seconde partie
Les solutions
L’accord de Paris de 2015 apporte un vent d’espoir à l’humanité. Dirigeants et experts du monde entier reconnaissent enfin que le changement climatique est une crise d’envergure planétaire qui se moque des frontières et des priorités nationales, et dont la solution exige un effort concerté de l’ensemble des États. Cependant, le fait que les pays du monde se soient traîné les pieds jusqu’en 2015 pour accoucher d’un accord essentiellement lacunaire montre à quel point il est difficile pour l’humanité d’entreprendre un virage vers la durabilité. Pour certaines personnes, ce traité découle d’un sombre complot visant à instituer un gouvernement mondial et à déposséder la population, et non d’une prise de conscience de notre humanité commune et de la nécessité d’assainir la planète. Un tel déni illustre combien il importe que chacun de nous contribue à la solution.
À lui seul, un accord non contraignant ne donnant lieu qu’à la moitié de la réduction des émissions jugée nécessaire pour éviter un réchauffement catastrophique ne réglera pas la crise du climat. Celle-ci ne prendra pas fin non plus si vous troquez votre auto contre un vélo ou une carte d’autobus. Ni la taxation du carbone ni le système de plafonnement et d’échange de droits d’émission n’empêcheront la population et les entreprises de polluer l’air et d’émettre du CO2. Si vous réduisez votre consommation de viande, voire devenez végétarien ou végétalien, la planète continuera tout de même à se réchauffer. Mais tous ces petits gestes contribuent à la nécessaire conjuration d’une menace qui prend de l’ampleur chaque jour.
On sait depuis plusieurs décennies, si ce n’est depuis plus longtemps, que le mode de vie moderne et ses excès ont des conséquences catastrophiques sur la capacité de la planète à soutenir l’être humain et d’autres formes de vie. On sait aussi qu’il existe des solutions. Mais les facteurs qui favorisent le maintien du statu quo sont nombreux. Les combustibles fossiles ne coûtent pas cher, on en trouve partout dans le monde sous une forme ou une autre, et les technologies qui permettent de les utiliser sont plutôt élémentaires: il suffit de les brûler pour qu’ils dégagent une quantité phénoménale d’énergie d’origine solaire, captée et stockée il y a une éternité par photosynthèse, puis compactée par l’action des forces géologiques au fil des millénaires. Stables et relativement faciles à transporter, ils ont simplifié la vie d’une population de plus en plus nombreuse: l’amélioration de la liberté de mouvement, l’éclairage des villes et des maisons, la stimulation de l’innovation technologique, la rationalisation de l’agroalimentaire et l’allégement du labeur sont autant d’exemples de leurs innombrables bienfaits.
Il aurait été plus facile d’adopter des sources d’énergie propres si l’on avait commencé à le faire plus tôt, à l’époque où l’on commençait à réaliser que l’humanité empruntait une voie insoutenable. Si l’on avait écouté des scientifiques comme Svante Arrhenius à la fin du xixe siècle ou Mikhaïl Boudyko plus récemment, et qu’on avait opté pour une politique énergétique préventive avant que l’utilisation des combustibles fossiles ne devienne incontrôlée, le monde serait probablement plus prospère et en meilleure santé, et on serait en passe de résoudre la crise – peut-être même l’aurait-on carrément évitée. Si l’on avait écouté des climatologues tel James Hansen, qui, devant le Congrès des États-Unis en 1988, a témoigné de la réalité d’un réchauffement planétaire d’origine anthropique qui laissait présager un avenir sombre pour l’humanité, on serait aujourd’hui dans une meilleure situation. Mais quand on a la vie facile, ce qui est le lot de bien des gens dans le monde industrialisé, on n’est guère tenté d’explorer d’autres voies. Et quand l’exploitation et l’utilisation de quantités gigantesques de combustibles fossiles génèrent d’énormes profits, le défi devient encore plus colossal. Aux bienfaits des hydrocarbures correspond un système économique qui encourage la surconsommation et le gaspillage au nom de la rentabilité et de la création d’emplois.
Des progrès ont été accomplis au fil des ans à l’échelle nationale et infranationale ainsi qu’au sein d’entreprises et d’organisations visionnaires. Une partie de ces progrès, telle la décision du Danemark et de l’Allemagne de réduire leur dépendance aux combustibles fossiles dans la foulée du premier choc pétrolier, en 1973, découlait davantage des aléas du marché que de la crise du climat, mais ces efforts ont placé ces pays en meilleure position devant l’aggravation du réchauffement planétaire. Dernièrement, les insulaires du Pacifique et les Inuits, qui vivent sur la ligne de front du bouleversement climatique, ont sonné l’alarme face à des changements qu’ils constatent au quotidien. De leur côté, l’industrie de l’assurance et des entreprises d’autres secteurs pressent le monde de passer à l’action; la firme Tesla donne l’exemple en concevant des solutions concrètes. Pourtant, une bonne partie des médias et de la classe politique continue de minimiser le problème.
Des solutions ont été mises en œuvre. On a développé des moyens de conserver l’énergie, d’utiliser des énergies propres ou de réduire la production de déchets. Des gens ont pris la peine de diminuer leur empreinte écologique personnelle. Mais cela n’a pas suffi pour éviter la crise. Même si l’on cessait immédiatement de brûler des combustibles fossiles et d’émettre des gaz à effet de serre, le changement climatique, lui, ne cesserait pas pour autant: les gaz déjà émis dans l’atmosphère ne seraient pas absorbés du jour au lendemain, et les boucles de rétroaction qu’on a déclenchées poursuivraient leur cours. Il faut aussi s’attaquer aux effets du système agroalimentaire sur le climat. Toutes les solutions disponibles méritent d’être appliquées, et on doit continuer d’en imaginer de nouvelles. Celles-ci passent autant par de modestes changements aux habitudes de vie que par une transformation radicale, à l’échelle mondiale, des technologies, de l’économie, des mentalités et des comportements. Il importe aussi de stabiliser la croissance démographique, notamment en affirmant les droits des femmes. Enfin, il faut trouver des moyens de s’adapter aux conséquences désormais inévitables du réchauffement planétaire.
L’apathie qui prévaut depuis tant d’années me stupéfie. Mais je me risque à dire que les choses commencent à bouger. Bien qu’on ne dispose pas du recul suffisant pour en mesurer l’ampleur, le revirement dont on perçoit les balbutiements s’annonce majeur. Même certains médias adoptent une nouvelle perspective. En 2015, le quotidien britannique The Guardian a décidé d’intensifier sa couverture du changement climatique et est allé jusqu’à encourager le désinvestissement du secteur des combustibles fossiles. Pour sa part, le New York Times a choisi de renoncer au vocable climatosceptique au profit du terme climatonégateur, plus juste, pour désigner quiconque conteste la réalité abondamment démontrée d’un réchauffement planétaire d’origine anthropique.
L’expression du pouvoir citoyen est un autre signe de changement: en avril 2012, Montréal a connu la plus grande manifestation de son histoire lorsque 250 000 personnes sont descendues dans la rue à l’occasion du Jour de la Terre. En septembre 2015, 400 000 personnes ont participé, à New York, à la plus grande manifestation pour le climat de l’histoire, tandis que 2 646 marches avaient lieu simultanément dans 162 pays; en avril de la même année, 25 000 personnes se sont rassemblées à Québec en marge d’une rencontre des premiers ministres provinciaux sur le climat; et, en juillet, plus de 10 000 manifestants (dont moi) ont envahi les rues de Toronto lors d’une marche pour l’emploi, la justice et le climat, en vue du Sommet des Amériques sur le climat. En 2015, quand le pape François a publié une encyclique par laquelle il invitait les catholiques, au nombre de 1,2 milliard, à se mobiliser contre le changement climatique, d’autres chefs et groupes religieux ont souscrit à son message, dont le dalaï-lama, la Société islamique d’Amérique du Nord, un groupe influent de rabbins et l’Église anglicane.
Moins visible que cette volonté croissante de relever le défi du réchauffement planétaire, un des signes les plus encourageants du virage en cours est la hausse notable des investissements dans les énergies renouvelables qui a cours aux États-Unis, au Brésil, en Chine et ailleurs. Celle-ci passe pourtant presque inaperçue.
Même des climatonégateurs notoires, tel le magnat américain du pétrole Charles Koch, admettent maintenant la réalité du changement climatique et le rôle qu’y jouent le...