Le Piège de la liberté
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Le Piège de la liberté

Les peuples autochtones dans l'engrenage des régimes coloniaux

  1. 442 pages
  2. French
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Le Piège de la liberté

Les peuples autochtones dans l'engrenage des régimes coloniaux

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À propos de ce livre

Le présent ouvrage raconte comment la « rencontre des deux mondes » entre les nations autochtones et les empires européens a provoqué un immense choc des cultures. Il analyse les mécanismes qui ont mené, au nom de la civilisation, à l'écrasement et à l'expropriation des peuples de l'Amérique septentrionale. Par des exemples concrets, il dévoile ce que les auteurs appellent « le piège de la modernité », la liberté promise par les Occidentaux servant en définitive à opprimer et à refouler les populations amérindiennes. Vaste fresque qui couvre plus de trois cents ans d'histoire, ce livre nous en apprend au moins autant sur les nations autochtones à l'époque coloniale que sur le monde occidental dans lequel nous vivons. Le portrait qui se dégage de cette étude à la fois fouillée et accessible est d'une implacable lucidité.

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Informations

Année
2017
ISBN
9782764644980
chapitre 1
La liberté des « Sauvages »
La compréhension de la nature du pouvoir dans les populations autochtones permet de lever maints malentendus qui ponctuent l’histoire de la Nouvelle-France. La métaphore paternelle est sans doute l’illustration la plus manifeste de ces dialogues de sourds entre deux conceptions foncièrement différentes de l’organisation politique et des rapports sociaux qui en découlent. Toutefois, on peut dire que c’est l’ensemble de l’histoire coloniale qui s’inscrit dans le tragique de l’ethnocentrisme. Aux autochtones qui réclamaient le droit d’être libres, l’État colonial français ou l’Église de la Contre-Réforme répondaient que nul n’est plus libre que celui qui obéit au monarque ou à Dieu, ce qui ne laissait pas de les étonner. Au xviie siècle, un jeune Autochtone descendu à Québec avouait que ce qui l’avait le plus impressionné, c’était « la prompte obeïssance, & le grand respect qu’on rendoit à Monsieur [le] Gouverneur1 ». La plupart des observateurs français n’étaient pas moins surpris que lui à observer les mœurs politiques des premiers habitants de l’Amérique. Ils les jugeaient en effet incapables d’une vie réglée, car, ne connaissant nulle contrainte, les « Sauvages » ne pouvaient, semblait-il, disposer de gouvernement. Les autochtones avaient bien des chefs, mais ceux-ci paraissaient dénués d’autorité, recevant un pouvoir qu’ils étaient incapables d’exercer. Le contraste était frappant entre les deux types d’organisations politiques. Les explorateurs constataient que les indigènes ne ressentaient nulle gêne à vivre dans une apparente anarchie : « Ils m’ont reproché cent fois, écrivait le missionnaire jésuite Paul Le Jeune, que nous craignons nos Capitaines, mais pour eux qu’ils se mocquoient & se gaussoient des leurs2. »
Au xviie siècle, les observateurs européens qui visitaient les villages autochtones étaient unanimes à souligner la faible institutionnalisation du pouvoir, l’obéissance volontaire et la prodigalité des chefs. Ils comprenaient que le premier rang au sein des nations autochtones était acquis par l’esprit, l’éloquence et la générosité, trois piliers qui formaient les attributs primordiaux d’un grand chef. Décrivant les habitants de la baie d’Hudson, un observateur du xviiie siècle notait avec beaucoup d’à-propos qu’un meneur était une personne qui excellait à la chasse, pouvait faire de longues harangues et savait apaiser les conflits. Celui-ci commandait le respect par son exemple et des promesses, non point par des mesures coercitives. « Ils le suivent quand vient le temps de commercer dans les villages et le surnomment Uckimow, ce qui veut dire grand homme, chef ou leader ; toutefois, il est obligé de s’assurer de leur présence par des promesses et des récompenses, entendu que l’estime que l’on porte à ses capacités est trop faible pour entraîner la soumission3. » Pourquoi en était-il ainsi ? Quels principes se cachaient derrière une telle définition du pouvoir ? Qu’est-ce qui expliquait l’existence d’un fossé entre l’État monarchique français, détenteur du monopole de la violence légitime, et la chefferie non coercitive des peuples indigènes ?
La circulation des échanges
Dans un ouvrage magistral, Pierre Clastres s’était posé, il n’y a pas loin de cinquante ans, la question de l’organisation politique dans ces sociétés qui avaient été peu affectées par la révolution néolithique – révolution qui, par l’extension de l’agriculture, avait permis la construction de villes, l’établissement de structures administratives centralisées, une division complexe du travail, un régime plus rigide de la propriété privée et tant d’autres innovations. Clastres faisait ressortir un contraste saisissant avec ces autres sociétés qui, elles, hiérarchisent les rapports de pouvoir et les mobilisent dans une volonté politique capable d’exercer sa domination sur l’ensemble de la communauté. Baptisant les premières de « sociétés contre l’État », il faisait de leur refus du monopole de la violence symbolique et physique la caractéristique fondamentale de leur habitation du monde4. Il traçait une différence radicale entre, d’une part, des peuples qui acceptent l’accaparement des ressources, la confiscation des lieux politiques et le contrôle du discours public par le petit nombre de ceux qui composent l’élite et, d’autre part, des communautés qui tentent de diffuser le plus largement possible la richesse, le pouvoir et la parole.
Le système politique indigène décrit par Clastres était lié à un mode d’organisation plus ou moins nomade et, conséquemment, s’appliquait davantage aux peuples chasseurs-cueilleurs qu’aux populations sédentaires. La stratification et la hiérarchisation des rapports sociaux sont plus prononcées dans les sociétés qui permettent une certaine accumulation de richesses et qui, tant par leur taille que par leur fonctionnement interne, ont atteint un certain degré de différenciation sociale entre classes de « métier » ou entre « fonctions ». Sans nier que des divisions sociales (entre chamanes, artistes, conteurs et artisans) existent déjà chez les chasseurs-cueilleurs, on peut affirmer qu’elles n’atteignent pas le même développement ni le même raffinement.
L’idéal type formulé par Clastres sur la base de son étude des Guayakis, un peuple vivant dans les forêts tropicales de l’est du Paraguay, à 8 000 kilomètres de la Nouvelle-France, est utile pour saisir l’effroyable bouleversement provoqué par l’irruption des Français dans le nord de l’Amérique. Contrairement à ce qui s’est passé avec les empires de la Mésoamérique (Aztèques ou Mayas) et d’Amérique du Sud (Incas), ce sont en effet des sociétés contre l’État qu’ont rencontrées les administrateurs, coureurs de bois et missionnaires français dans la vallée du Saint-Laurent et les Pays d’en Haut. Les Iroquoiens et les Algonquiens n’avaient pas institutionnalisé le pouvoir politique à un même degré que la monarchie européenne et s’opposaient, par un mouvement naturel, à un pouvoir fondé sur la coercition, c’est-à-dire exercé selon une longue chaîne, allant du roi au roturier, dont les mailles étaient faites de commandement et d’obéissance. Une telle opposition ne passait pas inaperçue auprès des explorateurs français :
Il n’y a rien de si difficile que de régler les peuples de l’Amérique. Tous ces barbares ont le droit des ânes sauvages, ils naissent, vivent et meurent dans une liberté sans retenue, ils ne savent que c’est de bride ni de caveçon [licol] : c’est une grande risée parmi eux de dompter ses passions et une haute philosophie d’accorder à ses sens tout ce qu’ils désirent. La Loi de notre Seigneur est bien éloignée de ces dissolutions, elle nous donne des bornes et nous prescrit des limites hors desquelles on ne peut sortir sans choquer Dieu et la raison ; or, est-il très difficile de mettre ce joug, quoique très doux et bien léger, sur le col de personnes qui font profession de ne s’assujettir à aucune chose qui soit au ciel ou en la terre5.
En d’autres termes, le joug du roi et celui de Dieu avaient beau être « doux » et leurs fardeaux « légers », les Français n’en reconnaissaient pas moins qu’ils représentaient des obligations intolérables pour des groupes habitués à se régler autrement que selon les préceptes du pouvoir colonial ou chrétien.
Les missionnaires le répétaient : « Il est bon de les réduire petit à petit sous les ordres de ceux que Dieu a choisis pour commander ; car encor que la liberté soit la première de toutes les douceurs de la vie humaine, néantmoins comme elle peut dégénérer en la liberté [lire : la licence], il la faut régler, & la soumettre aux loix emanées de la loy éternelle6. » Pour renverser l’ordre des valeurs indigènes, qui leur paraissait arbitraire et anarchique, les colonisateurs n’ont épargné aucun effort. Ils ont voulu inculquer à leurs nouveaux sujets les notions qui leur semblaient essentielles afin de mener une vie civilisée. Ils ont notamment cherché à leur enseigner à respecter des maîtres : un souverain absolu (Louis XIV, le Roi-Soleil, règne de 1643 à 1715) et un Dieu tout-puissant (le Christ en gloire). Les images de l’autorité étaient permutables : Dieu était roi au ciel, comme le roi était un dieu en son royaume. Dans ses instructions au dauphin de Louis XIV, rédigées vers 1675, Bossuet lui commandait de ne jamais fléchir, d’assumer son absolutisme sans faire montre de mollesse et de ne trouver de remède aux errements éventuels de son autorité que dans un surcroît de force. Agissant comme ministres de la volonté divine, les princes ne pouvaient pas être désobéis : « Le trône royal, proclamait Bossuet, n’est pas le trône d’un homme mais le trône de Dieu même. » Une telle puissance héréditaire, sacrée, absolue et unique avait de quoi choquer des gens habitués à vivre dans des sociétés justement bâties contre l’État.
L’approche de Clastres élargit la thèse présentée dans l’Essai sur le don de Marcel Mauss. Selon ce dernier auteur, dans les communautés aborigènes – dont, au premier chef, les Inuits et les nations du Nord-Ouest américain qu’on trouve au cœur de son étude ethnographique –, le rapport social primordial prend assise sur un don qui comporte en lui-même une obligation de réciprocité, c’est-à-dire de contre-don. Recevoir, c’est contracter une dette qui, à son tour, devra être honorée selon un cycle qui ne connaît pas de fin. Dans ce type de société, le flux est donc continuel entre les biens, les personnes et les symboles. C’était parce que le don était gratuit et créait pourtant une dette que tous se devaient à tous. Pour être absolument et purement des dons, faits au nom unique de l’amitié, les présents n’en exigeaient pas moins quelque chose en retour. Les idées occidentales de « gratuité » et d’« intérêt » perdaient leur sens dans une vision du monde qui les abolissait en les confondant.
Dans des nations peu populeuses, où les groupes immédiats dépassaient rarement quelques milliers, sinon quelques centaines d’individus, les rapports de confiance et d’entraide étaient ainsi fondés sur un va-et-vient continuel des biens concrets et symboliques. Cette conversation incessante enrichissait les relations sociales et créait les conditions d’une étroite solidarité. On partageait des objets courants, mais comme les objets faits main ont un caractère très personnel (l’artisan habitant son art), en les offrant à d’autres, on se donnait aussi soi-même. « Si on donne les choses et les rend, écrit Mauss, c’est parce qu’on se donne et se rend “des respects” – nous disons encore “des politesses”. Mais aussi, c’est qu’on se donne en donnant, et, si on se...

Table des matières

  1. Page couverture
  2. Les Éditions du Boréal
  3. Faux-titre
  4. Du même auteur
  5. Titre
  6. Crédits
  7. Introduction - Un choc des cultures
  8. Chapitre 1 - La liberté des « Sauvages »
  9. Chapitre 2 - Le joug de la liberté
  10. Chapitre 3 - L’intransigeance de la liberté
  11. Chapitre 4 - Le commerce rend libre
  12. Chapitre 5 - La propriété rend libre
  13. Chapitre 6 - Le travail rend libre
  14. Chapitre 7 - Réformer et refouler
  15. Conclusion - Une invasion de l’intérieur
  16. Remerciements
  17. Crédits et remerciements
  18. Fin
  19. Quatrième de couverture