Le rideau de scène est fermé.
Henri arrive de la salle, monte sur scène.
Henri prend un temps.
Il s’adresse au public.
henri
Prologue.
Cent trente morts. Quatre cent treize blessés.
Des cent trente, plusieurs, beaucoup, morts debout.
D’autres morts par… sonnerie.
Couchés, espérant ne pas être aperçus, jouant les morts dans la dernière scène de leur vie.
Tant de chemin parcouru, seul, pour finalement se retrouver couché sur le béton, côte à côte, face à face avec la confusion instrumentalisée, la colère radicalisée.
Plus loin, quelque part en ville, quelqu’un reçoit une notification, apprend la nouvelle : fusillade, cauchemar.
Cette personne-là prend son téléphone, appelle ou, pire, texte l’autre pour voir s’il est en sécurité, à l’abri.
Elle texte, ses pouces tremblent, elle fait des erreurs en écrivant, l’autocorrect change les mots, elle corrige, ses larmes coulent sur l’écran de son téléphone, ses pouces glissent sur les larmes qui inondent l’écran rétroéclairé de ce qui lui reste d’intelligent.
L’autre, caché, contrôlant sa respiration, immobile, jouant les dernières secondes de sa vie, est trahi par l’amour au temps du wifi.
13 novembre 2015, au Bataclan, à Paris.
Sonnerie. Un de mort.
Sonnerie. Un autre de mort.
Sonnerie. Pow.
Sonnerie. Pow.
Sonnerie. Pow.
Moi, si j’étais vous…
Temps.
On entend treize coups de feu, dans le rythme des treize coups de théâtre.
Musique : The Devil, de Mary Lou Williams
Le rideau s’ouvre. Une immense croix lumineuse dans le lointain, au centre, et un cercueil, à cour de la croix. Quelques piles de chaises. Une table, à jardin de la croix, avec une lampe de lecture verte, classique, et le régisseur.
Henri se place dos aux spectateurs et regarde la scène.
Pierre est au centre, dos au public, et regarde la croix.
Mireille aussi, un peu plus à jardin.
Monique est près de la table.
Marc arrive, de cour.
Au bout d’un moment, Mireille, Monique et Marc vont chercher leur texte sur la table.
Ils et elles consultent de temps en temps leur texte.
Pierre est le narrateur.
narrateur / pierre
________________________ (il dit la date du jour)
Première partie : Maintenant
Musique : Symphonie nº 9, de Philip Glass
Première scène : Ouverture
La pièce se déroule à Montréal, au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui sur le territoire traditionnel des Kanien’kehá:ka.
Le rideau s’ouvre, révèle la scène.
Henri reste là et regarde le regard des spectateurs qui, eux, découvrent le plateau : la croix géante au fond de la salle, le tapis gris charcoal au sol, les chaises noires au loin, l’écran à cour, la fébrilité dans l’air, l’incertitude ambiante, l’adrénaline, l’excitation, le bonheur, le doute… et à cour de la croix, ce qui reste de moi.
Sur scène, cinq interprètes d’aujourd’hui, d’hier et, on l’espère, de demain.
Entre leurs mains, mon texte, mon testament, mes dernières volontés, tout ce que je les ai entendus dire, murmurer, crier, tout ce qui m’a échappé et encore plus, mis en mots, mis en scène.
Ils et elles lisent, ...