Voir disparaitre
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Une lecture du cinéma de Sébastien Pilote

  1. 130 pages
  2. French
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Une lecture du cinéma de Sébastien Pilote

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À propos de ce livre

Cet essai de Thomas Carrier-Lafleur se penche sur le cinĂ©ma de SĂ©bastien Pilote qui a ancrĂ© ses rĂ©cits dans les mĂȘmes espaces dĂšs ses premiers longs mĂ©trages, dĂ©veloppant les mĂȘmes thĂšmes, expĂ©rimentant les mĂȘmes dispositifs narratifs, construisant un univers de plus en plus familier et qui pourtant se renouvelle de l'intĂ©rieur. Pour appuyer ses propos, l'auteur analyse chacun des longs mĂ©trages du cinĂ©aste. Fortement documentĂ©, il retrace leur genĂšse, Ă  travers une lecture des scĂ©narios et des notes prĂ©paratoires auxquelles il a eu accĂšs.Thomas Carrier-Lafleur dĂ©montre que l'unitĂ© de la filmographie de SĂ©bastien Pilote vient en grande partie d'une Ɠuvre source qui irrigue sa dĂ©marche et sa pensĂ©e: Maria Chapdelaine de Louis HĂ©mon. ArrivĂ© au bout d'un cycle de quatre films, Pilote nous propose en effet, avec cette nouvelle adaptation du roman, la synthĂšse des thĂšmes, des enjeux et des problĂ©matiques dĂ©jĂ  dĂ©veloppĂ©s dans ses films prĂ©cĂ©dents.Plus que l'analyse d'une Ɠuvre qui reste en devenir, cet essai est surtout l'analyse d'un cycle fascinant qui nous semble d'ores et dĂ©jĂ  essentiel dans le paysage cinĂ©matographique quĂ©bĂ©cois de ces dix derniĂšres annĂ©es.

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Informations

Année
2021
ISBN
9782895025412

LEUR MAISON SOLITAIRE

Maria Chapdelaine

« tu seras heureuse fille heureuse
d’ĂȘtre la femme que tu es dans mes bras
le monde entier sera changé en toi et moi »
Gaston Miron, « La marche Ă  l’amour »
(L’homme rapaillĂ©)
« Car la maison est notre coin du monde. Elle est — on l’a souvent dit — notre premier univers. Elle est vraiment un cosmos. »
Gaston Bachelard, La poĂ©tique de l’espace

Une société-musée

« Ce bois-lĂ , c’est chez nous. C’est le sable drainĂ© par la riviĂšre PĂ©ribonka depuis des milliers d’annĂ©es. Saint-Ambroise, oĂč je suis nĂ©, Sainte-Monique, PĂ©ribonka : c’est le mĂȘme sol. Je le connais, tout comme je connais la vĂ©gĂ©tation qui pousse dessus, intimement. J’ai passĂ© mon enfance Ă  l’explorer, cette forĂȘt-lĂ . [
] C’est un projet qui me tient Ă  cƓur depuis longtemps, et c’est en continuitĂ© avec mes films prĂ©cĂ©dents. C’est un roman qui m’obsĂšde, que j’ai toujours aimĂ© pour sa grande simplicitĂ© », disait dĂ©jĂ  Pilote (dans LĂ©vesque) en 2017, tandis que commençait Ă  naĂźtre son projet de porter Ă  l’écran, pour une quatriĂšme fois — aprĂšs Julien Duvivier, en 1934, Marc AllĂ©gret, en 1950 et Gilles Carle, en 1983 —, le mythique roman de Louis HĂ©mon.
« Relire Maria Chapdelaine aujourd’hui relĂšve de l’archĂ©ologie. Lieu commun, parfait symbole, ce livre est devenu un monument Ă  dĂ©chiffrer. Certes, il existe un texte de Maria Chapdelaine, dĂ»ment publiĂ©, datĂ©, circonstanciĂ©, immĂ©diatement disponible et dĂ©sormais explorĂ© jusque dans ses variantes, mais combien de rĂ©cits de ce texte, divergeant du rĂ©cit de HĂ©mon, l’occultant, le prolongeant, le modulant, parfois le recrĂ©ant jusque dans ses donnĂ©es fondamentales », Ă©crit Nicole Deschamps (dans Deschamps, HĂ©roux et Villeneuve, p. 7-8) en ouverture de l’ouvrage Le mythe de Maria Chapdelaine, Ă©tude fondatrice sur l’Ɠuvre de HĂ©mon, avant d’ajouter que « [r]arement dans l’histoire de la littĂ©rature contemporaine trouvera-t-on l’exemple d’un aprĂšs-texte aussi envahissant. Écrit et lu au dĂ©but du vingtiĂšme siĂšcle, Maria Chapdelaine rappelle dĂ©jĂ  ces contes traditionnels dont on a oubliĂ© depuis longtemps la lettre et qui, Ă  force d’ĂȘtre racontĂ©s, traduits, interprĂ©tĂ©s, rĂ©Ă©crits, ont acquis dans diverses conjonctures historiques la densitĂ© des mythes » (p. 8). Avec ses coauteurs, Deschamps va ainsi se lancer dans une entreprise de dĂ©mythification du rĂ©cit de HĂ©mon. De la premiĂšre publication du roman en feuilleton jusqu’aux stratĂ©gies littĂ©raires de Grasset pour en faire le plus grand succĂšs littĂ©raire de langue française de ce premier quart de siĂšcle, en passant par les discours religieux qui se sont emparĂ©s du texte, de mĂȘme que par ses nombreuses adaptations, reprises et variantes, voilĂ  ce qui sera analysĂ© et mis en perspective par les auteurs pour tenter de raconter de maniĂšre rĂ©aliste l’histoire de cette nĂ©buleuse en mouvement qui a pour nom « Maria Chapdelaine ». La conclusion de cette enquĂȘte, toutefois, a de quoi surprendre : « Dans toutes ses manifestations, le mythe de Maria Chapdelaine apparaĂźt ainsi comme l’expression d’une sociĂ©tĂ©-musĂ©e qui vit de ses souvenirs et qui refuse, sans doute involontairement, de se crĂ©er une nouvelle histoire. » (Villeneuve dans Deschamps, HĂ©roux et Villeneuve, p. 218) En dĂ©pit de ses innombrables variantes et de son vaste patrimoine transnational et transmĂ©diatique, le mythe de Maria Chapdelaine serait donc porteur d’une interprĂ©tation unique ? S’il y a une chose que nous enseigne la mythologie, c’est plutĂŽt que les mythes, en tant que grands rĂ©cits fondateurs des civilisations, ne possĂšdent pas qu’une seule lecture, mais, au contraire, jouissent d’interprĂ©tations multiples qui savent se renouveler avec le temps24.
L’ambivalence du patrimoine, le double fond de l’hĂ©ritage, la difficultĂ© de se dĂ©faire des modĂšles qui nous ont Ă©tĂ© lĂ©guĂ©s par les gĂ©nĂ©rations antĂ©rieures, voilĂ  autant de thĂšmes qui — les prĂ©cĂ©dents chapitres nous l’ont bien montrĂ© — trouvent une place de choix dans l’Ɠuvre de Pilote. QuestionnĂ© par Marcel Jean (p. 4) sur ses apprĂ©hensions quant au fait de porter une nouvelle fois Ă  l’écran une histoire aussi cĂ©lĂšbre, ce dernier abondera en ce sens :
Il y a quelque chose de passionnant Ă  raconter une histoire qui l’a Ă©tĂ© maintes fois. Comme un mythe, une lĂ©gende, un conte, une blague. Le fait de savoir que plusieurs connaissent dĂ©jĂ  l’histoire avant de voir le film me donne des ailes. C’est trĂšs libĂ©rateur. C’est dire : « Regardez comment je vais vous la raconter, moi, Ă  ma maniĂšre. Et peut-ĂȘtre ensuite verrez-vous l’histoire diffĂ©remment ». Parce que cette simple histoire en raconte plusieurs autres
 [
] Ce roman est donc une vĂ©ritable invitation Ă  faire du cinĂ©ma. Je dis tout ça, mais j’ai souvent l’impression que les gens connaissent davantage ce qu’on a dit du roman, le mythe autour, que le roman lui-mĂȘme. J’ai aussi souvent l’impression que ceux qui en parlent ne l’ont pas lu.
Dans le mĂȘme entretien (p. 5), Pilote reviendra sur l’aspect « mythique » du roman, contre lequel se braquera son adaptation : « Je pense qu’on a tendance Ă  l’oublier, mais ce qu’a fait Louis HĂ©mon, ce sont des portraits, pas des modĂšles. L’Église catholique et les conservateurs ont donnĂ© au roman, Ă  ses personnages, le rĂŽle de modĂšles Ă  suivre. Ils s’en sont servis en les dĂ©tournant, en les rĂ©cupĂ©rant, et il est difficile aujourd’hui de lire le roman — et ses personnages — sans passer par ce filtre. Quand je parle de mythe, je veux aussi dire toute l’imagerie autour du roman [
], le succĂšs populaire phĂ©nomĂ©nal qui a donnĂ© au roman une “image”. » AprĂšs avoir dĂ©construit l’image de « meilleur vendeur du mois » qui collait Ă  la peau de Marcel depuis quinze ans, montrĂ© le malentendu sur lequel est construite la ferme Gagnon et fils, et retirĂ© Ă  LĂ©onie son pĂšre hĂ©roĂŻque, Pilote utilisera le rĂ©cit de HĂ©mon pour mettre en scĂšne une nouvelle coupure dans la filiation, oĂč le modĂšle, une fois Ă©clatĂ© en mille morceaux, laisse sa place au portrait qui nous heurte par sa singularitĂ©.

Les métamorphoses

« Lorsqu’on rĂ©pĂšte par exemple, sans cesse, cette fameuse phrase : “Au pays de QuĂ©bec rien ne doit mourir et rien ne doit changer”, on oublie que le roman contient une multitude de mĂ©tamorphoses. On devrait plutĂŽt dire, rien ne se perd, rien ne se crĂ©e, tout se transforme. Une loi tout Ă  fait naturelle et universelle finalement. Il y a un peu du paradoxe rĂ©volutionnaire de Lampedusa et du GuĂ©pard dans Maria Chapdelaine. » (Pilote dans Jean, p. 6) Il faut faire Ă©clater le mythe pour retrouver la force vive du texte. Refusant le rĂ©servoir d’images et de clichĂ©s qui accompagnent le roman depuis sa parution, Pilote sera ainsi en quĂȘte de la vĂ©ritĂ© intrinsĂšque des protagonistes, qui, comme il l’indique ici, est une vĂ©ritĂ© mobile, plurielle. Les personnages de HĂ©mon sont tout sauf statiques ou immobiles, mais pris dans un processus de transformation complexe, caisse de rĂ©sonance du rĂ©cit.
Rien de plus faux, alors, que de peindre Maria en vierge Marie puis en Ă©pouse fidĂšle, forte d’une rĂ©silience toute canadienne-française qui l’encline Ă  rester au pays de ses ancĂȘtres ; faux, Ă©galement, de ne voir en François qu’un Ă©ternel aventurier des bois magiques, en Eutrope un infatigable et honnĂȘte cultivateur ou en Lorenzo un amoureux fou de la modernitĂ©. Avec Marcel Jean (p. 6-7), Pilote rĂ©sume ainsi le processus de transformation des principaux personnages du roman :
Il y a la mĂšre qui se met Ă  parler comme le pĂšre lorsqu’on attaque leur mode de vie, puis qui, ultimement et fatalement, se transforme en femme de la ville. Il y a le pĂšre qui adopte alors les dolĂ©ances de la mĂšre, ses regrets. Il y a Eutrope qui devient Paradis en affrontant seul la forĂȘt pour aller chercher le curĂ©. Puis Paradis qui promet de se changer en Eutrope, en souhaitant revenir chez lui, avant de disparaĂźtre. Puis ce mĂȘme Paradis disparu qui rĂ©apparaĂźt en Innu fantomatique, avec femme et enfant. Il y a Lorenzo, un habitant de la place comme eux, qui revient transformĂ© en ouvrier, en prolĂ©taire. Et Ă©videmment, il y a Maria qui devient la mĂšre, la cheffe de famille.
À lire ces lignes, on comprend que, pour le cinĂ©aste, la transformation est en rapport Ă©troit avec la disparition, puisque c’est cette derniĂšre qui rend visible les mĂ©tamorphoses. Celles-ci, d’ailleurs, ne concernent pas seulement les personnages, mais aussi le paysage — par le changement des saisons, le travail de la terre et la lutte contre la nature sauvage —, autre protagoniste du film. Par cette sĂ©rie de transformations, petites et grandes, allant de la chute d’un arbre au trou bĂ©ant laissĂ© par la mort d’un personnage, l’adaptation de Pilote nous invite Ă  trouver le nouveau Ă  mĂȘme l’identique, la diffĂ©rence Ă  travers la rĂ©pĂ©tition.
« D’abord le silence
 Des yeux pleins de jeunesse. Seulement des yeux. Puis, un visage. Celui d’une jeune femme, Maria Chapdelaine. Une jeune fille brune. Elle regarde devant elle. Un regard ardent. Puis, un deuxiĂšme visage. Celui d’un jeune homme, François Paradis. Il regarde aussi vers l’avant, vers un troisiĂšme visage, celui d’un homme maigre et jeune, le visage d’un curĂ©. Trois visages : elle, lui et le curĂ©. On dirait un mariage. » C’est ainsi que s’ouvre le scĂ©nario de Maria Chapdelaine. DĂ©jĂ , on y retrouve les deux principes Ă©voquĂ©s par Pilote pour dĂ©fendre les spĂ©cificitĂ©s de son adaptation : d’une part, le procĂ©dĂ© du portrait (la sĂ©rie de gros plans de visages), d’autre part, le principe de transformation, qui nous empĂȘche de poser un jugement dĂ©finitif sur une image, un personnage ou une situation. La suite de la scĂšne dĂ©crira justement le premier renversement du film : « Nous sommes dans une petite Ă©glise de bois rustique. Nous entendons le plancher et les bancs qui craquent, des toussotements discrets. Le curĂ© prend une pause en regardant fixement devant lui. Le temps est suspendu. Il semble prendre un Ă©lan. Il attend un instant, silencieusement. Et soudainement, il se met Ă  chanter le Ite missa est, brisant ce silence en ouverture. Ce n’est donc pas un mariage, mais la fin de la messe
 ». À la fois un dĂ©but et une fin, un mariage et une messe. MĂȘme si, du point de vue strictement narratif, il faudra bien choisir l’un ou l’autre de ces deux embranchements, sur le plan de l’effet produit par le visionnement de l’Ɠuvre, les deux choix restent possibles et coexistants. Dans le film, le procĂ©dĂ© sera lĂ©gĂšrement simplifiĂ©. Avec le premier plan, nous voyons le visage de François (Émile Schneider), les yeux tournĂ©s vers la droite du cadre, fixant le hors champ. Le deuxiĂšme plan nous montre Maria (Sara Montpetit), levant les yeux et tournant la tĂȘte, Ă  la recherche de son promis, qui vient de quitter l’église sans se signer. Non sans ironie, l’adaptation qui accorde le moins de temps d’écran Ă  l’idylle entre Maria et François est Ă©galement la seule Ă  commencer le rĂ©cit sur leur histoire. Or, ce que cherche ici Pilote, ce n’est pas tant l’histoire d’amour que la tension entre la prĂ©sence et l’absence, l’apparition et la disparition.
Sur le plan cinĂ©matographique, la force du personnage de François est justement de suggĂ©rer sa prĂ©sence alors mĂȘme qu’il est absent, jaillissant de sa boĂźte comme un diable Ă  ressort. C’est d’ailleurs ainsi qu’il refera surface une vingtaine de minutes plus tard : nous ne verrons pas directement son arrivĂ©e sur la concession des Chapdelaine, mais nous entendrons sa voix interpeller Tit’bĂ© (Arno Lemay) depuis le hors champ. InterloquĂ©, ce dernier lĂšvera les yeux pour le chercher du regard, rĂ©pĂ©tant le geste de Maria lors de la premiĂšre scĂšne. Avec variantes, le procĂ©dĂ© sera repris lors des dĂ©parts et des arrivĂ©es de François, personnage mobile par excellence, que l’on ne verra paradoxalement jamais en dĂ©placement. Il en sera de mĂȘme lors de sa disparition finale. Lorsqu’il prendra le bois malgrĂ© la menace d’une imminente tempĂȘte de neige, pour rejoindre la famille Chapdelaine, nous le verrons seulement s’approcher de la lisiĂšre de la forĂȘt, mais jamais la traverser. FidĂšle au texte de HĂ©mon, qui se contente de la narration d’Eutrope pour informer le lecteur, et les Chapdelaine, de la disparition de François, Pilote est le seul cinĂ©aste Ă  faire le choix de ne pas montrer la mort de l’aventurier, qui Ă  nouveau refuse de fixer l’état de ses personnages pour ne pas mettre fin au processus de mĂ©tamorphose. « Paradis ne meurt pas, il disparaĂźt
 Et s’il revient, ce sera sous une autre apparence, transfigurĂ©. J’aime qu’il reste une incertitude, j’aime qu’il puisse demeurer quelque chose d’indĂ©terminĂ© dans la disparition — ou la mort — de Paradis. J’aime que l’on puisse mĂȘme se dire qu’il n’a jamais existĂ© rĂ©ellement. C’est un esprit. Une idĂ©e. Une invention de Maria. » (Pilote dans Jean, p. 8) Fantasme, fantĂŽme ou esprit, le François Paradis de Pilote n’est plus condamnĂ© Ă  incarner une nouvelle fois le symbole de la libertĂ© du coureur des bois dans un monde tiraillĂ© entre le nomadisme et la sĂ©dentaritĂ©. S’il illustre quelque chose, c’est plutĂŽt la poĂ©tique des mĂ©tamorphoses sur laquelle sont construits le roman et sa nouvelle adaptation. « De ne pas montrer Paradis se perdre en forĂȘt, mais d’utiliser le rĂ©cit d’Eutrope, c’est possiblement la meilleure idĂ©e que j’aie eue pour l’adaptation. Paradis s’écarte du film. On ne le voit plus, mais il est encore là
 En suspens », souligne avec justesse le rĂ©alisateur (dans Jean, p. 8), qui, en rĂ©trospective, note Ă©galement la qualitĂ© cinĂ©matographique de l’écriture de HĂ©mon25, qui transpose la mort de son personnage dans une tension entre le visible et l’invisible.

Une force gravitationnelle

« Une sorte d’attraction d’images concentre les images autour de la maison » Ă©crit Bachelard dans La poĂ©tique de l’espace (p. 23), qui propose d’« atteindre les vertus premiĂšres, celles oĂč se rĂ©vĂšle une adhĂ©sion, en quelque maniĂšre, native Ă  la fonction premiĂšre d’habiter » (p. 24). Éternel voyageur, HĂ©mon a nĂ©anmoins Ă©crit un des grands romans du XXe siĂšcle sur le thĂšme de la maison. Dans Maria Chapdelaine (HĂ©mon), la « maison isolĂ©e dans les bois » (p. 24), frĂȘle forteresse contre l’immensitĂ© et la violence du territoire, sera donc maintes fois dĂ©crite comme le « centre du monde » (p. 90). Or, lĂ  oĂč les prĂ©cĂ©dents adaptateurs, en particulier Duvivier et AllĂ©gret dont les films ont d’abord Ă©tĂ© tournĂ©s pour le public français, se sont Ă©loignĂ©s de la vĂ©ritable poĂ©tique de l’espace du roman afin d’investir le clichĂ© de la « cabane au Canada26 », Pilote, au contraire, va faire de la maison un personnage Ă  part entiĂšre de son adaptation.
Maria Chapdelaine « Le centre du monde »
Maria Chapdelaine
« Le centre du monde »
« Le cƓur du film devait ĂȘtre la maison. Avec sa pulsation. Et son centre c’est le poĂȘle qu’il ne faut pas laisser mourir. Tout gravite autour. Les personnages partent, puis y reviennent, comme le mouvement des vagues qui se succĂšdent. La maison a une force gravitationnelle. Un pouvoir d’attraction. Tout ce qui est autour, je ne le montre pas. Les villes, les villages, les belles paroisses, c’est le hors champ
 », note Pilote (dans Jean, p. 5), soulignant par lĂ  sa fidĂ©litĂ© Ă  la poĂ©tique de l’espace du roman. Cet « univers de la maison » (Bachelard, p. 24) et la force attractive qui s’y trouve associĂ©e seront par ailleurs exemplifiĂ©s dĂšs l’ouverture du film. AprĂšs le Ite missa est et le mari...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Faux titre
  3. Du mĂȘme auteur
  4. Voir disparaßtre - Une lecture du cinéma de Sébastien Pilote
  5. Page légale
  6. DĂ©dicace
  7. REMERCIEMENTS
  8. INTRODUCTION - Le sentier battu
  9. LE MAQUIGNON ET LE MÉTÉORE - Le vendeur
  10. LE PERDANT MAGNIFIQUE - Le démantÚlement
  11. LA DAME DE CƒUR - La disparition des lucioles
  12. LEUR MAISON SOLITAIRE - Maria Chapdelaine
  13. CONCLUSION - La partance
  14. RÉFÉRENCES
  15. Notes
  16. Table des matiĂšres
  17. Dans la collection « L’instant ciné »
  18. QuatriĂšme de couverture