CHAPITRE 1
Les origines idéologiques du Parti acadien
Le nationalisme acadien au Nouveau-Brunswick se développe en symbiose avec les grandes vagues nationales qui traversent le monde occidental. Au milieu du XIXe siècle, dans la foulée du « Printemps des peuples », les Acadiens vivent leur « Renaissance » nationale. Lors de grandes « conventions », réunissant les élites cléricales et professionnelles, on définit les symboles qui représentent l’Acadie jusqu’à nos jours : drapeau, hymne, fête nationale. Ce nationalisme est remis en cause dans les années suivant la Seconde Guerre mondiale, période marquée par de grands bouleversements, tant politiques, économiques que sociaux. Enfin, un nouveau nationalisme émerge à l’aube des années 1970, en concordance avec une autre vague nationale qui voit le réveil des nations périphériques tant en Amérique qu’en Europe.
Le néo-nationalisme se définit brièvement comme toute tentative d’utiliser l’État pour servir les intérêts collectifs des Acadiens. Il comporte plusieurs facettes, dont des demandes de décentralisation des services gouvernementaux dans les régions du nord du Nouveau-Brunswick, l’instauration d’institutions linguistiquement homogènes, la dualité administrative et une refonte du développement économique régional pour permettre aux francophones de rester dans les régions où ils sont majoritaires plutôt que de déménager sur un territoire partagé avec les anglophones. Certains néo-nationalistes appellent même à la division du territoire néo-brunswickois selon une ligne diagonale de Grand-Sault à Moncton. Tout ce qui serait au nord de cette ligne pourrait former un nouvel État ou être annexé au Québec. Tandis que le nationalisme traditionnel datant du siècle dernier est associé au conservatisme – notamment par son ancrage dans le religieux – ce nouveau nationalisme est clairement marqué à gauche. En concordance avec sa défense de la langue, il propose un nouveau modèle de société plus égalitaire que celui qui a dominé pendant les « trente glorieuses ». À partir de 1972, ces néo-nationalistes de gauche auront leur propre véhicule en politique néo-brunswickoise : le Parti acadien.
Toutefois, il nous faut d’abord comprendre les idées qui sont au cœur du néo-nationalisme et les conditions qui facilitent son émergence. Ce serait trop simpliste de dire que le nouveau nationalisme représente le « contraire » du nationalisme traditionnel. Plutôt, à certains égards, il représente le désir d’une nouvelle génération – surtout celle des premiers baby-boomers nés dans l’immédiat de l’après-guerre – de retrouver la société idéalisée de leurs ancêtres. Nous proposons donc d’abord de faire état des grands principes derrière le nationalisme traditionnel qui émerge au XIXe siècle. Par la suite, nous analyserons sa remise en cause dans les années qui suivent immédiatement la Seconde Guerre mondiale. Enfin, il sera question de l’émergence du néo-nationalisme à la fin des années 1960 et de la mise en place des premiers jalons du PA.
L’émergence du nationalisme acadien
La vague nationale de la deuxième moitié du XIXe siècle, qui voit l’émergence de la première mouture du nationalisme acadien, est le résultat d’une double dynamique. D’une part, de nouveaux États centralisés sont en train de se constituer ; d’autre part, des velléités autonomistes commencent à s’exprimer de la part des peuples minoritaires. Ces deux processus s’expriment parfaitement au Canada. À partir du milieu du XIXe siècle, on voit des tendances à la centralisation, notamment avec la Confédération et l’uniformisation de l’éducation publique. C’est au même moment qu’émergent les nationalismes canadien-français et acadien. La « communauté imaginée » est alors définie par une « élite » clérico-professionnelle : avocats, médecins, membres du clergé. Cette « élite définitrice » détient « un pouvoir [dans le] domaine du symbolique », ceux qui y appartiennent peuvent établir les critères d’appartenance à la nation et ils ont les moyens de diffuser cette vision. Même si on ne contrôle pas d’État – bien que le Québec soit majoritairement francophone, il est gouverné selon un régime consociatif où les anglophones exercent un pouvoir politique démesuré par rapport à leur poids démographique –, les francophones rêvent toujours de pouvoir « faire société » à travers des institutions non étatiques : collèges, hôpitaux, journaux, associations et ainsi de suite.
Initialement, certains Canadiens français tentent d’intégrer les Acadiens à leur communauté nationale. Lors du premier Congrès catholique des Canadiens français, tenu à Québec en 1880, on invite des délégués acadiens. Pourtant, l’année suivante, ces derniers décident d’organiser leur propre congrès à Memramcook. Il y est question d’un des fondements identitaires de l’Acadie : sa fête nationale. Un débat important a lieu ; certains délégués souhaitent que les Acadiens participent à la Saint-Jean-Baptiste, tandis que d’autres désirent une fête nationale qui leur soit propre. À la fin, suivant les appels de Mgr Marcel-François Richard, un prêtre ultramontain de Saint-Louis-de Kent, les délégués choisissent la Vierge comme patronne des Acadiens et le 15 août – fête de l’Assomption – comme leur fête nationale.
L’étude classique du congrès de 1881 a été faite par un des premiers sociologues universitaires en Acadie : Camille Antoine Richard. Constatant une certaine sensibilité « séparatiste » parmi les délégués, Richard illustre le désir des élites acadiennes d’éviter « l’absorption du groupe par les Canadiens français ». Richard montre également comment les congressistes étaient conscients d’une prétendue faiblesse des Acadiens. Mgr Richard lui-même explique comment « nous sommes un peuple faible » qui requiert une « patronne puissante ». Cette faiblesse est naturellement liée à la Déportation, ce qui ressort clairement du discours d’un des grands promoteurs du 15 août : le futur sénateur Pascal Poirier :
Choisissons-nous une fête qui nous soit propre, mes...