Art de la chute (L')

Véronique Côté, Jean-Michel Girouard, Jean-Philippe Joubert, Simon Lepage, Danielle Le Saux-Farmer, Marianne Marceau, Olivier Normand, Pascale Renaud-Hébert

• Éditeur: Éditions de L'instant même
• Année: 2018
• ISBN:
  9782895029618
• Sujet: Littérature
• Sous-sujet: Théâtre canadien

La finance est devenue une abstraction et s'est immiscée dans toutes les sphères de notre vie.Jusque dans l'art contemporain.Surtout dans l'art contemporain.Ce que vous verrez ce soir s'appuie sur une recherche documentaire. On a cité des artistes, des galeristes, des encanteurs, des spéculateurs et des économistes. On a tenté de voir plus clair dans les mécanismes obscurs du marché. Et d'entrer dans l'intimité de l'art et de l'économie. Cette démonstration est faite à partir du récit de l'évolution de la carrière d'une jeune artiste en art visuel. Un peu à bout de souffle, l'augmentation du prix du cuivre l'obligeant à revoir son mode de création, elle obtient une résidence d'artiste à Londres pour se ressourcer. Sa vie et sa carrière seront complètement transformés par sa rencontre avec un trader américain très actif sur le marché de l'art.

CALQ

2008, Montréal. Bureau du Conseil des arts et des lettres du Québec.

L’agente de programme du CALQ – Un petit tour de table ?

Membre du jury 1 – Quand j’ai commencé à regarder le dossier, je pensais que c’était ironique, que ça jouait sur le kitsch, qu’il y avait un deuxième degré. Ben non. C’est juste de la photo. Y a pas de discours sur la photo, y a même pas de discours sur l’art, rien. C’est juste une démarche personnelle.

Membre du jury 3 – C’est vrai, ça.

Membre du jury 1 – C’est des photos de centre d’achats. On dirait le Centre de la photo chez Sears. C’est sa grand-mère à lui, c’est ça ?

Membre du jury 2, avec un accent gaspésien. – Oui, c’est sa grand-mère, pis est morte pas longtemps après.

Membre du jury 1 – Ben, c’est ça. Si au moins y avait pris ses photos avec un Polaroïd, mettons. Là, tu dis OK, Polaroïd a arrêté sa production, sa grand-mère est morte, ce serait le minimum.

Membre du jury 3 – Ouais, je suis d’accord.

Membre du jury 2 – C’est vrai que c’est pas achevé, disons, mais j’ai trouvé ça super touchant, les vieilles photos… pis même que ça m’a fait penser à ma grand-mère à moi…

Membre du jury 1 – On dirait un projet de cégep en arts et lettres. En tout cas, moi, c’est non.

Membre du jury 3 – Moi aussi, c’est non.

Membre du jury 2 – Pis si on y permettait de passer six mois au studio du Québec à Londres, ça pourrait peut-être l’aider dans sa démarche ?

Membre du jury 1 – C’est parce qu’il a quarante-deux ans.

Tout le monde a une petite réaction, l’air de dire que c’est peine perdue.

L’agente de programme du CALQ – D’autres commentaires ?

Personne ne réagit.

OK, prochain dossier : Alice Leblanc.

Membre du jury 3 – S’cusez… Le lunch est à quelle heure ? C’est parce qu’i’ faut que je fasse un appel…

L’agente de programme du CALQ – On va en faire un dernier avant dîner.

Membre du jury 3 – OK.

Alice monte au centre de la table de réunion.

Alice – Je m’appelle Alice Leblanc. Je suis une artiste en arts visuels qui se spécialise dans les installations sculpturales intégrant des technologies audio et vidéo.

Membre du jury 2 – Attendez, je me souviens plus, a fait quoi, elle ?

Alice – La majeure partie de mon travail se consacre au cuivre. Ma famille étant native de Murdochville, une ville minière en Gaspésie, le cuivre revêt pour moi une signification toute particulière.

Membre du jury 3 – Est-ce qu’elle a déjà gagné des prix ?

Alice – Dès ma sortie de l’école, j’ai remporté plusieurs prix pour mon exposition Le Syndrome Wilson, dont la pièce centrale, La Chute, m’a aussi valu une invitation à exposer un peu partout au Canada.

Membre du jury 2 – Je l’ai vue. C’était super, c’était vraiment super. Moi, ça me… Ça me bouleverse ce qu’elle fait. Pis son propos aussi, c’est super gaspésien, pis ça me rejoint. Moi, je viens de Paspébiac, ça fait que… Ses grands formats surtout, c’est super touchant.

Membre du jury 3 – Même chose. Moi aussi, je trouve ça.

Alice – La Chute est constituée de fils de cuivre récupérés provenant des anciens locaux du Syndicat des travailleurs du cuivre de Murdochville. Des haut-parleurs intégrés diffusent le texte du communiqué dans lequel le patron de la Gaspé Copper Mines annonce à trois cents travailleurs la fermeture de la mine pour une durée non déterminée. Les fils sont tordus de manière à prendre la forme d’un trophée remis par le Canadian Institute of Mining. Le trophée a été remporté par le PDG le jour même de l’annonce de la fermeture et récompense « une vision innovante dans le monde des affaires ».

Membre du jury 3 – Ark.

Membre du jury 2 – C’est écœurant.

Membre du jury 1 – Ses dernières œuvres ont pus l’ampleur de ses débuts, sa critique de la société industrialo-capitaliste, si je puis dire, a perdu de la force.

Membre du jury 3 – Oui, c’est vrai. C’est ça que j’étais pour dire.

Membre du jury 2 – Je sais pas pourquoi elle a pas continué avec ses grandes formes.

Alice – À mes débuts, le cours du cuivre était très bas, à 2 500 $ la tonne. C’était assez facile de s’approvisionner sur des chantiers de construction ou auprès de gens qui faisaient des rénovations, mais à partir de 2001, le prix du cuivre s’est mis à monter peu à peu et plus personne voulait m’en donner, alors j’ai dû me tourner vers l’achat.

Aujourd’hui, le cuivre est à un sommet historique de 8 700 $ la tonne, à cause de la demande de la Chine, mais aussi de la spéculation boursière. J’ai commencé à travailler sur des plus petits formats, mais c’est comme si j’avais perdu le souffle que j’avais en travaillant sur des plus grandes formes.

Membre du jury 1 – Ça fait un bout qu’elle a pas exposé. Est pas un peu sortie du circuit ?

Alice – Disons que récemment j’ai eu une période de remise en question de laquelle je suis pas encore tout à fait sortie. Si je peux me permettre un aparté plus personnel, je me suis séparée l’an passé, et lors de mon déménagement, je me suis fait voler La Chute, l’œuvre phare de ma première expo.

Membre du jury 2 – C’est-tu vrai ? C’est ben chien !

Alice – La Chute contenait environ cent cinquante livres de cuivre. En vendant le vieux métal, il ou elle en a probablement tiré 350 $. Mais je pense qu’au bout du compte, j’en veux moins à celui qui m’a volé ma sculpture qu’aux marchés financiers qui m’ont volé ma démarche.

Membre du jury 2 – Regardez, juste pour ça, moi, j’y donnerais la résidence !

Membre du jury 3 – Moi avec.

Membre du jury 1 – C’est vrai qu’elle incarne profondément le pied de nez au capitalisme tentaculaire qui pourrit notre société.

Alice – Londres est à la fois une capitale économique, notamment le siège de la plus importante bourse des métaux du monde, et une capital...

Table des matières

• Couverture
• Faux titre
• Titre
• crédits
• Introduction
• Liste des personnages
• Prologue
• Chapitre 1
• Chapitre2
• Chapitre 3
• Chapitre 4
• Chapitre 5
• Chapitre 6
• Chapitre 7
• Chapitre 8
• Chapitre 9
• Chapitre 10
• Chapitre 11
• Chapitre 12
• Chapitre 13
• Chapitre 14
• Chapitre 15
• Chapitre 16
• Chapitre 17
• Chapitre 18
• Chapitre 19
• Épilogue
• L’Art de la chute : une fiction documentaire
• Collection