Lait à mère

interrompu par « L'été et février »

David Cheramie

• Éditeur: Éditions Prise de parole
• Année: 2014
• ISBN:
  9782897440282
• Sujet: Literature
• Sous-sujet: Canadian Poetry

« Lait à mère » présente une auto-interrogation poétique sur la situation linguistique et culturelle en Louisiane. Le Cadien Cheramie aborde la question de l'identification à sa culture par le biais des relations homme-femme, tant fils-mère que mari-épouse. Âgé de moins de 40 ans, il a d'abord vécu l'américanisation avant de choisir consciemment la refrancisation. Sa sensibilité et ses préoccupations font écho à celles des francophones d'Amérique et d'ailleurs, lovés en silence au creux d'alcôves éloignées.

LA 1

elle est ouonne

take me home

ramène-moi me tremper

là où les Néréides dansent
entre les amarres des biloxis

et où les poteaux de John Brady

tapent le rythme de mon sommeil vagabond

allons suivre le bayou comme une destinée

garroche-moi dans le golfe du Lexique

que je m’y neye all the way

foulé des pieds

par Jésus-Christ aquambule.

 

elle est ouonne

take me home

ramène-moi me tremper

là où les poissons ne nagent plus

et où Kelly dort toujours

allons boire le bayou

comme un six-pack

avant que le chagrin n’apprenne à nager

avant que je ne prenne goût à

mon héritage scatophage.

 

elle est ouonne

take me home

ramène-moi me tremper

là où la rouille ne dort jamais

et où on glisse sur la surface

d’affreuses monstruosités

allons nous asseoir au bord du bayou
comme devant le spectacle de ce monde

pour lequel on n’arrivera jamais

à se faire rembourser.

vers l’âge de deux ans

je me rappelle quand j’étais toujours dans cette place

noire et chaude mes parents me parlaient.

enfin, ils se parlaient, mais je savais qu’ils parlaient de moi.

ma mère, je l’entendais tout le temps

même quand elle ne parlait pas.

c’est ma première amie, ma mère.

 

mon père me pensait, ne croyait pas que je comprenais.

mais je vois son idée : rêves, fantasmes, feintes

anglais/français.

père-coups de pied

comme ceux que je donnais au foie de ma mère

comme ceux que je donnerai à sa foi.

 

il sera dur d’expliquer tout ça quand j’aurai oublié

ma pensée

pour apprendre une langue étrangère.

 

je reviens au sein

lait à mère.

O.E.D.

pour finir

je ne suis pas fâché

d’avoir appris l’anglais.

à présent, je connais dire

sludge pit

pas surprenant qu’il n’y a pas

de mot pour ça en français.

et comment tu dis

chemotherapy?

radical mastectomy?

coastal erosion?

ah oui, c’est une grande langue que l’anglais

avec Shakespeare et tout ça.

c’est pas un Cadien qui dirait

To be or not to be?

sacrée question, hein?

c’est peut-être parce qu’un Cadien

connaît déjà la réponse.

si près de la mort

pays bucolique?

pays alcoolique plutôt.

regarde ce chemin qui mène à la mer

entre mille eaux, on s’est mis à l’eau.

après s’être mis à la bière

on prend l’eau comme bière.

le toit de ton char se fait lécher par les lames.

le toi de ta chair se fait manger par les crabes.

à l’ombre du cipre de la mort

au tournant de la manche au Fourchon

raccourcir ton voyage jusqu’au Golfe

pour la plus grande joie des pauvres pécheurs.

comment tu veux aimer ça, réellement?

pays cadien

joie de vivre
tellement ivre

que tu pisses dans ton caleçon.

asteur, les bons temps ne sont plus après te tuer.

demain encore

on fera bouillir les crabes

fraîchir la bière

pour tromper ta mémoire, vieux violoneux

pour faire des accroires au monde

qu’un Cadien est toujours heureux.

rites d’intimidation

le café noir noir bouilli dans la grègue,

la balance du souper se baigne au soleil.

la voix de la radio dit qui a gagné

la guème d’hier au soir.

le premier contact avec un nouveau jour,

ça ressemble beaucoup à ça qu’on a vu hier.

le butin dans la chambre paye pas attention.

il t’espère, il te guette, il va finir par te mordre.

les choses de la vie ferment jamais l’œil.

ça dort pas, ça grouille pas.

mais ça te connaît mieux que tu crois.

et la voix qui te parle de la petite boîte

te dit « pense pas comme ça ».

« Hurrah! La bise souffle au grand bal des squelettes!
Le gibet noir mugit comme un orgue de fer!
Les loups vont répondant des forêts violettes.
À l’horizon, le ciel est d’un rouge d’enfer… »

- Arthur R.

Table des matières

• Couverture
• Prise de parole
• Titre
• Crédits
• Dédicace
• Citation
• LA 1
• vers l’âge de deux ans
• O.E.D.
• si près de la mort
• rites d’intimidation
• Il y a des loups dans mon pays
• la jolie blonde, encore et toujours
• La contre-danse d’un contre-temps
• ma favorite toune
• à la recherche du pain perdu
• Jésus crie et craque
• en fin de compte
• raison d’être
• c’est sûr
• l’été et février
• 4e de couverture