Liberté, égalité, solidarité
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Liberté, égalité, solidarité

Refonder la démocratie et la justice sociale

  1. 272 pages
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Liberté, égalité, solidarité

Refonder la démocratie et la justice sociale

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À propos de ce livre

Vous êtes de gauche? La belle affaire, de répondre la droite. La gauche est l'utopie des désœuvrés, tout juste bonne pour éblouir des troupeaux de jeunes niais et quelques séniles agités du bocal. Débarrassons-nous donc une fois pour toutes de ces améliorateurs impénitents et de ces niais projets, voire de ces idées subversives et dangereuses! Jetons le bébé avec l'eau du bain. Gauche, gauchistes, socialistes, communistes, tous dehors! Tout au contraire, pour Christian Nadeau, le projet politique de la gauche représente l'âge adulte de la démocratie. Être de gauche signifie voir dans la justice sociale la condition de la liberté. Bien sûr, la droite se réclame des libertés individuelles, mais en leur refusant leur principal bouclier, soit le pouvoir des groupes: celui de la société civile, celui des institutions et surtout, celui de l'État. La gauche est seule capable de défendre un individualisme légitime, dans lequel une personne choisit elle-même l'avenir et le mode de vie qui seront les siens. Et cela, parce que son projet politique se définit par la convergence de deux principes, l'égalité et la liberté politique des individus. Or, la rencontre de l'égalité et de la liberté est possible grâce à la solidarité. Christian Nadeau, dans ce livre essentiel, nous rappelle sur quelles fondations – celles de la justice sociale – est construitenotre démocratie.

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Informations

Année
2013
ISBN
9782764642832

CHAPITRE V

Mettre en œuvre la solidarité au Québec

Ici comme ailleurs en Occident, l’idéologie néo-libérale a ramené les projets sociaux à l’administration tranquille59.
FERNAND DUMONT
À plusieurs égards, Fernand Dumont a raison. Les suites de la Révolution tranquille n’ont pas été celles espérées par ses protagonistes. Plusieurs d’entre nous ont d’ailleurs vu dans les luttes étudiantes du printemps 2012 une volonté de poursuivre une œuvre laissée en friche par les générations précédentes. Et pourtant, il faut réussir à donner tort à Fernand Dumont, ce qui est une autre manière de lui rendre hommage.
Le but de ce chapitre consiste à montrer, sans hiérarchie ni ordre particulier, un certain nombre de domaines où des luttes sociales ont eu lieu au Québec — ou se déroulent encore — pour aménager des espaces de solidarité, et d’autres domaines où ces luttes m’apparaissent absolument nécessaires. Pour plusieurs de ces cas de figure, j’entends aussi soulever ce qui demeure problématique et de quelle manière l’effort collectif de solidarité sociale peut être poursuivi.
Mon but ici est de penser la solidarité en actes. Toutefois, il est absolument impossible de transposer directement tout ce qui a été dit jusqu’à présent et de l’appliquer à une description de la réalité ou à un programme social et politique particulier. La tâche de la philosophie politique est de proposer un certain nombre de paramètres et d’outils afin de mieux comprendre et, par la suite, de mieux agir. En aucun cas il ne faudrait voir ici un livre de recettes ou de conseils à adopter sans délibérations.

La solidarité pour les peuples autochtones

J’ai tenu à ce que la première section de ce chapitre soit consacrée aux peuples autochtones. Le principe de solidarité ne trouve certainement pas ses meilleurs exemples dans le rapport du peuple et de l’État québécois aux communautés autochtones. Par contraste, ces communautés ont elles-mêmes fait preuve d’une grande solidarité pour défendre leur territoire et des principes propres à leur culture et à leur tradition, en particulier ces dernières années. Nous pouvons apprendre beaucoup d’elles si nous acceptons d’être à leur écoute. En outre, faire preuve d’une réelle solidarité à l’égard des autochtones constitue probablement l’un des défis les plus urgents du Québec à l’heure actuelle.
En plus de la nation inuite, il y a dix nations autochtones au Québec : les Abénakis, les Atikamekws, les Eeyouch (Cris), les Malécites, les Anicinabek (Algonquins), les Mikmaks, les Innus (Montagnais) et les Naskapis, qui font partie de la famille algonquienne ; les Hurons-Wendat et les Mohawks, qui font partie de la famille iroquoienne. Quatorze communautés forment la nation inuite, tandis que les autres nations sont réparties dans quarante et une communautés. L’ensemble des autochtones représente environ 1 % de la population du Québec, sans compter les Métis, qui ne sont pas répertoriés par les instances officielles, mais qui ont créé de multiples associations pour faire reconnaître leur existence. Si nous voulons une première preuve de notre manque commun de solidarité avec les autochtones, il suffit de demander à n’importe quel Québécois le nombre et le nom des nations autochtones. Si seulement l’injustice s’arrêtait à cette seule injure. Ce n’est, pour leur malheur et pour le nôtre, pas le cas.
Il est impossible de résumer l’histoire des injustices et des atrocités commises contre les peuples autochtones depuis l’arrivée des Européens en Amérique. De maladies ravageant des communautés entières à la dépossession des terres en passant par les politiques d’assimilation, la colonisation du Québec fut une tragédie pour les autochtones. Ne serait-ce que pour cette seule raison, la solidarité à leur égard devrait être au premier rang de nos préoccupations morales et politiques. Pourtant, très peu a été fait pour changer les choses.
Depuis des années, les nations autochtones n’ont eu de cesse de réclamer plus d’autonomie politique, pour protéger leur territoire et leur culture. Au Québec, nous avons eu souvent tendance à voir ces demandes comme étant de l’ordre de ce que nous pourrions leur accorder selon notre bon vouloir, comme s’il s’agissait de caprices et que nous avions des droits particuliers sur ce que nous leur refusons. Or il ne s’agit pas de droits, mais de forces. Nous imposons nos conditions, le plus souvent de manière unilatérale, ou dans un contexte où les dés de la négociation sont pipés. En raison d’un rapport de forces disproportionné, les peuples autochtones n’ont pas eu le choix de négocier leurs revendications à rabais, mais, en réalité, les droits moraux, à défaut de l’appui des droits juridiques, leur donnent entièrement raison.
Sur le plan historique, il ne fait aucun doute que leurs droits fondamentaux ont été spoliés depuis des siècles. Nous n’avons aucun droit sur leurs territoires, sinon celui octroyé naguère par la force et raffermi aujourd’hui par le nombre des années. Toutefois, si les autochtones ne peuvent réclamer — ni ne réclament d’ailleurs — le retrait des peuples d’origine européenne du territoire du Québec, nous sommes moralement tenus de satisfaire leurs revendications légitimes. Nous en sommes moralement tenus pour des raisons historiques. Nous avons aussi cette obligation pour des raisons indépendantes de notre histoire. Nous vivons avec ces peuples, même si nous persistons à les ignorer la plupart du temps. On rétorquera que les revendications territoriales sont négociées avec Ottawa, et rarement avec Québec. D’une part, cela ne change absolument rien à nos devoirs de solidarité. D’autre part, cela ne disqualifie en rien nos obligations particulières puisque toute négociation territoriale est nécessairement tripartite (fédéral, provincial et peuples autochtones).
Il existe une foule de sujets où les autochtones font l’objet d’un déni de reconnaissance et d’un mépris complet60, ce à quoi ils résistent en organisant des formes de solidarité étonnantes dans des conditions très difficiles. La disparition des langues autochtones, par exemple, qui résulte de plusieurs siècles de colonisation, et les pratiques d’assimilation infamantes des sinistres pensionnats indiens, ont beaucoup fait pour éradiquer de manière structurelle la culture des autochtones61. En un sens, les politiques qui visaient directement les peuples autochtones avaient des finalités ethnocides. Le mot ne me semble pas trop fort pour décrire un ensemble de mesures dont le but était vraisemblablement de faire disparaître un ensemble de nations.
À l’exception des Inuits et des Métis, toutes les nations autochtones se trouvent sous la juridiction de la Loi sur les Indiens, une loi fédérale entrée en vigueur au début des années 195062. Cette loi régit de très nombreux aspects de la vie des Amérindiens, qu’il s’agisse de questions fiscales, de la gestion du territoire ou encore de l’éducation. L’exonération d’impôts et de taxation n’existe que dans l’environnement des réserves. Hors des réserves, les Amérindiens sont imposés et taxés comme des citoyens ordinaires. À l’intérieur des réserves, les logements sont majoritairement subventionnés par des fonds fédéraux et gérés par les conseils de bande. Certains individus sont propriétaires de leur maison en réserve, mais il s’agit d’une minorité. Les réserves et les biens immobiliers qu’on y trouve sont inaliénables, ce qui signifie qu’ils ne peuvent faire l’objet d’une saisie par une entité extérieure à la bande (banque ou autre institution financière, prêteur non indien). Cela rend impossible tout emprunt sur hypothèque puisque les maisons sont, en cas de défaut de paiement, insaisissables. En outre, les communautés amérindiennes ne sont pas toutes dans des réserves, elles peuvent habiter des établissements ; c’est le cas de Winneway et de Kitcisakik. Les autochtones qui ne vivent pas dans les réserves ont accès à des services médicaux gratuits s’ils ne sont pas déjà couverts par les régimes d’assurance médicale de leur province. Au Québec, les autochtones ont tous une carte d’assurance maladie du Québec, et un transfert du gouvernement fédéral au gouvernement provincial en rembourse les coûts.
Ces maigres privilèges, encore souvent contestés sur les tribunes populistes, masquent une autre réalité. La Loi a aussi eu pour effet de mettre en place de véritables catégories d’autochtones, créant une division totalement artificielle entre eux. La Loi distingue les autochtones inscrits au registre et vivant dans une réserve, ceux qui sont inscrits et qui ne vivent pas dans une réserve et, enfin, les autres. Les deux premiers groupes ont ainsi pu obtenir quelques privilèges et le dernier groupe est resté longtemps dans l’oubli. Une modification récente de la Loi a changé cet aspect des choses, mais il n’en demeure pas moins que cette hiérarchie artificielle a pendant longtemps orchestré la vie privée — par exemple, au sujet de l’organisation familiale — et la vie politique des autochtones. Ce qu’il faut retenir ici est la chose suivante : le statut juridique des autochtones ne leur appartient pas du tout. C’est la loi fédérale, et donc une entité externe, qui décide qui est « Indien » et qui ne l’est pas. Nous sommes toujours dans cette même logique coloniale. La Loi distingue même les degrés de sang indien et se présente véritablement comme une loi raciale et, donc, raciste.
Non seulement nous avons organisé l’assimilation forcée des peuples autochtones, en en séparant les familles ou en luttant contre leurs pratiques culturelles, mais nous avons aussi voulu saboter leur univers privé, en dénaturant les rapports familiaux et amoureux en les conditionnant à un règlement ethnocidaire. Autrement dit, nous avons voulu briser par tous les moyens possibles les canaux de solidarité qui existaient et existent encore, dans une large mesure, entre eux. Certes, certains aspects juridiques ont changé, mais nous avons une dette historique immense à l’égard des peuples autochtones63. Cette dette est d’autant plus grande que nous apprenons beaucoup des actions de solidarité qui ponctuent la lutte pour la reconnaissance des peuples autochtones.
L’exemple le plus récent de ces luttes est le mouvement Idle No More, qui a fait beaucoup de bruit au cours de l’année 2012. Pour certains, au Québec, ce fut un véritable réveil64. De nombreuses personnes tombaient des nues en apprenant les conditions de vie dans les réserves. Dans la province, beaucoup se complaisaient dans l’image d’« Indiens » gâtés par le système, riches et profiteurs, dépendants de l’État, et vivant dans des réserves sans contrôle juridique ou policier. La participation à la Commission de vérité et réconciliation du Canada en 2012 et en 2013 (pour le Québec) manifeste elle aussi un réel élan de solidarité entre des individus dont la vie a été littéralement brisée depuis l’enfance, et qui cherchent par la parole à faire œuvre de mémoire, mais aussi de réconciliation, non pas avec leurs agresseurs, mais avec eux-mêmes, afin de vivre au-delà de la honte et de la douleur d’années et d’années de vexations et d’humiliation.

La solidarité pour les luttes féministes

Le féminisme a encore énormément de chemin à faire dans nos sociétés, au Québec comme ailleurs. La situation des femmes a considérablement changé ces quarante dernières années en Occident, et bon nombre d’acquis relativement récents donnent aujourd’hui l’impression qu’ils ont toujours existé. On oublie qu’ils résultent de luttes sociales importantes dont plusieurs ne sont pas encore chose du passé. Par exemple, même s’il est peu probable que nous revenions en arrière sur cette question, une énième tentative de criminaliser l’avortement a refait surface à Ottawa en mai 2012. Malgré la promesse faite par Stephen Harper de ne pas rouvrir le débat sur l’avortement, la motion 312 fut déposée par Stephen Woodworth, député conservateur de Kitchener-Centre. Elle visait à former un comité dont le mandat serait d’étudier le statut du fœtus. En 2013, c’était au tour du conservateur pro-vie Mark Warawa de tenter de faire voter aux Communes une motion condamnant les avortements sélectifs.
Le féminisme comme mouvement intellectuel et social implique au moins deux volets. Le premier, critique, entend dénoncer les inégalités qui désavantagent ou marginalisent les femmes. Le second, réformateur, concerne les principes et les pratiques sociales favorables à une équité dans les rapports et les échanges entre hommes et femmes. Il s’agit donc de penser nos institutions de manière à corriger les erreurs et les injustices du passé et d’œuvrer à un avenir meilleur. Réparer les fautes du passé ne servirait à rien si nous ne pouvions pas bloquer dans l’avenir de nouveaux rapports de domination des hommes à l’égard des femmes.
Il reste des dossiers majeurs au sujet desquels nous fermons encore trop souvent les yeux. Les violences patriarcales et masculines continuent chaque jour. Chaque femme battue constitue un rappel de notre infirmité sociale, voire de la brutalité caractéristique d’une société comme la nôtre. Selon les chiffres du Programme de déclaration uniforme de la criminalité, pour la seule année 2011, on enregistrait 3 749 agressions sexuelles et 1 209 infractions d’ordre sexuel65. En 2010, c’étaient 5 478 infractions sexuelles, soit 4 240 agressions sexuelles et 1 238 infractions d’ordre sexuel. En 2009, on dénombrait 5 293 infractions. Cette année-là, une année standard, plus de la moitié des victimes des infractions sexuelles étaient des jeunes filles de moins de 18 ans, suivies ensuite par les femmes adultes (31 %).
Le sexisme est encore omniprésent dans la publicité et dans la culture populaire. Malgré d’énormes avancées, les femmes continuent, au Québec, d’avoir un salaire généralement inférieur à celui des hommes, malgré un taux de diplomation plus élevé que chez les hommes. Elles occupent la majorité des emplois précaires, à temps partiel et au salaire minimum. Elles sont politiquement très actives mais sous-représentées dans les instances officielles, comme au Parlement et à l’Assemblée nationale, ou encore au sein des grandes entreprises. À cet égard, les propos controversés du député Claude Pinard en 201166, au sujet du leadership de Pauline Marois comme chef du Parti québécois, ont montré la ténacité des préjugés. Au pire, Claude Pinard exprimait ses propres problèmes avec la place des femmes dans le débat public. Au mieux, si son intention était d’émettre un commentaire purement descriptif, son message reposait sur une étrange appréciation de notre réalité actuelle. Qu’il existe encore un sexisme important au Québec ne permet pas de remettre en cause les chances de succès d’une femme pour diriger l’État.
Pourtant, les formes de résistance à ces changements nécessaires se multiplient. L’une d’entre elles est la dévaluation du rôle des hommes dans des espaces autrefois réservés au monde des femmes. Pour ce faire, on se livre à de nouvelles campagnes — culturelles, publicitaires, médiatiques, etc. — vantant la légende de l’homme « vrai », mâle, viril et bien musclé. Il devient alors plus facile de dévaluer les hommes qui prennent au sérieux les charges familiales et domestiques. Dans certains cas, le backlash antiféministe et la propagande machiste vont jusqu’à reprendre le discours on ne peut plus réactionnaire de la « crise de la virilité67 », ou celui très douteux de l’ostracisme des pères. Il n’y a qu’à penser à des groupes comme Fathers for Justice, ou encore aux revendications des masculinistes, qui militent pour une reconnaissance positive de l’homme contre un féminisme supposément hostile à la condition masculine68. Bien au-delà de la misogynie ordinaire, il s’agit là encore d’une représentation de l’homme tendant à le conformer à son essence, comme s’il s’agissait d’une vérité éternelle, et non d’une idée toute faite et consolidée par des siècles et des siècles de tyrannie masculine.
La philosophie politique — tout comme les sciences sociales dans leur ensemble, pour ne parler que de ces dernières — peut jouer un rôle important dans l’éducation et dans la dénonciation de catégories sexistes, voire franchement misogynes au sein des échanges publics. En effet, l’une des assises des injustices sociales — et cela est particulièrement visible dans le type d’iniquités commises contre les femmes — est ce que la féministe britannique Miranda Fricker appelle des « injustices épistémiques ». Derrière cette expression un peu technique, on trouve tout simplement l’idée selon laquelle les propos des femmes seraient toujours évalués comme étant de moindre valeur que ceux des hommes. Les femmes se retrouveraient dans un carcan social stéréotypé où leur parole est reçue par une mauvaise foi généralisée, ou encore fait l’objet de fausses interprétations, à moins qu’elle ne soit carrément ignorée69. On refuserait donc d’emblée d’accorder toute crédibilité à la parole des femmes sous prétexte, par exemple, qu’elles parlent au nom de leur cause et non d’une cause commune, ou sous prétexte tout simplement qu’elles sont des femmes et ne peuvent soutenir un propos rationnel. Les femmes sont donc toutes réduites à une représentation unique où elles sont a priori vues comme étant inférieures aux hommes.
Le féminisme est d’abord et avant tout la défense et la promotion d’un statut moral encore trop souvent dénigré. C’est la raison pour laquelle il demeure étonnant d’entendre des femmes refuser de s’identifier au féminisme sous prétexte qu’elles ne partagent pas son radicalisme. De même, encore aujourd’hui, de trop nombreux hommes voient dans le féminisme une « affaire de femmes », comme si l’injustice à l’égard des femmes ne provenait de nulle part. En réalité, dans les deux cas, l’injure faite aux femmes se trouve dédoublée par l’ignorance volontaire de cette injure par une grande partie de notre société.
Au Québec, la publicité sexiste, la dévaluation du discours des femmes, la misogynie au quotidien, les nombreuses réactions violentes aux luttes féministes, relayées par la diffusion massive du masculinisme comme nouvelle défense des pauvres hommes émasculés par les féministes, l’ensemble de ces phénomènes sociaux exprime une réalité où les femmes font encore l’objet d’un mépris étonnant pour une société comme la nôtre, qui se targue souvent de son progressisme et de ses engagements égalitaristes. Un exemple parmi de nombreux autres est le titre d’un article du chroniqueur Éric Duhaime sur son blogue au sujet de la journaliste de Radio-Canada Ginette Lamarche et de ses reportages sur Israël : « Radio-Canada. La mal-biaisée70 ». Si Duhaime cherchait à dénoncer un manque d’impartialité, pourquoi l’avoir exprimé par l’intermédiaire d’une formule clairement sexiste ? Comment l’expliquer ? Nous pouvons voir dans ce propos l’un des rouages d’un engrenage social où le ...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Les Éditions du Boréal
  3. Faux-titre
  4. Du même auteur
  5. Titre
  6. Crédits
  7. Dédicace
  8. Introduction
  9. Chapitre I – Que signifie être solidaire ?
  10. Chapitre II – Justice, égalité et démocratie
  11. Chapitre III – Politique et économie
  12. Chapitre IV – Solidarité, société civile et institutions politiques
  13. Chapitre V – Mettre en œuvre la solidarité au Québec
  14. Chapitre VI – Éducation et débat public : la solidarité en mouvement
  15. Conclusion
  16. Remerciements
  17. Notes
  18. Quatrième de couverture