Hé ! suivi de Icônes

Daniel H. Dugas

• Éditeur: Éditions Prise de parole
• Année: 2013
• ISBN:
  9782894238493
• Sujet: Literature
• Sous-sujet: Canadian Poetry

Dans ce recueil, son sixième, Daniel Dugas pratique un art poétique tonifiant. Discrètement revendicateurs, ces poèmes campent à la frontière entre le monde tel qu'il est et tel qu'on le voudrait. Ils opèrent l'intime alliage du désir et la difficulté d'être. Ils donnent voix à des aspirations qui sont l'assise d'une dignité personnelle, sur un ton et un rythme où l'on ressent la vivacité d'une performance scénique. Les interjections sont une des manifestations de l'énergie qui émane de ce recueil. Dès le titre - Hé! - elles ponctuent chaque page de la première partie du recueil, chaque poème étant marqué par une exclamation qui le porte. C'est comme si ces mots presque vides de sens autre que l'émotion pure - Aïe!, Eh!, Oh!, Ouf!, Vlan!, Zut!, et bien sûr, Merde! - étaient la matrice de la parole, les pointes audibles de l'indicible. Pour sa part, la section « Icônes » se déploie sous l'étonnante égide de personnages publicitaires: l'homme de Glad, Monsieur Net, le géant Vert, le colonel Sanders et d'autres y passent. Or, ces poèmes donnent à ces personnages platement artificiels une densité insoupçonnée, opérant ainsi une curieuse connivence entre le trop peu et le trop-plein de sens.

Hé !

à Valerie

Ah ! c’en est fait de moi ; je suis perdu !
Argan, Le malade imaginaire
Molière


Fichtre ! Voilà qu’on me tue mes morts.
Gavroche, Les misérables
Victor Hugo


Eh ! vous empestez, Père Ubu. Vous ne vous lavez donc jamais ?
Capitaine Bordure — Ubu Roi
Alfred Jarry

Adieu !

adieu ! la langueur des matins

mon réveil sonne l’alarme

ma montre folle m’appelle

j’ouvre les yeux

adieu ! lit douillet

la ville dort encore

je m’accroche moi encore à mes rêves

la neige tombe

l’autoroute gronde et fredonne la mélodie

de ceux qui vont travailler

l’électricité bourdonne et ronronne

pendant que la cafetière

cette grande tuberculeuse

crache son nectar

je pars

Ah !

un sac de plastique

dans un champ abandonné

s’accroche à la clôture

et tremble au vent

dans l’obscurité du désenchantement

cette nuit est semblable à toutes les autres

elle s’étend à perte de vue

comme une île minuscule dans le bruit du froissement

un sac de plastique palpite

comme le cœur d’un opéré

sur une table — ah !

flotte au-dessus

du terrain vague

gardant le rythme lassé

de ce qui est laissé de côté

il n’attend rien

il n’est là pour personne

Aïe !

moi je

te prends dans mes bras

toi tu

m’emportes au bout du monde

vous si

inquiet du poids de la vie

moi je

laisserai tout tomber pour vous

toi là

comprends que la vie va — aïe !

nous c’est ça

nous nous allégeons

nous nous envolons

nous nous explosons

nous nous dans le rêve infini de la vie

Allez zou !

je respire à pleins poumons

l’air salin de ma vie

qui glisse entre mes doigts

dans la cascade bruyante de l’existence

l’assourdissant voyage

dans les rapides allez zou !

je respire à fond

le fin fond de la réalité

qui me berce me blesse

le rêve qui me porte me déporte

l’espoir qui m’éblouit et qui m’aveugle

je respire en profondeur

mes yeux clignent

je m’agrippe à la lumière

à l’encre des dessins

dans les forêts de pins de Tohaku

Allez !

je suis débonnaire

je porte bonheur

dans mon cœur

une patte de lapin

s’accroche à moi

allez ! petit coquin

laisse-moi m’approcher

de toi comme tu t’es approché de moi

je suis débonnaire

où est mon verre ?

je veux boire d’un trait

tout ce qu’il y a de flâneur en moi

aller dans les rues rêveuses

dans tes bras rêveurs

Banco !

les nuages passent comme des as

dans ce ciel table de poker

des yeux de joker me regardent

pendant que les lèvres du dealer poussent

et repoussent les nombres

dans les décombres du jeu

épousant chaque ombre

dans les détours et les méandres de cette vie

étendue sur le tapis vert

qui se balance

tel un pendu

d’un arbre en fleur

j’entends les chutes d’argent

dans les pots de plastique

giling giling giling

je suis riche de jetons

dans ce parc national du délire

j’attends la chance comme on attend un autobus

dans la nuit postiche

des grands flâneurs

dans le reflet des petits bardasseurs

qui grouillent

qui magouillent

dans les mains des brelans

le visage de chaque reine chaque roi

le murmure apaisant de l’appel au jeu

dans le cri des cartes les ...

Table des matières

• Couverture
• Du même auteur
• Titre
• Crédits
• Hé !
• Icônes
• 4e de couverture