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L’HORMONE DU BONHEUR :
L’OCYTOCINE
De petits gestes peuvent faire de grands miracles. S’ouvrir à l’autre pour le ramener à soi est un grand geste. Et la magie opère : une multitude d’échanges chimiques tel un feu d’artifice conduisant au bien-être. Si nous étions en mesure d’assister à ce spectacle, en temps réel, nous en serions ébahis. Les conséquences sont fascinantes et, chaque jour, nous en découvrons un peu plus sur notre aptitude à agir sur notre état physique et émotionnel.
L’hormone clé de cette transformation a pour nom l’ocytocine (du grec ocy, « qui procure un accouchement rapide »), un nom doux pour cette hormone de l’attachement et de l’amour. Elle est bien connue pour être libérée lors d’un accouchement naturel et lors de l’allaitement. On sait moins qu’elle l’est aussi par des stimuli agréables, comme le contact d’une personne aimée, la méditation, le fait de regarder avec attendrissement des photos de bébés (par l’action de nos neurones miroirs comme nous le verrons plus loin) ou même en prenant un bain de soleil, qui agit comme une caresse. L’ocytocine détermine notre capacité à nous attacher et à aimer, à nous calmer et nous relaxer, à établir et maintenir des liens entre les individus. En lien avec notre capacité de gestion du stress, la diminution de la méfiance et de la peur, son action se fonde sur les renforcements de notre confiance en nous et sur la qualité de nos relations sociales. Qualifiée d’hormone de l’amour et de l’attachement, plus récemment, on l’a qualifiée de l’hormone de la spiritualité.
UN PROCESSUS CHIMIQUE
Historiquement, les scientifiques comprennent très vite sa fonction dans le déclenchement des contractions de l’utérus et la production de lait. Ils saisiront plus tard son rôle prépondérant dans l’attachement émotionnel puis dans l’orgasme. Comme le rappelle David Servan-Schreiber, « c’est parfaitement “logique” du point de vue de l’évolution : allaiter fait mal, oblige à se relever la nuit, c’est donc “normal” que l’évolution ait mis dans le même package ce qui amène le lait dans le sein et ce qui provoque une émotion de dévouement pour son bébé ».
Découverte en 1906 par le chercheur anglais Sir Henry Dale, l’ocytocine est produite dans l’hypothalamus et transite jusqu’à l’hypophyse. Libérée dans le sang, par voie hormonale, elle est captée par les récepteurs neuronaux du cerveau. Les molécules libérées par les neurones interviennent à leur tour dans la communication entre les cellules.
Ainsi, à tous les niveaux, l’ocytocine agit sur de nombreuses fonctions vitales. Une simple prise de sang nous permet d’en connaître son taux.
Déclenchée par un contact physique agréable associé à un climat de confiance (nécessaire à son augmentation), elle est à l’amour et à l’attachement ce que l’adrénaline et le cortisol sont au stress et à l’agressivité. Ces actions, opposées en apparence, ont un objectif commun : nous maintenir en vie. Kerstin Uvnäs Moberg, chercheuse suédoise et professeure de physiologie et de pharmacologie à Stockholm, s’est spécialisée dans l’étude de cette hormone. Tous les mammifères, mâles et femelles, produisent de l’ocytocine, ce qui a permis à l’auteure de réaliser de nombreuses recherches sur les animaux, dont elle tire une bonne partie de ses hypothèses.
La câlinothérapie, par sa production d’ocytocine, contribue aussi à la régulation d’autres hormones, comme la dopamine (qui procure une sensation de bien-être) et la sérotonine (qui supprime la douleur et augmente la bonne humeur). Un bon équilibre hormonal assure un système immunitaire bien régulé et, par voie de conséquence, une bonne santé.
L’ocytocine ne serait rien moins qu’un « nectar de guérison ». La chercheuse explique ses bienfaits et plaide pour les câlins et les massages, le toucher étant la voie royale pour la sécréter. Ainsi, les hormones anti-stress baissent et une catégorie de lymphocytes T augmente, jouant un rôle prépondérant dans notre réponse immunitaire.
Tant du point de vue préventif que curatif, le toucher si particulier du câlin accroît donc les capacités de défense de l’organisme et relance globalement l’ensemble des fonctions du corps. Plus précisément encore, il reconnecte au sentiment de bien-être en reliant l’individu à plusieurs niveaux : à lui-même, à son cerveau émotionnel au sein du système limbique, aux autres et à son environnement. Ainsi, il est prouvé que sa production a des causes physiologiques aussi bien qu’émotionnelles. Le même mécanisme physiologique est à l’œuvre dans l’attachement émotionnel et dans le plaisir sexuel. Les dérives ne se sont pas fait attendre : certains sites internet donnent des conseils pour augmenter nos taux sanguins d’ocytocine afin de préserver notre couple. Un site conseille même à des vendeurs de se vaporiser un peu d’ocytocine le matin pour se donner confiance et vendre mieux !
Pourtant, Valery Grinevich, de l’Institut Max Planck pour la recherche médicale de Heidelberg, doute que l’ocytocine en spray ne trouve son chemin jusqu’au cerveau. Des expériences sur les rats indiquent que l’ocytocine ne fonctionne dans plusieurs régions du cerveau que si elle provient directement des cellules nerveuses environnantes. Les informations déclenchant la production d’ocytocine proviennent d’une multiplicité de sources, via les cinq sens ou via l’activité cérébrale (association d’idées, souvenirs…).
Revenons-en donc à la simplicité et à Gary Chapman qui, dans Les Cinq Langages de l’amour, a mis en évidence cinq « clés » qui influent sur notre production d’ocytocine : les paroles valorisantes, les moments de qualité, les cadeaux, les services rendus et le toucher affectueux.
Elle nous aide à devenir plus réceptifs, à nous-mêmes et aux autres, favorise la guérison et aide les enfants à grandir et à apprendre.
SON ACTION SUR LA MÈRE ET L’ENFANT
La libération de l’ocytocine est activée dès la naissance par le contact avec la mère. De là apparaissent les premiers liens d’attachement. Sans eux, pas de pérennité des espèces. Les animaux ne s’y trompent pas.
Dans les années 60-70, Margaret et Harry Harlow, un couple de psychologues, réalisent des expériences sur les macaques rhésus. Ils souhaitent expérimenter l’affirmation de Freud selon laquelle l’alimentation est première dans les mécanismes de survie. Ne reculant devant rien pour vérifier leur hypothèse, ils mettent au point une expérience dans laquelle de petits singes, privés de leur mère, vont devoir faire un choix cornélien… Ils sont laissés, seuls et apeurés, dans une pièce, face à deux mères de substitution. La première, en fil de fer, est dotée d’un biberon ; la seconde, est recouverte d’un tissu doux et chaud. L’hypothèse la plus probable, à cette époque, est que les petits vont bondir vers celle portant un biberon : l’alimentation par instinct de survie…
Or, c’est tout le contraire qui va se passer : les petits singes, agrippés à la mère chaleureuse, négligent le biberon. Il faut se rendre à l’évidence : il existe bel et bien une pulsion primaire basée sur le contact. Cette expérience sera le point de départ de nombreux travaux sur l’attachement.
À partir de ce moment, le toucher est reconnu comme l’acte le plus fondamental et le plus essentiel pour l’être humain ou l’animal. Il n’est plus un luxe, il est reconnu comme vital.
Jeune maman, j’ai beaucoup pris mes enfants dans mes bras. Je me souviens avec émotion de ces moments de plénitude. Je sentais leur souffle, leur chaleur, leur odeur. Cette proximité était harmonieuse. Dans cette bulle, le monde extérieur n’existait plus ou peut-être en faisions-nous partie davantage encore.
Dans le ressenti émotionnel de ces instants, impossible de se tromper sur le bien qu’on apporte à son enfant, on le sent se détendre, être parfaitement à l’aise dans un échange privilégié. De l’émotion à l’état pur. Le câlin est une forme particulière de toucher, bienveillant et intentionnel. Plus fort qu’un simple toucher. La toile regorge de vidéos de bébés ou d’enfants se câlinant. Elles ont un grand succès, car elles nous touchent au plus profond de notre être, en plein cœur. Mais la rencontre n’est pas toujours idyllique.
Une mère peut se sentir agressée par son nourrisson ; persuadée qu’il fait un caprice, qu’il l’attaque, qu’il ne l’aime pas, il peut la renvoyer à son incapacité, à la mauvaise image qu’elle a d’elle-même. Si, d’un point de vue neurologique, cela est parfaitement impossible, elle ne peut s’empêcher d’y croire et rien ne la rassure. Dans ce cas, la mère n’est plus en mesure de donner à son enfant ce dont il a besoin : avoir suffisamment à manger, suffisamment chaud et être suffisamment dorloté. Fatiguée, angoissée ou mal entourée, elle peut se retrouver dans un état de stress tel qu’elle va éprouver le besoin d’éloigner son enfant pour le protéger. Celui-ci ne recevra pas les caresses lui permettant de libérer l’ocytocine assurant son bien-être.
La relation peut alors entrer dans une spirale négative dont il est difficile de sortir sans aide extérieure.
Pour Cécile Cortet, thérapeute psychocorporelle, « cette phase de construction du lien entre la maman et l’enfant est l’occasion pour la mère de revisiter sa propre histoire, de la renvoyer à son propre enfant intérieur ».
L’arrêt des câlins peut être ressenti, à tout âge, comme un point de rupture, un traumatisme. Le témoignage de France illustre la violence de son interruption : « Petite fille de 10 ans, j’aimais inconditionnellement ma maman. Dès la fin du dîner, à 18 h 45 précises, j’attendais patiemment de m...