Le Temps des mortels
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Le Temps des mortels

Espaces rituels et deuil

  1. 354 pages
  2. French
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Le Temps des mortels

Espaces rituels et deuil

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Citations

À propos de ce livre

Bien des gens ne savent pas trop Ă  quoi s'en tenir lorsque, devant la mort, le terme rite est Ă©noncĂ©. Cet essai, qui repose sur plus de quarante ans de recherches en socioanthropologie de la mort, invite nos contemporains Ă  comprendre pourquoi et veut les aider Ă  choisir de façon quelque peu Ă©clairĂ©e les maniĂšres de disposer des restes humains, de saluer la mort de leurs proches et d'amĂ©nager les traces matĂ©rielles du souvenir. Bref, de se refabriquer, soi, et avec les autres, Ă  travers le passage de la mort et de nos morts.Il tient dĂšs lors le pari de rĂ©pondre Ă  ces questions que maints concitoyens se posent: d'oĂč vient ce besoin de ritualiser, et encore plus, lors de la mort d'un membre du groupe? Comment s'explique dans les mentalitĂ©s la montĂ©e de la crĂ©mation? Dans la palette des choix de disposition qui s'offrent, comment laisser place Ă  la volontĂ© des premiers concernĂ©s, soit, mais aussi aux personnes qui leur survivent? Que penser des formes de communications relatives Ă  la mort sur les rĂ©seaux sociaux et des sites commĂ©moratifs en ligne? Quelles sont les consĂ©quences de ces pratiques sur les moments du rituel, sur le sort des restes humains, sur les lieux du souvenir? Et sur l'expĂ©rience du deuil?Pour cela, Le Temps des mortels entraĂźne les lecteurs Ă  tisser une sĂ©rie de liens entre les significations des pratiques rĂ©centes et celles issues de cultures millĂ©naires. Ils pourront y trouver des clĂ©s pour les guider dans la diversitĂ© parfois dĂ©routante des initiatives actuelles Ă©manant d'entreprises et de tendances diverses. Ils auront Ă©galement le loisir de s'inspirer d'une proposition articulant les facettes d'un rite davantage en concordance avec les dĂ©sirs contemporains.

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Informations

Année
2020
ISBN
9782764646373
chapitre 1
La terre, ou le passage-repos
Terre, la référence fondatrice des pas humains.
Partant, il n’est pas Ă©tonnant qu’elle soit le premier Ă©lĂ©ment naturel par lequel se sont signĂ©s les rapports humains Ă  la mort :
On sait avec certitude que le donnĂ© anthropologique de la mort remonte quasiment Ă  l’apparition de l’homme. Il existe des preuves de sĂ©pultures volontaires dĂšs le PalĂ©olithique moyen ( – 100 000 Ă  – 35 000 ans) ; la prĂ©sence de fosses, d’offrandes, d’ossements d’animaux dĂ©posĂ©s sur les squelettes montre que l’homme de NĂ©andertal inhumait ses morts. Sans doute, des interrogations subsistent puisqu’on ne sait rien des croyances qui sous-tendent ces pratiques. Mais avec le MĂ©solithique ( – 10 000 ans), des squelettes inhumĂ©s en position fƓtale, regroupĂ©s en d’authentiques nĂ©cropoles oĂč l’on trouve de l’ocre, du mobilier funĂ©raire et des parures, parfois des traces de pollen, accrĂ©ditent l’idĂ©e de la mort-naissance et de la survie1.
Ce lieu originel a été par la suite investi sous plusieurs variantes. En effet, les formes de mise en terre sont multiples et obéissent à la fois à des impératifs géologiques et à des croyances quant au confort des esprits associés à la définition multivoque de la personne : tertres, mégalithes, tumuli étrusques, pyramides, cryptes, catacombes, urnes, puits, fosses, grottes

Cette diversitĂ© des demeures d’éternitĂ© (pour employer la mĂ©taphore Ă©gyptienne) ne saurait toutefois dissiper ce fait : le rapport Ă  la terre est celui qui, de tous les Ă©lĂ©ments, est le plus marquĂ© d’ambivalence, attestant ainsi la complexitĂ© universelle devant la mort dont traite cet ouvrage.
Des éléments naturels multivoques
D’emblĂ©e, la valence positive de la terre rend compte d’un retour au sein de cette part de l’univers sur laquelle on a marchĂ© et qui nous a nourris. Terre-MĂšre. Dans cette ligne du don et de sa reconnaissance, la sĂ©pulture est associĂ©e Ă  la mort contenue, bercĂ©e, sous figuration maternelle, donnant lieu Ă  un nouvel enfantement : ainsi, pour plusieurs cultures africaines, la tombe est une sorte de chambre Ă  coucher oĂč s’opĂšre une intense transformation de la vie. On confie le mort au sein de la vieille en vue d’une nouvelle initiation. La cosmogonie autochtone, de la borĂ©ale Ă  l’australe, renvoie Ă  un imaginaire parent, la terre Ă©tant certitude vitale : « Notre terre vaut mieux que de l’argent. Elle sera toujours lĂ . Elle ne pĂ©rira pas, mĂȘme dans les flammes d’un feu. Aussi longtemps que le soleil brillera et que l’eau coulera, cette terre sera ici pour donner vie aux hommes et aux animaux. Nous ne pouvons vendre la vie des hommes et des animaux ; c’est pourquoi nous ne pouvons vendre cette terre. Elle fut placĂ©e ici par le Grand Esprit et nous ne pouvons la vendre parce qu’elle ne nous appartient pas2
 »
Par extension, l’analogie entre humus, terreau, terroir et le domaine de l’ñge qui hĂ©rite d’une grande espĂ©rance de vie confĂšre Ă  la vieillesse un statut mĂ©ritoire dans la sociĂ©tĂ© des vivants. Ce trait est typique des sociĂ©tĂ©s privilĂ©giant un rapport au temps cyclique, comme on le verra.
Pour sa part, la valence nĂ©gative de la mise en terre renforce l’angoisse fondamentale et universelle de ne pas ĂȘtre rĂ©ellement mort. Bien plus, l’association avec la mort maternelle, si empreinte de douceur lĂ©nifiante, n’est pas non plus dĂ©nuĂ©e d’angoisse : celle-ci est liĂ©e Ă  la sĂ©paration, Ă  la parfois redoutĂ©e dĂ©perdition du lien originel.
Cette ambivalence se traduit puissamment dans le sort du cadavre, et ce, pour toutes les variations archĂ©typales. Point essentiel : ce sort est dĂ©terminĂ© aussi bien par les croyances populaires que par les systĂšmes eschatologiques. Les religions communes ou instituĂ©es et les philosophies Ă©laborent toutes un rĂ©cit Ă  propos des fins derniĂšres ou des destinĂ©es d’un ou de plusieurs principes spirituels, eu Ă©gard au corps. J’en donnerai des exemples.
SystĂšmes et croyances s’emploient Ă  rationaliser et Ă  tenter de dĂ©passer le dĂ©sarroi, si ce n’est l’effroi, que le cadavre inspire. À travers ceux-ci, on peut lire un rapport symbolique global Ă  la nature, humaine et environnementale, rapport synergique et unifiĂ©, qui n’agit pas que devant la mort.
D’évidence, l’inhumation suit le processus naturel du cycle de la vie et de la mort. La symbolique de l’enterrement se coule dans la naturalitĂ©, puisqu’on laisse ce cadaver cadare, c’est-Ă -dire tomber dans le sol3, certes avec mĂ©nagement. Cette conformitĂ© Ă  l’ordre matĂ©riel premier, perpĂ©tuellement recommencĂ©, ne signifie pas pour autant que l’acceptation en soit aisĂ©e, mais plutĂŽt qu’elle tisse une logique complexe. Comment ?
StratĂ©gies devant l’incontrĂŽlable : l’accueillir de plain-pied pour le transformer
Cette logique procĂšde d’une conception de l’humanitĂ© et de l’identitĂ© axĂ©e sur la part d’indĂ©terminĂ© dans l’humain, Ă  savoir le mystĂšre, justement, de sa finitude. (On parlera alors volontiers de la mort comme Ă©nigme, en soi et dans le processus qui y mĂšne, Ă  propos de la transmission intergĂ©nĂ©rationnelle.)
Or, l’étrange, ce qui dĂ©passe l’entendement, fabrique le « numineux4 ». Dans l’ambivalence comme matrice de nos rapports au monde, ce numineux attire en mĂȘme temps qu’il peut rebuter. Et la dĂ©liquescence, puis la dĂ©sagrĂ©gation d’un corps humain, d’autant plus s’il est individualisĂ©, rend l’angoisse insoutenable. Il va donc falloir se dĂ©fendre de la face troublante de ce numineux, ici, en s’alliant avec lui. Ce « jaillissement de vie dans la mort », disait Louis-Vincent Thomas, est alors considĂ©rĂ© dans toute son ampleur, et sa violence sera rĂ©cupĂ©rĂ©e. Violence, oui. La mort est intrinsĂšquement violente puisque la dĂ©perdition corporelle annonce l’indiffĂ©renciation ultime. Elle est Ă  la base forcĂ©ment intolĂ©rable pour l’ĂȘtre humain qui cherche Ă  la fois Ă  s’intĂ©grer comme un tout et Ă  se distinguer dans un tout.
Par quelles astuces l’imaginaire peut-il convertir positivement de telles valences nĂ©gatives ? En saisissant Ă  bras-le-corps un phĂ©nomĂšne a priori dĂ©stabilisateur, en nĂ©gociant avec les forces pouvant ĂȘtre reçues comme dĂ©lĂ©tĂšres : en les interprĂ©tant autrement. De fait, on accueille en toute conscience, mĂȘme malheureuse ; on manƓuvre en rusant, on fait bifurquer le sens brut trop ardu de cette altĂ©ritĂ© si altĂ©rante vers des amĂ©nagements plus amĂšnes. (Nous investiguerons cette merveilleuse maĂźtrise symbolique, qui vient moduler les effets pĂ©nibles d’une situation et nous entraĂźne imaginairement ailleurs.) Comment donc s’arroger une part de cette puissance de l’étrange pour la transformer ?
Sous l’égide du rapport Ă  la terre se forgent alors les modes de dĂ©fense contre la dĂ©perdition physique que sont l’affrontement, la dĂ©limitation, l’amplification ponctuelle des affects, le rassemblement, la prolongation. Ils fondent largement la psychĂ© humaine.
On va commencer par accueillir ce numineux considéré comme impur en accusant son caractÚre perturbateur, et ce, selon deux stratégies.
Purifier
On consent d’abord Ă  cette « pollution » qu’est la putrĂ©faction en la dĂ©limitant : la toilette du mort a notamment cette fonction. Plus ou moins Ă©laborĂ©e, elle vient attĂ©nuer les signes extĂ©rieurs de la cadavĂ©risation et de ses abĂźmes en les cernant, en les esthĂ©tisant, en les thĂ©Ăątralisant momentanĂ©ment. De la sorte, la toilette tient provisoirement les proches dans le « comme si » le mort Ă©tait toujours vivant. Ce dĂ©ni que l’on pourrait estimer tel ne l’est pas entiĂšrement, car si on pressent que « faire comme si » vient symboliquement attĂ©nuer l’effraction de la mort, on ne se leurre pourtant pas sur elle : on joue. Le « comme si » prend alors fonction de tiers ou de mĂ©diateur entre l’effraction par la mort et son impact, comme un retardateur-coussin, un attĂ©nuateur de brutalitĂ©.
Par consĂ©quent, laver enraie les effets numineux de la mort dans un Ă©change prophylactique unissant vivants et morts. Il s’agit, d’une part, de prĂ©venir la contamination des vivants du groupe social en lavant le cadavre, ainsi que soi-mĂȘme, associĂ© Ă  ce mort, par exemple Ă  titre de proche ; le geste est Ă  la fois sanitaire et symbolique, technique et du registre de la piĂ©tĂ© filiale Ă©lĂ©mentaire. D’autre part, pour que les esprits nocifs n’assaillent pas le dĂ©funt, on le protĂšge symboliquement en purifiant les alentours, ou encore en aspergeant le cadavre d’eau florale, quand ce n’est bĂ©nite. Cette purification inaugure d’ailleurs un jeu de coloris en damier, universel en soi, mais inversĂ© : en Occident, le blanc, du linceul aux linges et aux broderies, afin justement de prĂ©munir le dĂ©funt et d’en appeler de sa quiĂ©tude ; le noir, des habits des vivants, sous divers camaĂŻeux de densitĂ©, aux rideaux, aux brassards et aux banderoles, afin de signaler le passage dans le sombre.
En somme, dans l’implicite, tout geste de purification prend assise sur cette violence Ă  l’Ɠuvre dans la matĂ©rialitĂ© du corps humain. (Ce geste empreint de douceur n’est pas rare de nos jours dans les unitĂ©s de soins qui laissent un battement de temps pour les proches, afin que l’abord de cette violence ne soit davantage blessant et que celle-ci puisse ĂȘtre minimalement rĂ©sorbĂ©e.) Cette dynamique sera cruciale dans l’exploration plus prĂ©cise des rites dits de retenue, Ă  composante affective complexe, au chapitre 3.
Mimer et répliquer
On ne va pas qu’acquiescer en affrontant, selon des rĂšgles de circonspection. Seconde stratĂ©gie, on va aussi accepter l’étrangetĂ© du cadavre en le mimant. Tout enfant, mimer, adopter sans le savoir des traits de l’autre parce qu’on y est attachĂ©, constituait une stratĂ©gie de base de l’identification ou de la constitution de notre identitĂ©. Ici, mimer provisoirement et certes partiellement l’état de l’autre nous fait nous identifier Ă  la condition de mortel. Davantage, mimer la mort s’avĂšre un mode de dĂ©fense essentiel : toute identitĂ© vient s’y consolider sous son versant d’intĂ©gration en une unitĂ©.
Une des modalitĂ©s de cette protection mimĂ©tique tient dans le linceul de lin. Le linceul, enveloppe et contenant universel, n’est pas uniquement Ă©quivalent Ă  l’humilitĂ© devant l’égalitĂ© du so...

Table des matiĂšres

  1. Page couverture
  2. Les Éditions du BorĂ©al
  3. Faux-titre
  4. Du mĂȘme auteur
  5. Titre
  6. Crédits
  7. DĂ©dicace
  8. Citation
  9. Introduction
  10. Premier carrefour
  11. Chapitre 1
  12. Chapitre 2
  13. Chapitre 3
  14. DeuxiĂšme carrefour
  15. Chapitre 4
  16. Chapitre 5
  17. Chapitre 6
  18. Chapitre 7
  19. TroisiĂšme carrefour
  20. Chapitre 8
  21. Chapitre 9
  22. Chapitre 10
  23. QuatriĂšme carrefour
  24. Chapitre 11
  25. Chapitre 12
  26. Chapitre 13
  27. CinquiĂšme carrefour
  28. Chapitre 14
  29. Chapitre 15
  30. Chapitre 16
  31. Dernier carrefour
  32. Conclusion
  33. Remerciements
  34. Crédits et remerciements
  35. Fin
  36. QuatriĂšme de couverture