L'état nomade
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L'état nomade

Essais sur les liens entre création et voyage

  1. 300 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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L'état nomade

Essais sur les liens entre création et voyage

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À propos de ce livre

Le collectif L'état nomade rassemble les textes de 16 autrices et auteurs dont les réflexions portent sur ce moment indescriptible qui s'ouvre au moment où surgit l'inconnu. Si les participant·e·s s'intéressent surtout aux liens qui unissent voyage et création (écriture, mais également fabrication du pain, œuvres picturales, matériel pédagogique, musique, danse, etc.), ils n'en permettent pas moins une réflexion sur tous ces moments du quotidien où, l'espace d'un instant, l'univers des possibles est ébranlé. Cet état de suspension, cet « état nomade », nous le connaissons tous et c'est une des grandes qualités de ce livre que de nous aider à l'apprécier, le nommer, voire le rechercher. Sur les routes de l'Asie et d'Amérique, dans l'arrière-pays français ou l'Inde contemporaine, les voyageurs de L'état nomade nous invitent à les suivre avec intelligence et générosité.

Foire aux questions

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Informations

Récits nomades

Voyage en terre de vide

Catherine-Alexandre Briand,
artiste nomade
Ça y est. Après les derniers adieux, la vente de certains avoirs et la mise en boîte du reste, nous sommes parti·e·s. Le plan : un an à vivre sur la route dans un véhicule d’à peine trois mètres carrés. Sans cuisine, ni bureau ou salon, nous nous en remettons donc aux astuces d’espace. Notre nouvelle maison ne comporte finalement que deux bancs face à la route et un lit derrière. L’idée, réalise-t-on, sera moins d’avoir un chez-soi roulant que d’accepter de vivre majoritairement hors de ses murs, à même le paysage. Nous disons donc « à la prochaine » aux ami·e·s, aux cafés de quartier et à nos appartements respectifs. Contrairement à toutes ces fois où nous sommes parti·e·s pour un, trois ou cinq mois avant de revenir habiter nos quotidiens, nous devons maintenant concevoir qu’il n’y a pas de lieu où rentrer, que la maison est là, partout, toujours mouvante.
À mesure que la route défile dans le regard et s’inscrit dans le corps, je réalise que ce périple ne constitue pas seulement un détournement massif de ma propre ligne de vie, mais fait aussi écho à l’expérience de nombreux autres. Alors que nous roulons, dormons dans des stationnements, des terrains vagues ou au sein du peu de terres libres qui existent encore en sol canadien, appelées « terres de la Couronne », je pense aux autres guerriers et guerrières errant·e·s : aux hobos, train hoppers, à Kerouac et à ses anges vagabonds, encore dans leur propre pays et très loin pourtant puisqu’en voyage dans les marges. Devant une forêt rougie, je me surprends à chercher la saveur des mots de Bashô. Mes pensées fleurissent autour du zazen et de l’impermanence du monde. Puis, je pense aux pèlerins, aux tribus nomades, aux punks qui, scandant « no future », se donnent au présent de la route.
Le mouvement ne peut être réduit à l’échelle individuelle, personnelle. Je m’y enfonce, m’y mélange, pour effectuer un voyage dans le temps, réalisant un rêve vieux de quelques générations —ou d’un millier d’années —, un rêve empreint de patchouli, de souliers troués ainsi que d’un tenace sentiment de révolte, de curiosité à tout le moins. Le voyage que j’entreprends est déjà mythique, son chemin s’inscrit dans la constellation d’une lignée nomade.
Tandis que mon quotidien se partage de plus en plus entre contemplation et déplacement, je me demande : à quel moment le voyage devient-il vie et la vie devient-elle voyage ? Peut-on vraiment parler de voyage quand celui-ci se chiffre en années plutôt qu’en semaines ? Parle-t-on encore de voyage lorsque ce dernier remplit complètement notre vie, changeant pour toujours notre voie et notre manière d’y marcher ? Pour les sédentaires que nous sommes, partir est un événement d’exception mais pour plusieurs il est synonyme de quotidien. Les nomades ne passent évidemment pas leurs jours en voyage, mais vivent simplement ainsi, suivant une autre forme, un autre rythme. Peut-être confondons-nous trop souvent voyages et vacances : l’idée d’une pause dans le cours de nos existences, d’un répit. Or, le voyage est rarement réellement reposant. Il n’est bien souvent ni exotique ni idyllique. On peut voyager pour des raisons vivrières ou religieuses ; voyager pour être transformé·e, confronté·e et parfois même pour se mettre en péril. Quand le voyage devient exil, question de vie ou de mort, on plie alors tout simplement bagage parce qu’il n’y a plus d’autres choix.
Comme l’écrit Nicolas Bouvier dans L’usage du monde, un voyage se passe sans doute de motifs et ne tarde pas « à prouver qu’il se suffit à lui-même » (2001, p. 12). Sans connaître réellement notre propre destination — qui se résume pour l’instant aux cinq lettres du mot « Ouest » —, nous nous laissons cependant guider par nos points de départ et ceux-ci ont le mérite d’être clairs. Nous savions précisément ce que nous désirions quitter : sortir du cauchemar logique de l’hypermodernité, d’un système où le capital devenu bête sauvage avale cœurs, vies et désirs. Partir, peu importe où, simplement pour nous éloigner de la ville, du smog, de la compétitivité et de la sacro-sainte consommation. Ne pas voyager d’un pays à un autre, mais s’éloigner d’un mode de vie pour connaître et incarner d’autres façons de faire, d’être et de penser. Comme s’il s’agissait d’un rituel de purification, faire du périple le lieu de la rupture, l’occasion d’un changement de paradigme.
Pour ce faire, il fallait d’abord réussir à nous éloigner de ce système devenu global et globalisant, celui dont ni une escale à Bali, à Vienne ou à Bogotá ne peut parfois nous extirper. Il fallait s’écarter un peu de ce qui, sous couvert d’exotisme, ne fait que reconstituer bien souvent les contours de nos conditions d’existence, perpétuant les relations que nous entretenons au sein du système marchand. Sous l’effet de la mondialisation, l’espace rétrécit. Il est de plus en plus difficile de rencontrer une réelle altérité — une altérité qui n’a pas été adoucie, formatée, présentée au goût du jour pour être à la fois plus recevable et plus vendable. Il ne faut pas blâmer les voyageurs et voyageuses de ne pas pouvoir échapper à la fameuse tourist trail. À mesure que croît dans les supermarchés l’offre de différentes saveurs de croustilles ou de barres chocolatées, les diversités culturelles et naturelles semblent, elles, s’amenuiser.
Parti·e·s à la recherche de cette diversité, nous réalisons l’ampleur du défi qui consiste à quitter ce que nous connaissons et ce que, dans une certaine mesure, nous sommes. À bord de notre machine-maison, nous aussi consommons : de l’essence, du fast-food, du toc acheté au magasin à un dollar, des produits suremballés. Dans les plaines de la Saskatchewan, l’horizon nous révèle que tout ici appartient à quelqu’un. Partout, les enclosures118 semblent avoir divisé la terre. Des petits puits de pétrole parsèment les champs et l’on voit s’aligner des monocultures, du béton, des commerces à la chaîne et de la machinerie lourde. Nous n’échapperons pas aux non-lieux de l’hypermodernité, ces espaces aseptisés, conformes et appelant à la conformité, caractérisés par le sentiment d’isolement qu’ils imposent. Que l’on se trouve à Singapour ou à Barcelone, ils sont partout les mêmes : hôtels de luxe, supermarchés, aéroports, autoroutes, magasins grandes surfaces. Épurés, éclairés aux néons ou décorés avec des œuvres d’art produites en usines, les non-lieux sont décrits par l’anthropologue Marc Augé (1992) comme étant des espaces utilitaires qui ne peuvent être réellement habités puisqu’ils ne permettent pas une appropriation singulière ou commune menant à la création de liens.
Pour un moment, je m’ennuie des forêts de l’Ontario et du Québec qui pullulent de cachettes secrètes. Ici, il nous faut conduire plus d’une heure pour trouver enfin un espace « libre ». Nous enfonçant entre les vallons, bercés par le rythme ralenti du couchant, nous rencontrons peu à peu plus d’animaux que de voitures : une chouette rayée en plein vol, de nombreux cerfs, des vaches qui s’invitent volontiers sur la route de rocailles. Sous le ciel sans lune, gorgé d’étoiles, nous arrivons finalement au Cypress Lake. J’entends pour la première fois les cris d’une meute, de loups ou de coyotes. Toute la nuit, ils sembleront circuler autour du lac, s’interpellant d’une rive à l’autre.
Au matin, l’aube révèle le bleu calme de l’eau, entouré de rochers beiges et lisses. Dans un silence habité de cris d’outardes, je dors sur le corps de l’aimé. Plus d’une centaine d’oiseaux se baignent ou volent en groupe d’une rive à l’autre. Sortant de notre abri, nous nous installons pour manger, lire, méditer. Nous avons déjà roulé quelques milliers de kilomètres, au rythme lent des arrêts et détours. Alors que l’aimé décide de plonger ses pieds dans l’étendue glacée, j’entreprends une marche sur les berges. Le temps s’assouplit. Nous passons un, puis deux jours, dans ce recoin loin des humain·e·s. Une saveur de paix dans la bouche et les paumes avides de palper le fond de l’air. Les clôtures et le pétrole semblent loin à nouveau. Ici, je suis — nous sommes — partie prenante du paysage.
Quitter ce connu, cet ensorcellement quotidien qui régit inconsciemment gestes et pensées. Se désenvoûter119 en usant de notre propre magie, de nos incantations contre celles dont on nous bombarde à longueur de vie. Le nomadisme est pour nous l’occasion d’un dépouillement dont la lenteur, la simplicité et l’humilité sont les principaux alliés. Nous souhaitons que ces changements matériels viennent ébranler l’immatériel en nous. Nous avons voulu faire connaissance avec ce que j’aime appeler « les valeurs négatives » — la peur, la faiblesse, la tristesse, l’angoisse et le silence —, ce panorama d’émotions ou d’états qui n’ont pas toujours leur place au sein de nos contextes sociaux et contre lesquels on voudrait bien souvent nous vendre des remèdes miracles. Le silence enseveli sous la musique constante de nos MP3, la faiblesse cachée derrière le mythe de la wonder woman, la tristesse vue comme une maladie à guérir à coup de comprimés ou de self-help… Nous voulions aller à la rencontre de ce qui existe dans l’envers de la logique d’accumulation et du bonheur non-stop. Cheminant vers la face sombre de la lune, nous avons préféré la lumière vacillante des chandelles à l’aplanissement des néons.
Loin des horaires chargés, quand la conscience ne s’accroche à aucun écran, voilà que nous submergent les bas-fonds de la pensée, ses zones d’ombres et autres trous noirs. Le voyage n’est pas toujours plaisant, mais il est souvent nécessaire. Je crois en l’art de la transmutation. Les poisons, si on en use bien, peuvent devenir de puissants remèdes. Nous avons pris le risque du rien, le risque du vide. Fini la rentabilisation du temps, la connexion constante aux réseaux de communication, la boulimie de nourriture et d’images. Ce vide qui surgissait de partout nous a même allégés de nous, nous rendant plus vaporeux et vaporeuse, moins fixes peut-être. En quittant emplois, ami·e·s, lieux connus et horaires chargé...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Faux titre
  3. L’état nomade — Essais sur les liens entre création et voyage
  4. Page légale
  5. Introduction — Isabelle Miron
  6. L’état nomade — Isabelle Miron
  7. Récits nomades
  8. L’enseignement de l’état et du récit nomades
  9. Remerciements
  10. Notices biographiques
  11. Notes
  12. Table des matières
  13. Quatrième de couverture