AU FRONT AVEC LE 22e BATAILLON
21 septembre 1915 – 26 août 1916
21 septembre
Nous nous préparons à notre tour à aller dans ces tranchées que nous avons tant hâte de voir. Jusque-là, nous ne pouvons pas nous en faire une idée exacte, quoique depuis deux jours, nous avons bien vu des choses qui étaient toutes nouvelles pour nous, telles que les ballons observatoires (saucisses), en plus d’avoir vu un ou deux aéroplanes qui venaient de faire des observations sur les lignes, une allemande, l’autre alliée.
Nous laissons le camp à 8 heures pm pour rentrer de nuit [dans les tranchées] et nous avançons le cœur bien léger, contents je dirais comme des enfants tellement nous avons hâte de voir tout cela.
10 heures pm
Nous sommes dans les lignes de communication, à 500 verges à l’arrière de la première ligne. Il fait un bien beau clair de lune et les Boches ne nous envoient que 6 à 8 obus qui, heureusement, ne blessent aucun de nous car nous sommes encore en terrain découvert. Nous nous rendons ainsi jusqu’aux lignes de soutien à l’arrière de la première ligne. Nous en sommes à nous placer et les impériaux que nous remplaçons défilent lentement vers l’arrière tout en nous répétant sans cesse de nous taire et de ne pas nous mettre la tête en dehors de la tranchée. Puis nous sommes placés, moi et trois de mes camarades, dans une baie faisant partie de la première ligne, car les tranchées ne sont pas droites mais en zigzag : advenant une attaque de nos tranchées, nous ne serions ainsi pas pris en enfilade. Je suis donc dans une baie d’à peu près 9 pieds par 5 pieds de grandeur. Nous sommes trois hommes et un sergent.
Nous n’avions pas reçu d’instructions encore, excepté de nous tenir éveillés et de regarder de temps en temps par-dessus le parapet. Ne connaissant pas le danger, nous nous asseyons sur le parapet et nous nous mettons à fumer sans penser qu’il y a du danger, étant dans la certitude que nous étions dans les lignes de réserve. Nous fumions et de temps en temps, nous entendions passer des « pizz », « pizz », ne sachant pas ce qui pouvait être la cause de ces petits bruits-là.
Nous étions là depuis certainement un bon quart d’heure quand un officier vient à passer et nous demande ce que nous faisons là. Après notre réponse qui lui parut surprenante, il nous explique où nous sommes et nous dit que nous ne sommes qu’à 150 verges des Boches, et que c’est par chance si nous n’avons rien reçu encore. Il ajoute que les Boches avaient une mitrailleuse dans notre section et que très souvent ils s’en servent. Inutile de dire que nous sommes descendus vite fait et à peine 5 minutes après, la mitrailleuse entrait en action pour tout balayer ce qui pourrait se trouver sur son chemin : nous l’avions échappé belle.
Après cette petite alerte, nous nous asseyons sur le marchepied qui nous sert de fire-step d’où nous tirons sur les Allemands, et après avoir causé un peu, nous nous endormons tous. C’est le lieutenant qui nous réveilla le lendemain matin, non sans avoir dit ce qu’il pensait au sergent, car c’était à lui d’aller prendre ses ordres la veille au soir.
Nous sommes dans les tranchées pour 8 jours et nous serons relevés par le 26e Bataillon, tandis que le 24e, qui est dans les tranchées à notre droite, le sera par le 25e Bataillon.
Nous passons notre temps à sortir la tête en dehors de la tranchée et je vous dis que les Boches en profitent. D’ailleurs ils ont une belle mire car il y en a qui sont complètement en dehors de la tranchée : cette première journée nous fut fatale en tués et blessés. Il en fut ainsi pour les trois ou quatre premiers jours, avant que les gens comprennent qu’il fallait se cacher le plus possible.
Nous avons eu en tout près de 40 [soldats] mis hors de combat, mais c’était la seule manière pour plusieurs de se faire à la situation. Nous avons du bien beau temps à réparer la tranchée, à en creuser d’autres et à fortifier le parapet, puis à nous reposer un peu. Le soir, nous étions occupés presque toute la nuit à aller aux rations, à faire la garde dans les tranchées, ensuite à aller faire la garde entre deux tranchées, quelquefois à pas plus de 40 pieds des tranchées boches : couchés sur le ventre, nous nous traînions comme nous pouvions, tout en tenant dans notre main notre fusil, et de l’autre un fil conducteur pour les signaux à donner aux soldats dans la tranchée. Nous étions accompagnés d’un bombardier qui avait trois grenades avec lui.
Après avoir rampé le plus près possible des tranchées allemandes, nous nous étendons et surveillons les alentours et ce qui se passe en avant. Quelquefois, les Boches envoyaient des fusées qui éclairaient comme en plein jour et cela pendant cinq minutes. Après deux heures de garde ainsi, nous retournons par le même chemin d’où nous sommes venus, et sautons dans la tranchée pour encore faire deux heures de garde ou, quelquefois, retourner à l’arrière pour aller chercher des effets que nous voulions dans la nuit même.
Tout ceci nous rendait très fatigués le soir, et comme nous perdions des hommes presque tous les jours, nous étions obligés de nous multiplier pour faire ce qu’ils auraient fait. Nous ne pouvions pas encore recevoir de renforts de notre base… Comme nous avions perdu plus d’hommes que les Anglais que nous avions remplacés dans le même espace de temps, notre base, quoique très bien organisée, ne devait nous envoyer des hommes qu’au fur et à mesure que nous en aurions besoin depuis le camp de réserve en Angleterre, ce qui prenait du temps. Nous faisions donc [chacun] l’ouvrage de deux camarades. Nous avons passé ainsi 8 jours dans les tranchées pour la première fois, mais le front était bien tranquille, un obus par-ci, par-là et, bien entendu, si nous nous montrions par-dessus le parapet, nous étions abattus de suite car les Boches étaient de très bons tireurs et ils manquaient rarement leur coup. Après avoir passé ces 8 jours, nous sommes relevés par le 26e Bataillon et nous nous rendons à un endroit à l’arrière que nous appelons Sandbag Villa. Il s’agissait d’un poste de secours et de renfort. Là, nous nous formons en ordre de marche et nous reprenons le même chemin que nous avons pris pour nous rendre aux tranchées en passant par La Clytte, et nous nous rendons à notre camp où nous nous sommes arrêtés avant d’entrer dans les tranchées et qui se nomme Dranoutre, au lieu de Locre, comme j’en avais l’impression à notre arrivée, Locre étant à un kilomètre d’ici.
Septembre 1915, note
Je disais hier que je m’étais procuré une carte et que je croyais que nous étions à Locre, et ensuite à Dranoutre, alors que nous nous sommes [cantonnés] à peu près à 150 verges de Locre. Sur le chemin de Locre à Ypres, en arrière d’une assez grosse colline sur laquelle il y a un moulin à vent et à 1...