les dieux de l’Olympe l’avaient décrété. La reconnaissance par le meurtrier de l’épouse comme humaine, en fin de compte, nous inspire pitié et douleur. Une vie humaine a été fauchée, de façon horrible; un être humain a fait cela. Durant cet unique moment, le chagrin apaise même notre rage intérieure envers la m...

Table des matières

  1. REMERCIEMENTS
  2. AVANT-PROPOS
  3. PREMIÈRE PARTIE
  4. LE COÏT DANS UN MONDE D’HOMMES
  5. DEUXIÈME PARTIE
  6. LA CONDITION FÉMININE
  7. TROISIÈME PARTIE
  8. POUVOIR, STATUT ET HAINE
  9. Livres et journaux cités