Kaléidoscorps
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Kaléidoscorps

Sur quelques métaphores corporelles dans la littérature québécoise

  1. 156 pages
  2. French
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  4. Disponible sur iOS et Android
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Kaléidoscorps

Sur quelques métaphores corporelles dans la littérature québécoise

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Les métamorphoses du corps engendrent plus que des transformations physiques: elles sont le plus souvent productrices de nouveaux discours, libérant un dire jusque-là tenu captif, ou une créativité qui trouve dans le corps son fond et sa forme. Sans viser l'exhaustivité Philippe St-Germain « à l'écoute de ce qui est produit par la métamorphose corporelle », a recherché dans la littérature québécoise des œuvres se prêtant bien à des lectures parallèles ou complémentaires afin de proposer un panorama varié des imaginaires du corps. En démontant les jeux sémantiques mis en scène grâce au corps et en mettant en relation des livres autrement séparés par les conventions de genre ou d'époque Kaléidoscorps enrichit d'une strate supplémentaire la littérature québécoise de ce corpus.

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Informations

ENGENDREMENTS
1
LE CANCER COMME MÉTAPHORE
La métaphore a une fonction heuristique qui, par sa dimension poétique, dit quelque chose d’autre — de plus. C’est une figure faite sur mesure pour l’œuvre d’art, qui signifie toujours plus que ce qu’elle montre. La métaphore enrichit ainsi notre compréhension des thèmes qu’elle évoque (elle donne à penser, dirions-nous dans la foulée de Ricœur), mais elle le fait d’une façon détournée, qui pointe le regard vers l’ailleurs. En l’introduisant dans un essai portant sur le corps métamorphosé, ne risque-t-on pas d’étendre indûment le corpus, tout ouvrage nommant ou montrant le corps devenant une matière analysable sous le couvert de la métaphore ? Nous ne le croyons pas : la métaphore dit le corps d’une façon aussi intéressante que les approches plus directes que l’on croisera plus loin. Comme le chapitre suivant, celui-ci porte sur des engendrements qui débordent les cadres symboliques et corporels, mais dans deux romans fort différents : à l’ancrage autobiographique de L’homme qui entendait siffler une bouilloire répondent les jeux formels de Métastases.
***
Placer l’étude de L’homme qui entendait siffler une bouilloire (2001) dans un chapitre consacré au cancer comme métaphore ne va pas de soi1. D’abord parce que ce roman relativement méconnu de Michel Tremblay évoque un acouphène vécu comme tel par son protagoniste, le réalisateur de cinéma Simon Jodoin, mais aussi parce que le livre comporte sa part de résonances autobiographiques à peine transformées par et dans la littérature : il aborde par le biais de la fiction certaines aventures médicales vécues par Tremblay, de l’apparition d’un acouphène (et d’une tumeur) jusqu’à la chirurgie et ses conséquences. L’auteur ne s’en cache pas, allant jusqu’à dédier son livre à deux médecins qui « [lui] ont sauvé la vie le 10 juin 1998 » (p. 9). Pas plus l’acouphène que la tumeur ne semblent être « que » des métaphores, dans la diégèse du roman comme dans les modalités de son élaboration.
Mais il ne s’agit justement pas d’une maladie typique. Comme le cancer dont il est la cause profonde chez Simon Jodoin, l’acouphène est insidieux, il n’est (la plupart du temps) perçu que par le malade ; avant de recevoir le diagnostic médical et même après, il emprunte plusieurs formes dans l’imaginaire d’un être souffrant, en proie au délire. Si sa dimension autobiographique permet à L’homme qui entendait souffler une bouilloire de voisiner des cycles très personnels comme ceux des Belles-sœurs, des Chroniques du Plateau Mont-Royal ou de la Diaspora des Desrosiers, le traitement singulier auquel Tremblay soumet l’acouphène tend un pont vers un autre pan de son œuvre : l’inspiration fantastique. Il a amorcé sa carrière littéraire en publiant deux livres pétris de fantastique : le recueil Contes pour buveurs attardés (1966), dans lequel on trouve plusieurs histoires inspirées par le fantastique européen (celui de Jean Ray surtout), puis La cité dans l’œuf (1969), un premier roman au fantastique assez traditionnel. L’auteur a largement délaissé le fantastique en poursuivant son œuvre, mais il a néanmoins donné à La cité dans l’œuf une sorte de suite en écrivant Le trou dans le mur (20062).
Ces textes ont un rapport au fantastique parfois très explicite, voire ostentatoire : planètes pittoresques, monstres, êtres miniatures, purgatoires et fantômes se rejoignent dans une ode au bizarre. Le fantastique de L’homme qui entendait souffler une bouilloire, en revanche, est plus sobre. C’est en somme un fantastique « moderne » s’inscrivant dans la foulée de celui de Kafka et de Cortázar et que l’on peut aussi observer dans certains passages du Trou dans le mur. Il délaisse les monstres et les merveilles pour accumuler les occurrences d’une inquiétante étrangeté : un décor réaliste paraît rongé de l’intérieur par une présence, une menace mystérieuse (ici : l’acouphène). À bien des égards, L’homme qui entendait souffler une bouilloire est un reflet inversé du Trou dans le mur. Si le second s’annonce sous des augures fantastiques (notamment dans son prologue et dans sa filiation directe avec La cité dans l’œuf grâce au retour de François Laplante fils) mais ne l’est guère, ses diverses histoires étant fort réalistes3, le contraire se produit dans L’homme qui entendait souffler une bouilloire : un roman réaliste porte en creux un roman fantastique. Un livre dans lequel il n’y a pas de monstres extérieurs, mais un monstre se lovant à l’intérieur du protagoniste : l’acouphène.
Le livre s’ouvre d’ailleurs sur un bruit qui n’a pas encore de nom, qui n’est même pas un véritable symptôme puisqu’il déborde l’horizon du pensable. Tel K. dans Le procès, Simon Jodoin est plongé dans « l’angoisse et la paranoïa » (p. 113) et mis à l’épreuve par un mal injuste et incompréhensible, un mal « encore mystérieux, même pour la science moderne » (p. 49) « qui allait transformer sa vie à tout jamais » (p. 18). Il le considère d’abord comme une présence purement extérieure — sifflement, fournaise, bouilloire. Le fantastique doit sa nature à la perception que l’on en a ; Jodoin produit donc une lecture psychologique : le bruit pourrait être causé par le stress (son tournage du moment est miné par une atmosphère étouffante) ou par l’influence d’un esprit surmené sur un corps soudain vulnérable. Chaque fois qu’un proche soulève la possibilité d’un acouphène, Jodoin refuse sous prétexte que ce mal ne vise que les gens qui s’exposent au vacarme. C’est toute la perception de Jodoin qui semble affectée par le bruit : l’hôpital, ses employés et ses environs deviennent des décors cauchemardesques. Il est surtout interpellé par une « machine infernale » (p. 69) qui lui fait penser à la table d’opération dans Frankenstein, puis il établit un parallèle entre les films de prévention que l’on fait visionner aux patients et les films d’épouvante.
La métamorphose de Simon Jodoin a beau être insidieuse, elle n’est pas moins réelle, lui rongeant le corps de l’intérieur. Il éprouve la hantise de devenir un monstre au fil du traitement : en plus de la surdité, il imagine avoir « un masque de cire, sans expression, figé dans un rictus vers le bas parce que le nerf facial était mort lui aussi » (p. 113). Et tout en s’avérant un filtre prédictif, la peur opère une relecture rétrospective et angoissante de tout ce qu’il a vécu jusqu’au bruit : il ressasse ses souvenirs afin de découvrir les signes de ses ennuis à venir ; il se rappelle avoir régulièrement changé de chaîne stéréo et de casque d’écoute, prétextant à chaque fois une faiblesse du côté gauche ; discutant avec son ex-conjointe, il se demande — dans un relent de judéo-christianisme — si l’acouphène est un châtiment.
Nous entrons ainsi avec Simon Jodoin dans la maison du fantastique, remplie de miroirs et de formes imprécises. Le sifflement pourrait bien avoir troublé ses perceptions depuis des décennies : « Cette présence était-elle là, au creux de son oreille, depuis tout ce temps ? » (p. 53) L’acouphène est le mal fantastique par excellence : on l’éprouve au plus profond de soi-même, sans trop connaître sa provenance, et il modifie de fond en comble la perception sensible. Tremblay le qualifie de « filtre qui changeait la couleur des sons et qui l’exaspérait » (p. 32). Ce mal si intérieur est perçu comme un rival extérieur (« Tu m’auras pas, mon écœurant ! » [p. 64]) dans une lutte impossible à remporter puisque Jodoin est condamné à être simultanément le gagnant et le perdant, la fiction intériorisant le conflit.
Au sens strict, la cure n’est pas un processus de guérison, mais d’accoutumance ; les acouphènes demeurent à bien des égards mystérieux, y compris pour les médecins. L’auteur confronte deux maux bien différents dont le traitement l’est tout autant, mais pourtant réunis dans le corps de Simon Jodoin : la tumeur et l’acouphène, le second étant une conséquence de la première. C’est au premier mal que s’attaquent les médecins, puisqu’il est à la fois plus facile à extraire (contrairement à l’acouphène, son traitement a une longue histoire et offre des balises connues) et plus grave ; quant à l’acouphène, on ne peut rien promettre. On ne dispose pas d’une tumeur — que l’on peut contempler, manipuler et étudier à loisir — comme d’un son ; la tumeur peut être observée grâce à des tests et, une fois extraite, vue par un tiers, tandis que l’acouphène, dans la plupart des cas, ne sera perçu que par le malade.
Cet objectif explique pourquoi l’opération est considérée comme « une grande réussite » (p. 121) par les médecins, dès l’ouverture du dernier acte du roman : on évite le pire en extrayant la tumeur. Le nerf facial a été épargné et le visage de Jodoin ne semble pas paralysé. La réussite paraît si manifeste que Jodoin n’entend plus son acouphène, mais il comprend rapidement — par le langage non verbal de l’équipe médicale, surtout — que ça ne pourrait être que partie remise ; il se peut que l’anesthésie ne donne qu’un espoir temporaire. Jodoin voit double pendant quelques jours, ce qui l’importune un peu, mais tout le suspense de cette partie du roman tient à une question : l’acouphène reviendra-t-il hanter le protagoniste ? Ou plutôt : sera-t-il de nouveau perceptible ?
Fatalement, il est réveillé, un matin, « par quelque chose de familier mais qu’il ne reconnut pas tout de suite » (p. 165), ce qui n’est pas une mauvaise définition du fantastique4. Plutôt que d’escompter un retour à la normale des perceptions sensibles troublées par l’acouphène, il s’agit de s’habituer à ces perceptions déphasées ; voilà entre autres pourquoi le roman s’achève sur une conclusion que l’on pourrait qualifier de happy end, dans les circonstances : « Simon se tourna sur le côté droit et, pour la première fois, fit face à son problème plutôt que de s’y laisser submerger » (p. 179). Il lui faut non seulement le tolérer, mais se convaincre que sa vie en dépend et l’aimer.
Si l’acouphène est né de la perception solitaire de Simon Jodoin, cette perception serait donc aussi l’ultime remède, le roman s’achevant comme il a débuté (c’est l’acouphène-pharmakon). C’est le traitement du sifflement — le son lui-même, son impact sur Jodoin et ses perceptions sensibles — qui fait de L’homme qui entendait siffler une bouilloire un roman fantastique. Le récit aménage un espace pour un ensemble de confrontations — entre le réel et l’imaginaire, entre la tumeur et l’acouphène — qui fraient régulièrement avec l’étrange et l’incertitude ; les frontières sont poreuses pour le héros comme pour les lecteurs. L’acouphène s’installe dans le corps, mais pour mieux en contester le caractère transparent.
***
La tumeur est plus visible que l’acouphène, comme on l’a vu en considérant le roman de Michel Tremblay. Mais si on peut l’extraire plus facilement, elle n’est pas immédiatement compréhensible. C’est notamment ce que donne à voir Métastases (2014), le premier roman de David Bélanger5.
Les textes consacrés à ce livre évoquent volontiers son jeu avec les codes du polar. Si la quatrième de couverture le propose afin de donner envie de le lire (« une enquête truffée des clichés et figures imposées du polar, jusqu’à son dénouement explosif »), certains critiques en font plutôt le fondement d’une réserve : ne s’agit-il pas d’un (autre…) polar qui n’en est pas un, qui s’amuse des tropes d’un genre connu sans s’assumer complètement et qui, dans un réflexe défensif et postmoderne, multiplie les distances et les pièges6 ? Certes, on pourrait sans peine ranger Métastases sur un rayon où voisineraient quelques romans de Tanguy Viel ou de Jean Echenoz, par exemple, tant le livre de Bélanger nage à son aise dans le « style Minuit ». Il est moins sûr que l’on puisse réduire notre lecture à une comparaison mécanique avec ses précurseurs et modèles, en vertu de l’usage étrange et subversif que l’auteur fait du cancer. Le titre donne le ton, d’au moins deux manières : la typographie de la page couverture donne à penser qu’il s’agira d’une métafiction (le meta est placé légèrement en retrait) dans laquelle la maladie jouera un rôle central. Cette double orientation traverse tout le roman, les jeux narratifs se déployant à partir d’un cancer si proliférant qu’il en vient à contaminer la fiction elle-même. C’est d’ailleurs cette piste (puisqu’on parle ici d’une enquête) que je privilégierai dans ce qui suit : non pas les codes du polar, plus évidents, mais les codes d’une certaine « littérature du cancer ».
Il faut pour cela revenir aux remarques de Susan Sontag abordées en introduction. Elles ra...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Page titre
  3. Crédits
  4. INTRODUCTION
  5. ENGENDREMENTS
  6. POROSITÉS
  7. EXTRÊMES
  8. CONCLUSION
  9. RÉFÉRENCES
  10. Dans la collection « Trajectoire »
  11. Couverture 4