Rue des Quatre-Vents, San Telmo
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Rue des Quatre-Vents, San Telmo

Migrations et traduction du Sud au Nord

  1. 298 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Rue des Quatre-Vents, San Telmo

Migrations et traduction du Sud au Nord

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À propos de ce livre

À travers les œuvres de Mario Benedetti, Juan Gelman, Tununa Mercado, Juan José Saer et d'autres, l'essayiste et traducteur Nicolas Goyer entrecroise deux questions, celle des migrations et celle de la traduction. C'est le désir des langues, écrit-il, qui l'a entraîné à vouloir saisir de l'intérieur l'histoire de l'Amérique latine contemporaine, la fracture due aux dictatures, la reconfiguration des relations humaines et du temps qui passe. Il lui fallait mieux comprendre l'historicité argentine-uruguayenne affectée par la terreur d'État implantée et entretenue par les militaires pendant près de dix ans et qui a persisté sous le manteau les années suivant leur retrait: trauma collectif, déni, silence. Il devait aller écouter cette langue.

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Informations

troisième partie
Des géographies aux paysages-histoire
Lo que es calmo
plus magnanime dans les rythmes.
Tununa Mercado
Largo sostenuto. Adagio. Allegreto.
Allegro con molto espressione.
Andante (Intermezzo) Coda.
8Tununa Mercado :
l’epos de l’étrangère
Des couches nouvelles de réalité et de connaissance.
Hermann Broch
J’ai rencontré Tununa Mercado à Buenos Aires le 14 mars 1998. Entre deux pièces du concert auquel nous sommes allés ce soir-là, Dino Saluzzi a dit sur la scène, à voix basse : « Vida… » Les jours suivants, j’ai lu En estado de memoria1, récit de l’exil et du désexil dont la voix narrative incarne la transposition en écriture, le prolongement de la narratrice rencontrée : le ton, la finesse, le regard, l’humour, la mémoire exceptionnelle en ce qui concerne les détails, tout y est. Par surcroît, la tension narrative est formidable, entraîne la pensée-émotion. Le premier chapitre est gripping, l’écriture exerce une action, une dramaturgie de tout ce qui (lui) arrive. En seize chapitres d’une prose inédite, la narratrice trace l’epos migratoire.
Mémoire argentine : l’epos où déboule la vie, âpre, volatile, traversière.
Car ce n’est pas nous qui savons, c’est avant tout un certain état de nous qui sait.
Kleist
Que peut-on dégager du récit d’une expérience de l’histoire, de l’exil et du transfert, depuis la prédominance de l’affectivité et l’instinct de la teneur anthropologique de la vie ? La littérature peut être la caisse de résonance d’états que la musique explore autrement. L’écriture de la mémoire par Tununa Mercado est une musique de chambre qui nomme, une accentuation de la sensibilité au mord et aux remous du réel qui nuance avec acuité. Y résonnent les tonalités de l’état de l’âme. L’avancée devient alors un champ de résonances qui discerne et diffracte l’affect, l’émotion.
1
Du premier au seizième chapitre, En estado de memoria rythme et affine un transfert de mémoire qui s’étire de Buenos Aires à la France (premier exil), s’aiguise au Mexique (douze ans d’exil), fait escale en Espagne et s’inscrit à Buenos Aires, la narratrice de retour après une absence de douze ans. Dès le début, « La maladie », l’être désabrité s’expose, je mis à nu. Peut-être faut-il imaginer Ulysse femme, prenant sur soi l’errance géo, celle d’un être de chair lié autant aux autres lieux qu’au retour à Ithaque. « L’errance du navigateur ne demande pas moins son droit que la résidence du sédentaire [et] se placer et se déplacer sont des activités primordiales qui font de la place quelque chose à chercher. Il serait effrayant de n’en point trouver2. »
La narratrice se montre en proie à ces affects d’étrangeté, qu’elle recrée sous forme d’états singuliers ; elle tisse sa toile d’une vie nomade vécue sur le mode du désoclage de l’expérience qu’est l’exil forcé : « L’exil remonte en moi comme une immense fresque de Rivera, remplie d’une foule de protagonistes et de figurants, de chefs et de bouffons, de malades et de dépossédés, de corrompus et de corrodés ; cette fresque a une épaisse couleur de plomb […]. J’essaie, dans ces moments-là, de dégager de l’ensemble un instant de bonheur collectif, car il y en a eu […]. »
Le désexil : la narratrice a dû déterminer si elle retournait dans « son pays ». Jusqu’à quel point ceux qui retournent comprendront le pays qui aura changé ? Expérience troublante, qui réfute les schématismes réducteurs : qui est disposé à accueillir les états d’âme, les questions pressantes, les analyses, les transformations ? Écoute et compréhension. Or, des chapitres de Mémoire argentine évoquent avec force l’incompréhension à laquelle se sont heurtés, les années du difficile retour au pays, les citoyens qui, telle la narratrice, ont fait ce choix. C’est une société altérée qui a succédé à la dictature argentine, une communauté sociale amoindrie. Préjugés, déni, incompréhension chronique, oubli symptomatique sont les formes de schématisme contre lesquelles Tununa Mercado a écrit En estado de memoria.
Avant même que l’altération de l’expérience exil, en tant que série d’épreuves, n’adopte au cours du récit ses traits les plus caractéristiques, le chapitre d’ouverture, « La maladie », marque fortement la dureté traversée :
Au cœur de l’exil, lorsqu’on recevait chaque jour des nouvelles atroces de l’Argentine, lorsqu’il s’agissait d’appels téléphoniques provenant souvent de l’autre bout de la terre (y compris la terre natale), lorsqu’on nous apprenait qu’une ou plusieurs personnes avaient été tuées, quelqu’un en particulier qui était très proche de nous, presque un parent, ou bien deux ou trois personnes qui avaient maintenu des liens avec moi et mes proches ; bref, dans ces moments cruels qui obligeaient à s’asseoir au bord du lit pour pleurer, vivre n’était plus que survivre.
Un jour, le poids fut insupportable ; un jour où la mort qui nous entourait devint subitement trop présente et trop immédiate, j’ai senti que ma santé s’écroulait.
Anthropologie sociale et symptomatologie de l’exil sont tissées à même la narration. La narratrice met en œuvre ses capacités d’observation et d’analyse : les capacités d’expression de l’écriture sont très bien orientées, canalisées par le feu nourri des contenus concrets de l’analyse qu’elle mène narrativement. Des situations de l’exil sont mises en scène, particulièrement dans les chapitres « Le froid qui n’arrive pas », « Corps de pauvre », « Oracles », « Ordre du jour », « Visite guidée » et « Maisons ». Dans le premier, l’observation et l’apprentissage détaillés des bonnes manières et du savoir-vivre en usage au Mexique donnent trois paragraphes de distinctions sociolinguistiques ; sont décrits les rituels de l’alimentation, puis l’obsession de la pâte argentine (de tout ce qui relève de l’Argentine, y compris son lot de morts) propre aux réunions des réfugiés. Dans « Corps de pauvre », l’obsession déclenchée par le manque, de l’habillement essentiellement de seconde main, surtout les vêtements qui ont appartenu à des morts, « ces vêtements hérités des morts » : elle écrit qu’elle enfile ces vêtements avec ses amis morts, « […] j’ai l’impression de les porter sur moi et j’ai même le sentiment de porter leurs linceuls » (p. 60). Après avoir mentionné une veste grise que son amie Silvia Rudni lui « laissa à son insu au moment de sa mort », la narratrice ajoute : « [J]e l’ai beaucoup portée. Longtemps, ça m’a plu de porter Silvia sur moi […]. »
Tununa Mercado est une fine symptomatologiste. Des chapitres narrent d’autres obsessions, maux, symptômes singuliers : la recherche d’une cure, la consultation du Yi King, le culte voué à la maison-musée de Trotski au Mexique, l’impossibilité chronique de bien s’implanter dans un appartement pour s’y sentir vraiment chez soi et plusieurs expédients supposés pallier les états d’abandon, d’angoisse et de dépossession. Ce qui en ressort, c’est l’articulation de la narration analytique, de la pensée narrative d’une écriture toujours précise : sa mise en relief intelligemment minutieuse, tantôt dramatique, tantôt systématique, des dimensions et des facettes de l’exil et du retour, à la fois éprouvées et passées au crible de la réflexion. Les détails concrets abondent, du vestimentaire au mobilier en passant par le culinaire, ainsi que des formes mises en mots qui relèvent bien moins du quotidien ; c’est, outre le feuilleté des cultures argentine et mexicaine en situation, tout un lexique que le traducteur a dû transposer de façon à établir les termes les plus justes en français.
Des situations inhérentes au retour au pays, la narratrice marque ce qu’elle ressent encore dans le chapitre « Phénoménologie », « […] je ne suis nulle part ». La protagoniste-témoin exposée poursuit sur sa lancée de narratrice-point de vue analytique-onde de résonance des secousses de l’exil dans les chapitres « Curriculum », « Ambassade » et « Container ». L’acuité du récit remue, le travail de désexil n’atténue aucune épreuve : entrer dans le texte signifie affronter la douleur, la raison et la déraison, la loi, l’élégie, la logique, l’exil, l’échange, le sens, la maladie et l’être sans abri, la détérioration, l’abandon, le vide, le non...

Table des matières

  1. Page couverture
  2. Les Éditions du Boréal
  3. Faux-titre
  4. Du même auteur
  5. Titre
  6. Crédits
  7. Épigraphe
  8. Introduction
  9. Avant-propos
  10. Première partie - De Cortázar à aujourd’hui
  11. Deuxième partie - Terrain
  12. Troisième partie - Des géographies aux paysages-histoire
  13. Description de la collection
  14. Crédits et remerciements
  15. Fin
  16. Quatrième de couverture