Le Bois dont je me chauffe
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Le Bois dont je me chauffe

  1. 192 pages
  2. French
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  4. Disponible sur iOS et Android
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Le Bois dont je me chauffe

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Citations

À propos de ce livre

Au milieu des forêts pourtant familières entourant le village de Saint-Rémi, dans les Laurentides, François Landry fait figure d'espèce rare. Il est sans doute le seul intellectuel dont c'est l'habitat permanent. Quelques-uns de ses semblables ont l'habitude de migrer de la ville à la campagne, selon les saisons. Pas lui. Après avoir grandi dans le Bas-Saint-Laurent et « jeunessé » en ville, il a choisi de s'établir à demeure dans ce village où, comme dans la plupart de ses semblables, se rencontrent les descendants des défricheurs, les citadins en mal de campagne et les villégiateurs plus ou moins friqués.Il fait quelques petits boulots, parcourt les routes sinueuses des environs, entretient des liens jamais tout à fait simples avec les « locaux », mais, surtout, il observe, écoute, réfléchit, écrit. Sur notre façon d'occuper le territoire comme si c'était un vêtement mal taillé, de saccager la beauté du monde pour faire parade de notre importance sociale, de notre succès matériel. Il se met en colère, rage, nous rappelle que ceux qui agissent en truands avec la nature sont les mêmes qui entretiennent les injustices dans notre société, qui se moquent du sort des plus faibles, des plus démunis.Et quand il est en proie à la colère, il ne se gêne pas pour nous dire de quel bois il se chauffe.Écrit d'une plume à la fois rageuse et élégante, Le Bois dont je me chauffe est un exercice d'indignation qui vient à point pour nous rappeler que vivre dans un rapport harmonieux avec la nature, c'est d'abord vivre dans le respect de nos semblables.

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Informations

Année
2020
ISBN
9782764646250
La fin des asticots
Je suis natif d’un espace où le fleuve salin ne s’appelle pas encore « la mer » et d’un temps où des troupes de marsouins croisaient au large. Leurs dos blancs apparaissaient un instant sur la crête des vagues et l’on pouvait aisément les confondre avec des moutons, ces écumes qui se forment lorsque les vents se lèvent. Leurs longues processions ondulantes défilaient souvent à une encablure ou moins de la bouée lumineuse qui marquait l’ancienne extrémité du quai de Rivière-Ouelle, amputé de la moitié de ses quatre cents mètres d’origine depuis la baisse prononcée de son achalandage et en raison des effets ruineux de grosses tempêtes.
Mes grands-parents maternels passaient leurs étés sur cette pointe rocheuse dont le quai formait l’éperon. Notre regard, balayant l’horizon de Charlevoix, pouvait, par temps clair, courir de Cap-Tourmente à l’embouchure du Saguenay avec, droit devant, le montueux village de Saint-Irénée et, non loin, La Malbaie, presque engloutie par la courbure du globe. Droit devant, aussi, les marsouins.
Nous avons appris à les désigner avec le nom approprié. Ils sont en effet devenus des bélugas lorsqu’on a cessé de les apercevoir, quand ils se sont soustraits aux autres éléments qui formaient le décor habituel de la Pointe aux Iroquois. Cela s’est produit à l’époque où ont disparu les goélettes. Il n’existe aucun lien tangible entre les deux phénomènes, sauf en ceci qu’ils constituent mes premières pertes irrémédiables. J’entrais dans l’adolescence en découvrant que l’histoire ne fait pas qu’ajouter au déjà-là ; elle retranche, aussi. Elle nous prive de ce qui nous semblait immuable parce que familier. Éternel, le mont des Éboulements. Éternels, les onze milles nous séparant de la rive nord. Éternellement renouvelables, les crépuscules qui enflamment les flots apaisés. Éternel, le mouvement des marées. Un paysage d’une telle démesure accorde au lointain la même importance qu’à la proximité. Ainsi, j’étais aussi fasciné par les reflets du soleil matinal sur les toits de tôle des microscopiques maisons d’en face que par la géométrie harmonieuse des dessins sur une pierre tenue dans ma main, frottée, polie, ballottée, arrondie par des millénaires de flux et de reflux marins. Mais entre l’ici et l’ailleurs existait ce plan mitoyen qu’animaient les seuls marsouins, par-delà l’univers immédiatement accessible, mais bien en deçà du chenal où cheminaient les cargos dont nous déchiffrions les noms à l’aide de nos jumelles.
Voilà pourquoi leur disparition causa une sorte de stupeur incrédule. Par la suite, d’autres réalités s’effacèrent. Enfants, nous ramassions les déchets accumulés sur la plage, vomis là durant les marées d’équinoxe : contenants de plastique de toutes tailles, pneus, bombes aérosol, applicateurs de tampons, cordages, bouteilles de verre se mêlant au varech, au bois de plage, aux souches et aux algues. Nous entassions les divers éléments de ce dépotoir en un vaste bûcher pour en faire des feux de joie pour le moins extravagants. Nous avions vite découvert que le caoutchouc dégage une fumée très noire et dense ainsi qu’une chaleur beaucoup plus vive que celle du bois. Nous avions également pressenti qu’il valait mieux se jeter au sol lorsque l’un d’entre nous lançait dans le brasier une cannette de métal pressurisée. Avec le temps, et la conscience écologique aidant, les déchets se sont raréfiés sur les berges, et nos feux de camp ont adopté une allure plus orthodoxe.
Mais les marsouins, transmués en bélugas, ne sont pas revenus.
Ou plutôt si. J’en ai vu un, des années plus tard, échoué dans l’anse nauséabonde où nous allions récolter nos sangsues au jusant. Il reposait sur le flanc, et la mort devait être récente, car nul miasme n’en émanait. De son œil visible, pointé vers le zénith, s’échappait une humeur bleutée qui avait tracé une ligne sur la joue, jusqu’à la naissance des mâchoires. La scène était frappante, car la conformation de la gueule de ce mammifère donne l’impression qu’il rigole, qu’il s’amuse, que la vie est marrante. C’était à se demander s’il n’était pas mort à force de pleurer de rire. Je me souviens d’avoir murmuré : « Merde, un béluga. » Pour la première fois, je ne prononçais pas le mot marsouin.
Je ne parviens pas à m’enlever de la tête qu’un béluga est un marsouin en péril, et qu’un marsouin est un béluga en sursis. Droit devant, immédiats, les marsouins de ma jeunesse. Objets du discours, médiatisés, quasi transformés en créatures chimériques, voici les bélugas.
Drôle combien le langage paraît parfois sceller le sort des bêtes. Le chalet de mes grands-parents était pourvu d’une large galerie orientée vers le nord. Celle-ci était protégée par un toit doté d’une solide charpente. Des hirondelles des granges nichaient sur les gros linteaux de bois équarri qui en soutenaient le rebord extérieur. Au couchant, elles réintégraient leur domicile. Tout le jour, elles nous harcelaient, effectuant des boucles et des piqués juste au-dessus de nos têtes, nous jetant des cris enroués et métalliques, agacées de voir des humains rôder dans les parages de leurs nids. Les lieux leur appartenaient, et le spectacle éblouissant de leur manège aérien faisait partie de l’ordinaire, au même titre que la pelouse bourgeoisement entretenue par l’aïeul ou que les brouillards opaques d’octobre. Et à leur tour, les hirondelles des granges ont décliné. Les prouesses de ces volatiles gracieux, à la gorge d’un rouge vif et au ventre orangé, au manteau d’un noir chatoyant terminé par une élégante queue fourchue, nous ont été ravies. C’est à l’époque qu’on a su qu’il convenait de plutôt les appeler « hirondelles rustiques ». Cette rusticité ne leur aura pas été particulièrement bénéfique.
L’autre perte de ce monde enchanteur fut le quai. Le prolongement de l’autoroute 20 de Montmagny à Rivière-du-Loup, au début des années 1970, avait certes simplifié les déplacements de tous, mais décentré du même coup les voies de communication traditionnelles, signant l’arrêt de mort du transport par cabotage. Comme il n’existait pas de service de traversier entre Rivière-Ouelle et le Charlevoix, la mise au rancart des goélettes rendait inutile l’entretien de la jetée.
Pendant plusieurs années, elle tint bon. Elle était le lieu de rencontre de prédilection des promeneurs du voisinage. On venait parfois des terres pour admirer le panorama unique – et public – auquel il donnait accès. L’été, l’endroit grouillait de monde. Des grappes de badauds accaparaient le centre de la travée, abandonnant aux pêcheurs d’éperlans les abords du parapet de bois ceinturant la construction. On se servait du plat de ces madriers massifs pour trancher les sangsues avant d’appâter. Certains dédaignaient le couteau pour pareil exercice : le sol était de toute façon jonché de capsules à demi oxydées parfaitement capables d’accomplir le boulot. La plupart avaient de simples cannes de bambou dépourvues de moulinet. Il suffisait de laisser dormir sa ligne, dix pieds en contrebas, en prenant soin de ne pas trop plonger les hameçons. L’éperlan ne navigue jamais bien loin de la surface. Si on la lançait plus creux, on risquait d’attraper de la vulgaire loche, grasse, au goût de vase. Plusieurs considéraient cette prise comme un affront. Vorace, le poisson gâchait l’appât en plus d’avaler goulûment l’hameçon. Une fois qu’il était libéré, on lui fracassait la tête contre le parapet et on le rejetait au fleuve. Quand les eaux commençaient à se retirer, marquant la fin de la manne, des centaines de cadavres de loches y flottaient. Et dans les paniers des plus habiles agonisaient trois ou quatre douzaines d’éperlans.
À la marée montante affluaient donc les taquineurs de poisson. Les plus enthousiastes s’y rendaient même la nuit. Munis d’un simple fanal au gaz, ils le suspendaient à un filin, tout près de la surface du fleuve. La ligne plongée dans le halo pouvait devenir l’instrument de captures légendaires, beaucoup plus fructueuses que les pêches diurnes.
Enfant, j’étais fasciné par ce monde. Contrairement aux usages des amateurs de lacs et de rivières, la pêche sur tous les quais du fleuve s’entendait comme un loisir communautaire. On s’y rendait en clan. Mais de vieux loups solitaires y trouvaient aussi une belle occasion de voir des gens.
L’un d’entre eux m’avait d’ailleurs pris sous son aile. J’avais six ou sept ans et, depuis le début de l’été, j’étais résolu à me fondre dans la joyeuse masse des pêcheurs. C’étaient gens bruyants, expansifs, drôles, qui n’hésitaient jamais à s’exclamer pour tout et pour rien, qui lançaient des épigrammes aux voisins de travée, qui n’allaient surtout pas à l’éperlan pour se taire. Sachant que mes parents n’avaient aucune compétence pour m’initier à cette pratique, j’avais insisté auprès de mon grand-père qui, et j’en fus décontenancé, refusa assez sèchement de m’accompagner au quai tout proche. Il m’entraîna plutôt au hangar, où il décrocha une canne de bambou pourvue d’une ligne à trois hameçons ; il me la tendit en m’affirmant que je n’avais plus qu’à tenter ma chance.
Mon grand-père, qu’adoraient avec raison tous les enfants, n’aurait jamais agi méchamment à leur égard. Était-il distrait ou préoccupé ce jour-là ? Ou ignorait-il carrément que l’éperlan ne s’attaquait pas à de simples crochets ? Après tout, il pêchait la truite avec des leurres de plastique. J’avais bien étudié les accessoires que contenait ce coffre dont il ne semblait jamais se servir.
J’avais ainsi passé tout un après-midi à attendre que ça morde.
Autour de moi, les gens n’en finissaient pas d’arracher aux flots des flopées de bestioles frétillantes et argentées. Les lignes, à peine remises à l’eau, se tendaient de nouveau. On en ferrait un, puis un deuxième et un autre, et un autre, et en cinq minutes on en ramenait six à terre. Je me souviens d’avoir éprouvé de l’envie, de la peine et de la honte. Je me sentais terriblement isolé au cœur de toute cette liesse, et mon incompétence devenait d’autant plus cuisante que j’étais le seul à qui le poisson se refusait. Peut-être remuais-je trop. Ou pas assez. Peut-être les bêtes percevaient-elles d’instinct mon inexpérience. Après trois heures sans la moindre touche, j’étais rentré, mon panier vide à la main, convaincu que la force de l’habitude serait garante de mes succès futurs.
Et pétri de cette pensée édifiante, j’étais retourné à la pêche deux ou trois fois pour en revenir invariablement bredouille, jusqu’à ce que ce vieux monsieur dénommé Francœur s’intéresse à mon sort. Installé non loin de moi, il avait bien vu que ma patience n’était aucunement récompensée. Il s’était approché et m’avait demandé avec gentillesse de le laisser examiner mes agrès. Il parlait avec l’accent des gens de mer, de façon posée, comme s’il n’avait rien de plus urgent à faire que d’enseigner la pêche à un petit garçon inconnu. Jamais je ne me suis senti au centre du monde comme en cet instant. Sans ironie, il m’avait expliqué que l’éperlan appréciait les sangsues. Joignant le geste à la parole, il avait soutiré de sa boîte de tabac à rouler une sorte de vigoureux ver brun aux teintes rougeâtres, doté de pinces noires au sommet de la tête. Il l’avait coupé en trois sections qu’il avait enfilées sur mes hameçons, en prenant soin de ne rien laisser pendre de l’ap-pât. « Sinon ils se sauveront avec, avait-il mentionné. Et quand tu sentiras que ça grouille, tire un petit coup. »
Et le miracle s’était produit. Monsieur Francœur m’avait enseigné comment libérer mes prises. Il avait rhabillé les crochets, conscient que la répétition des gestes observés s’imprimerait mieux dans ma mémoire et que viendrait le moment où j’insisterais pour les effectuer à mon tour. Dans un premier temps, j’étais tout à l’excitation de soutirer mes premiers poissons du fleuve. L’homme négligeait sa propre ligne pour s’occuper de la mienne, et elle donnait tant qu’au bout d’une heure il avait commencé à répandre la rumeur que son jeune ami était en voie d’accomplir une « fameuse de pêche ». Des curieux s’étaient approchés. Mon panier à bleuets s’emplissait d’éperlans, certains de belle taille. On me trouvait le talent précoce. Mon mentor ne pipait rien de sa contribution en approuvant les observateurs.
À la marée haute suivante, je bombais le torse en me présentant sur le quai avec ma canne, mon panier et mon pot de sangsues. J’ai souvent revu monsieur Francœur par la suite et nous avons toujours pêché côte à côte : il avait le chic pour flairer les meilleurs emplacements. Le moment du jour, les caprices du courant, la hauteur des marées ou la direction des vents lui permettaient d’exercer un ministère divinatoire jamais démenti.
Mais avec l’extinction rapide des goélettes, le quai, propriété du gouvernement canadien, s’est ensuite dégradé. Les autorités fédérales jugeaient inutile l’entretien d’une infrastructure désormais facultative et accessoire du strict point de vue commercial. Peu à peu, l’eau saline a rongé les parois de fonte de l’ouvrage, y creusant des brèches qui se sont vite agrandies. Le métal s’est lentement distordu. Des plaies béantes en zébraient les surfaces. Les vagues ont emporté et coulé des pans rouillés de son matériau de soutènement et, à la longue, la travée de béton s’est mise à se déformer, puis à s’effondrer par endroits, révélant l’intérieur du ventre du quai et ses pierres de remplissage érodées par le frottement incessant.
On l’a reconstruit il y a quelques années. L’architecture en diffère toutefois, inspirée du principe des brise-lames. La jetée est ainsi déposée sur un impraticable amas de gros rocs irréguliers formant un angle de quarante-cinq degrés avec le fleuve.
Voilà pourquoi on ne pêche plus sur le quai de Rivière-Ouelle.
Qu’ai-je à ressasser pareils souvenirs, banals en somme ? Je cherche à comprendre les raisons qui ont pu me motiver à considérer l’exil comme u...

Table des matières

  1. Page couverture
  2. Les Éditions du Boréal
  3. Faux-titre
  4. Du même auteur
  5. Titre
  6. Crédits
  7. La fin des asticots
  8. Mon voisin
  9. L’industrie, c’est la vie
  10. La littérature, justement
  11. Comment peut-on se perdre en forêt?
  12. Fuir tel un polatouche
  13. L’élagueur élagué
  14. L’après-midi d’une faune
  15. Mon village bien de valeur
  16. Et pourtant, pourtant
  17. Noblesse campagnarde
  18. Road trip spatiotemporel
  19. L’échouerie
  20. Crédits et remerciements
  21. Extrait du catalogue
  22. Fin
  23. Quatrième de couverture