La Leçon de Jérusalem
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La Leçon de Jérusalem

  1. 304 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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La Leçon de Jérusalem

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Citations

À propos de ce livre

Le 6 juillet 2013, Monique LaRue assiste à une projection du film de Margarethe von Trotta, « Hannah Arendt », centré sur la controverse suscitée par le livre « Eichmann à Jérusalem », rapport sur la banalité du mal. Elle en sort métamorphosée. Elle qui résistait depuis des années à se pencher sur une controverse dans laquelle elle avait été impliquée – la fameuse « affaire LaRue », où l'un de ses textes avait fait l'objet d'une lecture aberrante – retrouve sa liberté de parole. « Je suis infiniment reconnaissante à Margarethe von Trotta et à son film d'avoir fait en sorte que soit un jour représentée sous mes yeux […] la mésaventure intellectuelle d'une femme intelligente et imparfaite, qui se sert de son intuition, se fie à son jugement, développe sa réflexion et dit ce qu'elle pense dans sa langue naturelle et avec confiance, en se plaçant dans les conditions du dialogue cohérent et de la liberté de pensée. » Cette « leçon de Jérusalem » n'est que le point de départ d'un propos beaucoup plus vaste. Monique LaRue se demande pourquoi elle a eu tant de difficultés à mener ce qu'elle appelle « une authentique vie de l'esprit ». Cela l'amène d'abord à s'interroger sur le rapport complexe qu'entretiennent les Québécois avec la langue. En outre, sa pensée prend continuellement en compte les conditions concrètes dans lesquelles une femme qui a choisi la maternité mène une carrière intellectuelle. Mariant réflexion et fiction, faisant éclater à chaque phrase le plaisir de penser et d'écrire, voici un livre hors norme qui est une véritable fête de l'intelligence.

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Informations

Année
2015
ISBN
9782764643877
1
La leçon de Jérusalem
Ce n’était pas de la stupidité, mais un manque de pensée…
Hannah Arendt
Novembre 2013, retour de Jérusalem
Le 6 juillet 2013, au cinéma Excentris à Montréal, j’ai vu le film de Margarethe von Trotta, Hannah Arendt, film centré sur la controverse suscitée par le livre Eichmann à Jérusalem, rapport sur la banalité du mal. Je ne suis pas sortie de ce film remuée mais métamorphosée. Je résistais depuis des années à me pencher sur une controverse survenue dans mon existence, comme on évite de repenser à un accident fâcheux. En deux heures, j’ai franchi une étape et quand je suis sortie du cinéma je n’étais plus la même qu’en y entrant. Des « affects », comme dit la psychanalyse, avaient été libérés.
J’ai été happée par le personnage interprété par Barbara Sukowa, une femme aux traits plus fins, au visage plus moderne et séduisant, au corps plus élégant que ce que montrent les photos d’Arendt à cinquante-cinq ans. J’ai adhéré à cette Arendt qui n’est pas Arendt, emportée à l’écran vers un « Idéal du Moi » datant de l’époque où j’ai découvert la philosophie, au collège Marie-de-France, quand j’ai pour la première fois formé une image cohérente de moi comme femme intelligente, sans soupçonner à quel point ce nouvel « Idéal » qui s’offrait par la vertu de la Révolution tranquille aux Québécoises de ma génération était et resterait problématique. J’aurais pu me définir comme « belle femme », mais cela ne s’est pas produit.
Depuis que l’intelligence des filles et son égalité à celle des garçons est clairement établie, cette intelligence s’affirme de génération en génération, parce que la qualité de l’éducation qu’on donne aux filles augmente – ce qui n’était pas chose très difficile à réaliser. Mais on ne sait toujours pas vers quoi et comment la diriger. On n’a pas encore pensé entièrement, ni suffisamment, son rapport avec le corps féminin. Non seulement le divorce, non nécessaire, entre l’intelligence d’une femme et la beauté de son corps reste-t-il terriblement délétère, comme en témoigne le destin de Nelly Arcan et de tant d’autres, mais le rapport entre le cerveau d’une femme et l’intérieur de l’enveloppe qui la distingue reste encore moins exploré. Ce corps interne, réglé par un programme complexe de cycles et d’intermittences, nid d’invisibles incrustations, siège de lourds parasitages, d’expulsions violentes, d’écoulements de tout ordre, et sa « servitude volontaire » dans la reproduction biologique ne s’arriment pas encore à des récits de vies réelles ou fictives qui seraient aussi puissants par leur forme que le grand schéma de la quête, élaboré par des cerveaux implantés dans des corps masculins tendus vers une tout autre fin. La grande Simone de Beauvoir a spécifiquement lancé le féminisme moderne en refusant clairement d’utiliser son intelligence pour penser la maternité et en soustrayant son corps à cette fonction, ce qui constitue une manière de rechercher, voire d’atteindre l’« égalité » biographique avec les hommes, mais non pas de développer une pensée de l’intelligence féminine, et par là je n’entends rien d’autre que la faculté d’un cerveau humain relié par un système hormonal et glandulaire à un corps humain mammifère et féminin.
Intelligence et maternité sont si disparates qu’il a fallu ce film pour que, à plus de soixante ans, je reprenne contact avec ma vie antérieure. La projection et l’identification cinématographiques m’ont fait revenir dans la peau de la jeune femme née comme sujet autonome quand je me suis échappée du système d’enseignement québécois féminin pour me retrouver face à des enseignantes qui n’étaient pas des religieuses mais des femmes modernes et libres, après avoir accédé par mes seules forces, en réussissant un examen d’entrée plutôt dissuasif, au collège Marie-de-France, où j’ai découvert le dialogue cohérent.
Chacun de ces mots – dialogue, cohérence – désignait, avant cet atterrissage en France chemin Queen-Mary à Montréal, une réalité inconnue. Mon « Moi » retardé, infirme, empêché, fabulateur, se réfugiait dans la lecture de romans. Et la lecture de romans n’est pas l’apprentissage de la vie. Comprendre un être humain dans la réalité des relations interpersonnelles concrètes et comprendre un personnage romanesque sont deux activités distinctes. Au collège Marie-de-France, où personne ne me connaissait, j’ai manipulé pour la première fois la langue française comme instrument producteur d’un sens commun au locuteur et à l’interlocuteur, et comme instrument producteur de nouveauté. Sauf exceptions (il y en avait), les religieuses ne croyaient pas à la nécessité de l’enseignement supérieur pour des filles destinées à se marier et à avoir des enfants, elles n’avaient pas été formées pour former d’autres femmes en vue de leur insertion dans un milieu et des professions qu’elles ne connaissaient pas non plus.
Personne dans mon entourage ne connaissait le système d’enseignement français, je n’avais encore jamais rencontré de « Français de France » si ce n’est une voisine, la fille de l’écrivain Franc-Nohain, qui avait vécu dans les beaux quartiers de Paris et avait échoué dans notre rue. Pour les fêtes d’enfants, elle nous conviait à un « goûter » de meringues à la Chantilly comme chez les petites filles modèles. En entrant à Marie-de-France, j’ai été éblouie comme Dante entrant au paradis, je me suis retrouvée dans un roman français et je suis devenue un personnage de roman qui mangeait des nouilles au beurre et se mettait en bouche la langue de madame de Ségur, de La Semaine de Suzette, des quelques romans français – Mauriac, Alphonse de Châteaubriant, Daniel-Rops – que mon père tolérait dans sa bibliothèque. J’avais atterri dans un monde séculier. Dans cette France du collège Marie-de-France, les mots voulaient dire ce qu’ils veulent dire et la parabole n’avait pas libre cours.
Une enseignante a bien voulu me démontrer que, n’ayant pas suivi le cursus scolaire français, je ne connaissais pas la langue française : elle se trompait, et n’a fait que renforcer ma conviction que savoir écrire serait ma force et ma revanche. Je ne connaissais pas les règles de la dissertation à la française, je ne prononçais pas le latin de la même manière que les Français, j’ai obtenu en français des notes sous la moyenne, mais j’étais à ma place dans ce collège. Les Françaises, Québécoises francophones, Québécoises anglophones que j’y ai rencontrées me paraissaient plus sympathiques car plus franches, au sens premier du terme, qui signifie « libre », moins chipies, moins futures épouses, moins conformistes, moins dressées, moins obéissantes, moins hypocrites, moins chipoteuses, moins rivales, moins « madames ». Certaines étaient de milieu plus modeste que moi, filles d’ouvriers, de petits commerçants arrivés ici après la guerre. Elles parlaient déjà de double appartenance, de double identité, de leur déchirement entre la France et le Québec. Le sport était enseigné sérieusement, le corps soumis à l’exercice et à la compétition. Les filles savaient non seulement sprinter, sauter le cheval d’arçon, mais elles se battaient pour gagner. J’ai découvert les repas à trois services, la moutarde française, l’existence d’Arcachon où l’on produisait des huîtres et des asperges. L’une était née là, à Arcachon ! Une autre était la fille d’un grand rabbin. Une Québécoise qui avait l’air d’un ange couchait avec un homme qui avait l’âge de son père.
Au bout d’un mois, quand nous avons reçu les résultats de la première « composition » de philosophie, j’ai obtenu la meilleure note et la certitude que je cherchais. Contrairement au prof de français, madame Colette Scott, normalienne fraîchement émoulue, tout juste arrivée à Montréal, ne savait pas que j’avais fréquenté des établissements scolaires dont elle ne connaissait pas non plus la réputation qu’on leur fait dans les collèges français montréalais. Seize sur vingt. Aucune faute, sauf pour avoir écrit : « s’avérer vrai ». Un pléonasme pour lequel j’avais perdu un point. Ah ! J’avais quelque chose à me mettre sous la dent avec ce genre de révélation, avec ce genre de précision. À la fin de cette année en France à Montréal, j’ai mis ma plus belle robe pour recevoir le premier prix de philo­sophie, une Pléiade Paul Valéry, des mains d’un haut diplomate, au Pavillon français de l’Exposition universelle de 1967.
C’est à cette venue au monde par la raison et par la langue de France que me ramenait le personnage charmant, brillant, d’Hannah Arendt fumant ses cigarettes en série à l’écran. Sémillante, hyperactive, ordonnée, cohérente, elle était une femme comme j’aurais voulu en être une pour mes enfants dans une existence romanesque – bien mise, soignée, occupée à lire et écrire dans son bureau vitré, à chercher la vérité. Taille moyenne, chevelure mi-longue, ni maigre ni grosse, jolies jambes, cette Arendt avait aussi des défauts que je connaissais : ironie, brusquerie, imprudence, hâte, une certaine incapacité à prévoir l’effet de sa pensée sur les autres, attribuable à sa quête, à son indépendance, à sa spontanéité, plus fortes que le désir de convaincre ou que le souci de diplomatie. Une intelligence qui fait confiance au langage mais s’incarne dans une manière d’être différente, sans doute, de celle que des siècles d’éducation mâle européenne avaient construite chez ses camarades philosophes.
À la différence d’Arendt, j’ai choisi d’avoir des enfants alors que, apparemment pour des raisons liées à la Seconde Guerre mondiale, elle a entièrement vécu dans la sphère publique comme intellectuelle, philosophe, journaliste, essayiste, aux plus hauts niveaux. Son personnage à l’écran me montrait, sans rien me faire regretter, une femme comme j’aurais pu le devenir et que je suis en partie. Une femme intelligente.
Dans la salle de ce cinéma d’art et d’essai, un des rares qui restent à Montréal, j’ai comme d’habitude noté la présence de figures culturelles ou familières, Robert Lévesque, ex-critique au journal montréalais Le Devoir, et, à quelques rangs devant nous, une amie proche avec laquelle nous avons vécu « comme » vivent Hannah Arendt et ses amis au début de ce film : en intellectuels, à discuter l’actualité la plus féroce autour de repas bourgeois et très arrosés à Montréal, Paris. Ces amitiés montréalaises n’ont jamais eu, cela va sans dire, l’intérêt historique de celles que présente le film de von Trotta. Question de lieu de naissance. Mais le film donnait tout de même une image élevée, « idéale », de ce que nous avions essayé d’être, comme les héros de L’Éducation sentimentale aiment la révolution et le romantisme. Et pourquoi n’avons-nous pas réussi comme petit groupe à mener une authentique « vie de l’esprit » – car la quête intellectuelle de chacun est autre chose ?
À cette question je répondais jusque-là automatiquement : « Parce que nous étions au Québec. » Le livre d’entretiens de Jacques Godbout, Le tour du jardin1, m’empêche maintenant de répondre aussi simplement. Il était et il est encore possible de mener au Québec une véritable « vie de l’esprit ». Godbout l’a fait, indubitablement, entre Montréal et Paris, trouvant des milieux à la hauteur de ses désirs, des amis de son calibre, dans les revues Liberté, L’actualité, à l’ONF, dans l’édition. Jacques Godbout est le petit-neveu d’un premier ministre du Québec, le produit de l’élite masculine. Son collègue et ami François Ricard, dans Mœurs de province2, raconte lui aussi ses amitiés intellectuelles et la riche vie de l’esprit qui a été la sienne, c...

Table des matières

  1. Page couverture
  2. Les Éditions du Boréal
  3. Faux-titre
  4. Du même auteur
  5. Titre
  6. Crédits
  7. 1 • La leçon de Jérusalem
  8. 2 • La qualité des langues
  9. 3 • Le roman et la vie privée
  10. 4 • Trois femmes
  11. 5 • Méandre et curriculum
  12. Note de l'auteur
  13. Crédits et remerciements
  14. Fin
  15. Quatrième de couverture