Confessions d'un cassé
eBook - ePub

Confessions d'un cassé

  1. 170 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Confessions d'un cassé

Détails du livre
Aperçu du livre
Table des matières
Citations

À propos de ce livre

« Autant l'avouer tout de go, je n'ai jamais rien compris à la valeur de l'argent. J'ai même envie de dire que c'est une vocation précoce. Je n'oserais pas dire que je n'y peux rien, mais un dollar pour moi reste toujours un objet ambigu. Un jour, c'est un trésor, une véritable fortune, surtout quand je le trouve dans le repli d'un futon. Le lendemain, c'est une denrée tellement commune qu'il m'est difficile de vouloir y porter attention. »Peut-on vivre aujourd'hui sans se soucier de l'argent? Ou une posture si extrême nous condamne-t-elle à mener une vie en marge de la société, voire même une vie de paria? Voilà la question qu'explore ici Pierre Lefebvre avec un délicieux sens de la dérision, au point où nous ne pouvons réprimer l'idée que, à bien y penser, c'est peut-être notre vie à nous, qui connaissons la valeur de l'argent et accordons notre conduite en conséquence, qui prend soudain les allures d'une douce – ou moins douce – folie.

Foire aux questions

Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramètres et de cliquer sur « Résilier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez résilié votre abonnement, il restera actif pour le reste de la période pour laquelle vous avez payé. Découvrez-en plus ici.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptés aux mobiles peuvent être téléchargés via l’application. La plupart de nos PDF sont également disponibles en téléchargement et les autres seront téléchargeables très prochainement. Découvrez-en plus ici.
Les deux abonnements vous donnent un accès complet à la bibliothèque et à toutes les fonctionnalités de Perlego. Les seules différences sont les tarifs ainsi que la période d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous économiserez environ 30 % par rapport à 12 mois d’abonnement mensuel.
Nous sommes un service d’abonnement à des ouvrages universitaires en ligne, où vous pouvez accéder à toute une bibliothèque pour un prix inférieur à celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! Découvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte à haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accélérer ou le ralentir. Découvrez-en plus ici.
Oui, vous pouvez accéder à Confessions d'un cassé par Pierre Lefebvre en format PDF et/ou ePUB ainsi qu’à d’autres livres populaires dans Social Sciences et Essays in Sociology. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages à découvrir dans notre catalogue.

Informations

Année
2015
ISBN
9782764644041
LA VIOLENCE ET L'ENNUI
Quatrième confession
1
Mon père et ma mère venaient de la ville, une origine commune qui ne les unissait pas. Mon père rêvait de pouvoir s’installer dans le fond d’un rang ou, mieux encore, dans le bois, juste à côté d’un lac ou d’une rivière. Pour ma mère, c’était un peu le contraire. Dans la mesure où le théâtre, le cinéma, les librairies et les musées étaient pour elle le sel de la vie, la seule chose qui l’intéressait était de se rapprocher le plus possible du centre-ville. Je n’ai jamais pu savoir à quel point cette tension-là était insupportable pour chacun d’eux, mais à peu près une année après leur mariage, ce qu’ils ont trouvé de plus simple à faire a juste été de couper la poire en deux. J’ai passé mon enfance, puis mon adolescence pas plus dans un rêve que dans l’autre.
2
Dans banlieue, à la manière du proverbial nez au milieu du visage, je ne perçois que le ban. De là, comme la pente est glissante, j’entends « bannissement », puis « exil ». Ban dérive du latin bannus, qui était une « amende infligée à cause d’un délit contre le pouvoir public ». Au xiie siècle, le français l’adopte, afin de désigner « une loi dont la non-observance entraîne une peine ». Au bout d’un certain temps – le langage, c’est chiant, est rarement une chose fixe – ban en est venu à signifier une convocation, celle du suzerain à ses vassaux quand il trouvait que c’était le temps de faire la guerre. L’équivalent, en gros, de notre conscription. Ça expliquerait, et me semble-t-il de façon élégante, la parenté des rangées de bungalows avec les alignements de baraquements militaires. Anyway, à la longue, le terme s’est mis à désigner le territoire même qui était soumis à ce ban-là. Le mot banlieue, issu de la féodalité, désignait donc l’espace, d’environ une lieue, jusqu’où l’autorité comme le bon vouloir du suzerain s’étendaient. Il ne m’apparaît ainsi pas trop délirant d’avancer que la banlieue, aujourd’hui, est le lieu même du ban, c’est-à-dire de la conformité aux mots d’ordre. Et si ça se trouve, c’est le ban lui-même devenu lieu. Je veux dire, comme le verbe s’est fait chair.
3
La transmission est un processus sinueux. Ce que m’ont essentiellement transmis mon père et ma mère par le biais de leur compromis, c’est combien la banlieue est un endroit où on se languit. D’abord d’un autre endroit, puis, bien sûr, d’une autre vie, peut-être même aussi d’un autre amour, d’une femme, d’un homme avec qui nous pourrions partager ce qui arrive, un peu par accident, à nous faire supporter la stupeur d’être en vie. Je ne peux pas m’empêcher de penser que c’est parce qu’un autre monde y semble bel et bien impossible que ceux qui habitent en banlieue ont la force de se lever le matin pour se rendre pare-chocs à pare-chocs sur leur lieu de travail, d’en revenir de même en fin d’après-midi puis de s’occuper, la fin de semaine, de leur gazon, de leurs haies ou de leur clôture pour après ça se rendre chez Costco s’acheter sagement Dieu sait quoi, à crédit.
C’est dans une conférence intitulée Le Savant et le Politique, donnée un an à peine après l’horreur sans nom qu’on a fini par désigner, j’imagine, faute de mieux, la Première Guerre mondiale, que Max Weber a introduit au monde son fameux concept de violence légitime. Comme c’est un texte que j’ai lu il y a longtemps, mon souvenir en est un peu flou, mais d’après mon souvenir, l’idée défendue par Weber est que l’État moderne, quand il a émergé, se trouvait un peu fourré. Après le brassage de cage des Lumières, puis l’euphorie des régicides qui ont découlé de la Révolution française, un peu comme s’il dégrisait, l’État moderne s’est rendu compte à quel point conserver le pouvoir était plus compliqué que l’acquérir. C’est que contrairement aux autres formes de pouvoir qui l’avaient précédé, disons, pour faire vite, depuis les Grecs, l’État moderne ne pouvait pas légitimer ses prétentions en s’assoyant sur la puissance de Dieu ou quelque autre forme plus ou moins structurée de transcendance. Que faire, que faire pour camper mon autorité, et pour que tout ne bascule pas dans la barbarie ? L’État moderne passait ses grandes journées à se le demander. À force de se creuser les méninges, il a eu à un moment donné une espèce de déclic. Après, il a mandé sa population, puis il lui a tenu un grand speech : Bon, écoutez, j’ai pensé à quelque chose. C’est assez osé, j’en conviens, mais confiez-moi, symboliquement bien sûr, je ne suis pas complètement schizophrène, la part de violence qui se trouve en chacun de vous. Je vais en faire un gros tas, puis je vais le garder par-devers moi par le biais de mon armée, de ma police, puis des autres appareils répressifs plus ou moins embryonnaires en ce moment, mais qui vont bien finir par se développer avec le temps. Je sais que ça peut paraître intense, mais je ne fais pas ça pour le fun, au contraire. Avec ce système-là, si jamais votre voisin vous met son poing dans le front, ou se décide à voler vos souliers, à mettre le feu à votre grange ou même seulement à vous pisser dessus, au lieu de le fesser ou de le mordre, dites-lui seulement qu’il n’a pas le droit de le faire, puis appelez-moi. Inquiétez-vous pas, des coups, il va finir par en recevoir. En plus, c’est moi qui vais les donner à votre place, mais sous la forme d’amendes, de peines de prison, de travaux communautaires ou d’injonctions, ce qui, vous en conviendrez, est plus propre, on n’est quand même pas des sauvages. Fait que, en résumé, pour que ce soit clair : la violence, à partir de tout de suite, c’est mon affaire. J’ai le droit de fesser, j’ai le droit d’emprisonner, j’ai le droit de contraindre, j’ai même le droit de tuer par le beau biais de la peine capitale, mais que je n’en vois pas un maudit s’essayer à faire quoi que ce soit de cet ordre-là par lui-même pour son propre profit, parce qu’il va y goûter.
Le détour peut paraître laborieux, mais si je m’attarde au concept de violence légitime, c’est qu’il me semble une voie royale pour atteindre le noyau dur de la banlieue. Celle-ci, en effet, pourrait bien reposer sur un principe analogue, soit l’ennui légitime. Tout comme l’État moderne a su, au temps de son origine, s’accaparer la violence de ses citoyens afin que l’ensemble du corps social ne s’abîme pas à longueur de journée dans le sang, la banlieue a très bien pu, pour sa part, recueillir en son sein le désarroi et l’ennui de ceux qui l’habitent. En conséquence, les banlieusards sont capables de vaquer à leur vie sans trop sombrer dans la neurasthénie. Mais les liens de la banlieue avec les idées de Weber ne sont pas seulement analogiques. Je m’en voudrais de le laisser entendre. L’ennui dont dispose la banlieue, pour ainsi dire à satiété, se déploie en effet grâce à la violence de l’État, enfin, grâce à l’usage qu’en fait désormais l’entreprise privée depuis qu’on a trouvé que c’était plus commode de la lui refiler en sous-traitance. Si la banlieue peut ainsi s’ennuyer à force d’uniquement se préoccuper de ses problèmes d’intendance, c’est en raison des lumières de Noël, des costumes d’Halloween et des écrans plasma dont elle est si friande et qui sont produits au loin, là où son regard ne porte pas, et dans des conditions qu’il lui serait impensable d’accepter pour elle-même. Or, c’est là que cet ennui devient d’une tristesse sans nom. Car pour acquérir les bébelles dont elle a tant besoin pour maintenir à flot la représentation qu’elle se fait d’elle-même, la banlieue est forcée de vivre au-dessus de ses moyens. Financiers, tout d’abord, mais plus encore moraux. La banlieue, en effet, afin de vivre comme elle vit, s’endette sur deux tableaux. D’abord, comme on le sait, auprès des institutions financières, et ensuite, ou simultanément, auprès de ceux et celles qui fabriquent pour elle, en étant traités comme des bêtes, l’essentiel de ce qu’elle consomme, si ce n’est dans les faits ce qu’elle consume. C’est là le drame des banlieusards. Ils ont beau être délestés du poids de leur ennui, ils ne le sont pas de celui de leurs dettes, de la première, la pécuniaire, qui les rend fous à force de leur faire craindre qu’ils ne pourront l’honorer et de la deuxième, la morale, qui, elle, les rend fous à force d’être farouchement irremboursable. En plus de ça, les sweatshops pullulant en bonne partie parce qu’un matin des actionnaires se sont dit : Ça serait une bonne idée de la délocaliser, l’usine de l’Assomption, les chômeurs créés de la sorte deviennent ipso facto une clientèle rêvée pour les fabriques de parapluies qui perdent leurs baleines au bout de trois averses ou encore d’ouvre-boîtes qui pètent après leur septième canne. Si Victor Hugo pouvait se permettre d’affirmer : « C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches », nous n’avons même plus ce loisir-là tant notre paradis est infernal à force d’être pathétique. On dirait La Planète des singes. À cette différence près que ce ne sont pas ici les primates qui dominent, mais plus tristement les bébelles. Les rares fois où je retourne au pays de mon enfance, il m’est assez difficile, je l’avoue, de ne pas repenser à Charlton Heston à quatre pattes de rage et de désespoir devant la statue de la Liberté ensablée jusqu’au cou, et à ce qu’il crie, surtout, en guise de conclusion à sa mésaventure : « Cette planète maudite, c’est la Terre ! »
4
Cela dit, je ne me désole en rien, au contraire, d’avoir commencé en banlieue ce qui me sert d’existence. Je serais triste de le laisser entendre. Je suis loin d’être convaincu qu’il me serait donné d’être moins carencé, moins maladr...

Table des matières

  1. Page couverture
  2. Les Éditions du Boréal
  3. Faux-titre
  4. Titre
  5. Crédits
  6. Exergue
  7. Le haschich et la bière
  8. La mouche et l’araignée
  9. Le voleur et le roi
  10. La violence et l’ennui
  11. Le pauvre et le déserteur
  12. Le chameau et le chas
  13. L’héritage et le vide
  14. Épilogue
  15. Crédits et remerciements
  16. Fin
  17. Quatrième de couverture