Manifeste céleste
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Manifeste céleste

aventures spirituelles en bottes à cap

  1. 170 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Manifeste céleste

aventures spirituelles en bottes à cap

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Table des matières
Citations

À propos de ce livre

Moi, Gémeau ascendant Sagittaire, j'apprends à devenir une plante, l'espace d'un livre, d'un parcours spirituel, avec ses résistances, ses engagements, ses frustrations, ses désistements et ses extases. C'est avec une pelle, un sécateur et mes pieds que j'ai ouvert le sentier sur lequel j'ai traîné le bagage critique d'une femme qui a passé beaucoup de temps à l'université. Je l'ai gardé, ce bagage, même si je l'ai un peu remodelé, parce qu'au final, c'est lui qui peaufine, qui sculpte, et qui fait shiner ma destinée.

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Informations

Ces yogis qui m’expliquent la vie

On devrait faire comme Abramović et Ulay: on devrait marcher, peut-être pas la Grande Muraille de Chine, mais genre l’Appalachian Trail ou la Pacific Crest Trail avec pas d’tente et en commençant chacun·e à son bout du sentier pour braver la wildness avant de se dire ADIEU dans le milieu parce que là, c’est TELLEMENT IMMENSE que j’ai l’impression qu’on se regarde de bord en bord du Grand Canyon ou d’une autre CREVASSE BÉANTE qui donne le vertige et que, malgré tout, on essaie de se tenir la main, de s’entraider, de se consoler tout en luttant pour ne pas tomber, pour ne pas sombrer ensemble dans le tumulte d’une rivière qui se crisse ben de nos petites misères quotidiennes, de nos cœurs brisés, de nos os qui ont pris l’humidité, je veux dire: on a touché le fond.
Tu penses que je réfléchis à tout longuement, mais mes viscères m’ont confirmé la semaine dernière qu’il n’y aurait plus de pont, qu’il faudrait désormais
APPRIVOISER LA DOUVE
le fossé qui se creuse entre nous, puis dans nos estomacs, sans se faire la guerre, sans monter aux barricades parce que c’est la seule manière que j’ai trouvée de ne plus jamais au grand jamais faire partie de la grande mascarade qui se prend pour l’humanité. Tous mes espoirs sont réunis à l’intérieur de mon appartement, entre mes murs blancs: un endroit où je pourrai fermer la porte pour m’envelopper dans ma couverture fair trade de yoga et pratiquer mes asanas.
*
«T’sais, Pattie, ça peut aller vite, les changements», qu’il m’a lancé, le Sagittaire, juste avant que je referme la porte de la voiture. J’ai plissé les yeux avec un air d’ado comme pour dire «Han, mais de quoi tu parles?», mais je me disais intérieurement «OK, merci pour la tempête».
Les murs de mon nouvel appartement étaient blancs, mes pièces étaient vides, mes enfants étaient tristes, ma carte de crédit était dans le tapis, pis mon espace intérieur était crowdé. Ça fait que:
SAT NAM!
Ça veut dire «la vérité est mon identité». C’est comme ça qu’on se disait bonjour dans les cours de yoga kundalini. Je ne savais pas encore que cette vérité-là se trouvait dans le gros livre d’un gourou agresseur de femmes qui brandit un diplôme de doctorat acheté dans une université à numéros, associée à une adresse bidon en Californie. Avant de m’inscrire à la formation professorale, je ne connaissais de cette forme de yoga que des méditations étranges et exigeantes qui me donnaient chaque fois l’impression d’être sur l’ecstasy:
WAHE GURU!
(Louanges au gourou!). En nouant mon turban blanc, je me sentais comme ma cousine Emmy qui vit dans une secte Hare Krishna dans le nord de la Colombie-Britannique. Je suis allée la visiter, il y a quelques années, avec un point dans le front pis une robe longue. Après trop de chants de mantras avant tous les repas, pis un désespoir face à ce renoncement de soi, je lui avais demandé, aussi sceptique que rebutée:
— Why, Emmy? I don’t get it!
— Oh Pattie… Well… Y’a know… I needed to be part of a community, you understand? I did therapies. I’ve worked a whole lot on myself. I’m fucking tired.
I NEEDED TO SURRENDER.
— I understand.
Je pratique le hatha yoga depuis que je suis toute petite. La première posture que j’ai apprise, c’est ma mère qui me l’a montrée. C’est celle du Shavasana. Celle du cadavre, de la détente totale. Elle me guidait, une partie du corps à la fois, comme pour calmer mes ulcères d’estomac: «tes pieds renfoncent dans le plancher, tes mollets renfoncent dans le plancher, tes genoux renfoncent… etc.». Ce n’est que plus tard que j’ai compris que c’était la posture la plus difficile, je veux dire: ce n’est pas facile de mourir vivante, comme ça, sur son tapis de yoga. De surrender entièrement. Toutes les autres postures nous préparent à cette petite mort où on laisse s’évanouir les croyances en même temps que les pensées dominantes. C’est comme ça qu’on se dépose dans Le Grand Silence.
J’ai voulu approfondir ce silence durant l’hiver, l’habiter entièrement en attendant le printemps, y aller intensément pour marquer la rupture au-delà de la matérialité des murs de mon nouvel appartement. Je me disais que de m’enrouler un foulard autour de la tête et de porter du linge blanc immaculé allait contribuer à effacer les derniers relents de mon arrogance. Apprendre les rouages de ce langage me permettrait d’approfondir mes Shavasanas, qui feraient effet au-delà de mon tapis de yoga. Ils teinteraient mon mode de vie: j’allais connaître le surrender dont parlait Emmy. Et c’est avec cette certitude-là que j’ai rencontré
CES YOGIS QUI M’EXPLIQUENT LA VIE!1
Chœur de yogis, en posture du sphinx, full zen:
ON RÉCOLTE TOUJOURS CE QUE L’ON SÈME, PATTIE. SI TU N’AIMES PAS CE QUE TU RÉCOLTES, ALORS CHANGE CE QUE TU SÈMES.
Pattie, en position de la charrue, inspire, puis fait sa smart avec ses nouvelles connaissances horticoles:
Non seulement j’ai récolté souvent ce que d’autres ont semé et ce que la nature a elle-même dispersé, mais j’ai aussi semé des graines qui n’ont pas levé suffisamment, parce qu’il n’y avait pas assez de lumière qui entrait par les fenêtres de mon appartement, parce que mon terreau n’était pas assez fin. Aussi, ça coûte cher une lampe au sodium, et ça demande de l’espace une table à semis. Je n’ai pas de terrain où je peux semer ce que je veux et, des fois, j’ai pas le choix de manger des légumes qui ont été aspergés de pesticides provenant de semences enrobées d’insecticides. Même quand on sème sur une parcelle de terre qu’on pense pouvoir organiser comme on veut, on ne contrôle pas les ravageurs, les polluants qui prennent au vent, les intempéries qui détruisent les abris, le contenu de la nappe phréatique, le ruissellement de nos sols. On se retrouve avec le produit d’un rapport au monde, d’une société, d’une économie, d’une vision de la vie qui a peu à voir avec notre petite individualité qui sème sa propre beauté de son côté. Pensez à cet homme qui s’est battu durant des années contre Monsato, qui l’accusait de lui avoir volé des semences brevetées alors que celles-ci sont simplement venues coloniser son champ au gré du vent. Je veux dire: récolter ce que l’on sème n’a jamais été aussi difficile!
Expire.
Je pratiquais mon yoga, tout allait bien, puis il y eut le Verbe. Ce n’était pas le commencement, c’était la fin. Je préférais le Silence du Sagittaire à ces phrases toutes faites, ces métaphores qui font écran à tout ce qu’il y a de troublant sous le soleil. Oh oui! Je préférais le silence. Tu vas me dire: «Ben voyons, Pattie, t’as juste à pas les écouter pis à pratiquer ton yoga.» C’est que je me suis mise à les rencontrer partout ces yogis qui m’expliquent la vie. Il y en a un à la boulangerie au coin de ma rue, puis un autre au service de garde de l’école de quartier. J’ai aussi vu des gestionnaires se convertir en yogis qui m’expliquent la vie en suivant des ateliers de méditation comme on s’engage à réussir un cours de gestion. Trois crédits: j’suis un yogi. C’est à croire qu’ils méditent pour mieux se déculpabiliser, qu’ils s’étirent pour mieux performer et qu’ils font le salut au soleil pour mieux convaincre les autres de s’aliéner.
J’avais bien vu les traces de ce moralisme yogique un peu partout, mais dans mes cours de yoga, il prenait corps: il inspirait, il expirait et il chantait Om. C’était un Om qui voulait dire «le monde est beau, vive le statu quo!».
Chœur de yogis en posture du triangle:
QUAND TU AURAS LE CONTRÔLE SUR TES PENSÉES, TU AURAS LE CONTRÔLE SUR TA VIE, PATTIE.
Pattie, en posture du chien tête en bas:
«Le contrôle, c’est pas un désir de l’égo, ça?» que j’ai chuchoté à ma voisine d’à côté. «En fait, pour contrôler, il faut laisser aller», qu’elle m’a répondu pour traduire les enseignements du yogi qui creusaient de plus en plus ma ride du lion. «Ah, OK», que j’ai rétorqué. «L’impératif de laisser aller est une bonne manière d’alimenter ma pensée obsessionnelle», que je me suis dit. On peut tout contrôler depuis notre intérieur et d’ailleurs, on le fait déjà inconsciemment, parce qu’à nos intentions intimes, racontent les yogis qui m’expliquent la vie, le monde répond toujours en adéquation.
— C’est dur de l’entendre, mais on a tout choisi. Même ceux qui sont pauvres, ils ont choisi la pauvreté. Notre situation est un miroir de notre intériorité.
C’est ce que racontait calmement un des instructeurs, assis sur son piédestal, entre deux plantes toutes molles (diagnostic horticole: trop arrosées).
— Oui, mais, que j’ai répliqué depuis mon petit tapis, vous faites quoi des études qui démontrent clairement les aspects sociohistoriques de la pauvreté? Vous pensez quoi de la discrimination qui se fait encore sur le marché du travail? Vous pensez quoi de certains enjeux propres à des régions géographiques et, surtout, surtout, qu’avez-vous à dire sur notre mode de vie et notre responsabilité quant à cette pauvreté?
— Écoutez, c’est pas un cours d’université ici, je suis juste un yogi.
— Ah, OK, que j’ai répondu.
Puis une femme au fond de la classe a cru bon de s’adresser à moi, en se tapotant la poitrine:
— MOÂ, je suis dans mon cœur, je ne vais pas dans ma tête comme ça. J’ai des études universitaires, MOÂ aussi, mais je reste dans mon cœur quand je viens ici. Il faut être dans notre CŒUR quand on fait du yoga.
C’est vrai qu’on accède plus facilement à la détente dans l’aveuglement volontaire de notre prétendue innocence. Après tout, on paie cher pour se stretcher en gang, on ne va tout de même pas commencer à faire le lien entre la possibilité même d’être ici, avec de l’eau fraîche dans nos gourdes, et le déséquilibre dans la répartition de la richesse comme dans celui des biens communs. Mais nous, nous qui avons la joie de nous payer une formation de yoga pour délier les effets des vies passées, pour faire faire des guerriers à notre karma, il nous suffit d’être reconnaissant·e·s pour continuer de profiter de la vie sans avoir une quelconque responsabilité?
Chœur de yogis assis en lotus:
OUI PATTIE, CAR C’EST LA GRATITUDE QUI NOUS DÉVOILE L’ABONDANCE DE LA VIE
Pattie, en posture de l’enfant:
Moi qui pensais que la gratitude était un premier pas vers la reconnaissance des déséquilibres, des injustices, des iniquités. L’élan qu’il nous faut pour porter en soi une force d’agir contre le privilège.
— Il faut être reconnaissante pour tes privilèges, Pattie, racontait au dîner une autre yogini. Elle se tapotait le cœur, elle aussi (il y aurait une étude à faire sur le tapotage de cœur dans les cours de yoga).
— Le privilège, c’est quelque chose qu’on obtient au détriment des autres, que j’ai dit. Je suis privilé-giée, parce que j’ai quelque chose que les autres n’ont pas.
— C’est que tu vois les choses de manière limitée, Pattie: faut voir l’abondance.
— Ben voyons, certaines choses sont limitées ou pas accessibles. Qui dit plus de privilèges dit donc plus de responsabilités.
— Plus de gratitude, Pattie…
Avoir de la gratitude pour un privilège et en jouir sans être critique, en se cachant derrière la prétendue abondance, ça ressemble moins à une prise de conscience qu’à de l’individualisme possessif en quête d’absolution. Si la gratitude nous dévoile l’abondance de la vie, elle nous confronte aussi à son contraire: à sa misère, à l’épuisement de sa diversité, à son austérité.
Et je sais que l’on peut avoir de la gratitude pour autre chose que des biens matériels ou des privilèges: on peut aussi avoir de la gratitude pour nos familles, nos ami·e·s, nos amours, c’est-à-dire notre bulle intime! Mais même cette gratitude contient une responsabilité envers ceuzes qu’elle exclut. Ceuzes dont les bulles intimes sont soudées par la violence. Ceuzes dont les bulles ne sont ni stimulantes ni aimantes. Ceuzes dont les bulles sont des prisons indestructibles précisément parce que les autres ont refermé leurs propres bulles avec de la gratitude confortable. La gratitude n’est pas ce qui nous permet d’élargir nos petits mondes à d’autres mondes pour mieux vivre le «nous sommes un·e» que veut dire le mot yoga. Elle n’ouvre notre cœur qu’à ce qui se trouve entre nos murs. Les yogis qui m’expliquent la vie enclavent même leur propre corps à l’intérieur de cette gratitude! Ils remercient la vie pour la santé-miroir de leur intériorité bien travaillée, comme si la santé était étrangère à la matière et à la collectivité…
Chœur de yogis, en posture du guerrier II:
LA MALADIE N’EST RIEN D’AUTRE QU’UN SYMPTÔME DE L’INCONSCIENCE DU MALADE.
Pattie, en posture de l’arc, écoute un yogi qui lui explique la vie:
— Y’avait un de mes étudiants qui avait un cancer, il a perdu espoir en la pratique, il n’a pas voulu continuer pour amener la maladie à sa conscience: il est mort.
J’avais la gueule à terre et je cherchais des yeux pour atterrir quelque part. Ça a fini dans mon p’tit cahier que je traînais toujours pour pouvoir me défouler. Il est confortable, surtout pour des yogis non malades, de croire que les maladies physiques sont uniquement des manières de penser, des croyances, des souffrances psychiques non soignées. Cette posture fait porter l’entière responsabilité (entendre culpabilité) à celui ou celle que la maladie atteint. La personne malade doit apprendre à accueillir la maladie comme sa propre création, et accepter de porter seule la responsablité de sa guérison. Cette idée est séduisante dans un contexte où tout nous éloigne de notre pouvoir de guérir nos propres corps. Mais dans ma classe de yoga, elle se présentait plutôt comme un aveuglement quant aux mécanismes extérieurs qui participent de la maladie: l’environnement, la qualité des aliments, les modes de vie imposés auxquels s’ajoutent l’hérédité et la génétique.
— Ce sont nos modes de pensée qui nous rendent malades, a lancé une jeune femme assise à ma diagonale. Moi, par exemple, quand je suis négative, j’attrape toujours le rhume.
La classe de yoga pourrait être l’occasion d’expérimenter le fameux «nous sommes un·e». On pourrait renforcer nos liens à l’autre par sa maladie au lieu de nous en dissocier. Mais êt...

Table des matières

  1. Prologue rêvé
  2. Carte du ciel
  3. AVERTISSEMENT CÉLESTE
  4. Jardiner l’atmosphère
  5. Ces yogis qui m’expliquent la vie
  6. Fuckboys spirituels
  7. Déesses néolibérées
  8. La posture de l’arbre
  9. «Aging is enlightment at gunpoint»
  10. Les limbes (en finir avec)
  11. L’en-dehors
  12. ≠ vacuum domicilium
  13. Les sirènes
  14. Lettre à iel
  15. «L’espace m’aime»
  16. Dans le mix