chapitre 1
Le Canada, terre d’accueil des Français
Pour comprendre les principales caractéristiques de l’immigration française au Canada entre 1870 et 1914, il faut d’abord en rappeler le contexte général, à la fois international et canadien. Il faut ensuite tenter de mesurer le phénomène, une tâche difficile à cause de l’insuffisance des données statistiques pour certaines années. Où s’installent ces Français arrivés au Canada ? Y a-t-il des changements dans leurs patterns d’établissement ? Peut-on définir les contours de la communauté française ? Telles sont les questions abordées ici.
Le Canada, pays d’immigration
Pendant les quarante-cinq années qui vont de 1870 à 1914, le Canada reçoit 4,5 millions d’immigrants. Il n’est pas le seul, car cette période de la Grande Migration transatlantique marque le sommet de vastes mouvements de populations de l’Europe vers les Amériques. Environ 37 millions d’Européens traversent alors l’Atlantique. Les deux tiers d’entre eux vont aux États-Unis, tandis que les autres se répartissent principalement entre le Canada, l’Argentine et le Brésil. Ils sont attirés par les perspectives d’emploi ou d’établissement agricole qu’offrent ces pays neufs, alors en pleine expansion. Par ailleurs, la poussée démographique et les bouleversements économiques dans plusieurs pays européens sont d’une telle ampleur qu’ils incitent des millions de personnes à chercher un meilleur avenir ailleurs. Les tensions ethniques ou religieuses en poussent aussi un grand nombre au départ. Le Royaume-Uni reste le plus important pourvoyeur d’émigrants, comme il l’a été depuis le début du xixe siècle, mais l’Empire austro-hongrois, la Russie et surtout l’Italie contribuent de façon croissante aux mouvements migratoires. Avec moins de 1 % des effectifs, la France n’est qu’un participant mineur. Elle envoie outre-Atlantique à peine plus de 300 000 personnes, contre près de 8 millions pour l’Italie et de 11 millions pour le Royaume-Uni. Les raisons de cette exception française seront examinées au prochain chapitre.
La croissance notable des effectifs européens est rendue possible par la mise en place, à l’échelle internationale, d’une véritable industrie de la migration. Celle-ci profite de la révolution des transports, causée par l’adoption de la navigation à vapeur pour les trajets transatlantiques et par la frénésie de construction ferroviaire qui touche autant l’Europe que les pays des Amériques. De nouveaux navires pouvant transporter des milliers de personnes sont mis en service. Plus rapides que leurs prédécesseurs à voile, ils peuvent respecter un calendrier de départs réguliers. Des armateurs créent de nouvelles lignes spécialisées dans le transport des passagers. Celles-ci sont associées aux entreprises ferroviaires, qui amènent les immigrants vers les ports d’embarquement ou qui les acheminent vers leur destination finale. Un peu partout en Europe, des agents de voyage peuvent désormais vendre aux émigrants potentiels des billets intégrés, du point de départ au point d’arrivée. Ces transformations permettent l’essor de la migration de masse dont le coût devient plus accessible.
Examinons maintenant la participation canadienne à ce mouvement migratoire. En 1871, le Canada est devenu un immense pays qui s’étend de l’Atlantique au Pacifique. Aux quatre provinces fédérées en 1867 se sont ajoutés les vastes Territoires du Nord-Ouest, dont est détachée la nouvelle province du Manitoba, puis la colonie de la Colombie-Britannique.
Les dirigeants politiques veulent assurer l’occupation du sol et stimuler la croissance économique en favorisant la colonisation agricole dans la Prairie. Pour y parvenir, ils adoptent une stratégie en plusieurs volets. La première concerne l’attribution de terre aux colons potentiels. À cette fin, le gouvernement fédéral se réserve la gestion des terres publiques. Les Premières Nations qui les occupaient auparavant en sont dépossédées lors de la signature de traités avec l’État canadien. Dès 1872, le Parlement adopte une loi permettant d’attribuer gratuitement aux colons une terre agricole (homestead) de 160 acres (environ 60 hecta...