Elster
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Passions, raisons et délibération

  1. 128 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Passions, raisons et délibération

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À propos de ce livre

Né en 1940 à Oslo, Jon Elster est professeur au collège de France, après avoir enseigné la science politique aux Etats-Unis. Il a développé une "théorie générale de l'action humaine", qui s'oppose aux visions utilitaristes, centrées sur un individu mû par son seul intérêt, qui sous-tendent par exemple le néo-libéralisme. A rebours de ces représentations réductrices de l'action humaine, il met en évidence l'importance de la demande de justice et d'équité dans la motivation des acteurs sociaux.

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Informations

1

Les fondements
des sciences sociales

Les investigations minutieuses de Jon Elster sur la rationalité et les décisions collectives, de même que sur les institutions et les mécanismes constitutionnels qui en sont des exemples paradigmatiques, ouvrent des pistes de réflexion pour la recherche future. Que l’on s’oppose ou non aux vues d’Elster sur les sciences sociales, il semble aujourd’hui impossible de ne pas en tenir compte sans compromettre sérieusement notre compréhension des phénomènes sociaux, juridiques et politiques contemporains.

Les années de formation

Dans un article paru peu après la publication des Mémoires de Raymond Aron en 19831, Elster raconte ses relations avec celui qui fut son directeur entre 1968 et 1971, probablement les heures les plus fébriles du milieu universitaire français, très divisé sur le plan idéologique. Après avoir été pensionnaire de l’École normale supérieure, et avoir envisagé un temps de travailler avec Louis Althusser, il demande à Aron de diriger ses recherches, suite à une suggestion de Gaston Fessard. Étant donné sa précédente affiliation à l’École normale supérieure et la présence d’Althusser dans cette école, il aurait été logique d’attendre d’un jeune étudiant qu’il écrive une thèse sur Marx selon la grille d’interprétation « althussérienne », qui connaissait ses plus grandes heures de gloire.
Le petit monde parisien des débats universitaires et intellectuels était alors le champ de bataille d’une lutte féroce opposant les partisans de différentes tendances marxistes (maoïstes, trotskistes, etc.) à des anticommunistes comme Annie Kriegel ou Alain Besançon. Or, nous dit Elster, Aron était au-delà de ces clivages idéologiques. Par exemple, Aron fut très proche, sans pour autant partager ses vues, de l’historien et philosophe Kostas Papaïoannou, qui mourut sans avoir eu le temps de terminer une vaste étude sur la pensée de Marx.
Tout en étant un redoutable adversaire des dogmes marxistes et de la gauche radicale, Raymond Aron prenait très au sérieux la pensée de Marx et accueillit donc favorablement le projet d’Elster. C’est dans ce contexte que celui-ci entreprit d’écrire ce qui allait devenir le premier examen « analytique » des thèses de Karl Marx. Un tel travail, qui consistait à analyser scrupuleusement les textes de Marx et à en établir la validité scientifique, a dû attendre sa réécriture en anglais, puis sa traduction en français des années plus tard, avant d’atteindre le monde universitaire francophone, en majeure partie à cause des rapports de force qui ont sclérosé l’interprétation des œuvres de Marx jusqu’il y a peu.
Au moment de défendre sa thèse sur Marx, la recherche sociologique en France sur les questions de rationalité était pour l’essentiel liée aux principes fondamentaux de l’approche wébérienne, comme la défendait notamment Aron. En travaillant sur Marx, Elster en était venu naturellement à s’intéresser aux théories économiques, et de manière plus fondamentale, aux théories de la rationalité. Or, à Paris, l’heure était plutôt au structuralisme ou à l’actualisation des paradigmes durkheimiens. Dans les deux cas, ce qui était rejeté était précisément ce qui était au fondement de la méthodologie wébérienne, soit l’individualisme méthodologique. Or les théories de la rationalité étaient elles-mêmes indissociablement liées à l’idée selon laquelle le meilleur moyen de rendre compte des raisons d’agir propres aux agents est d’identifier leurs intérêts et leurs buts, de comprendre les interactions dans lesquelles ils s’insèrent et de vérifier la cohérence de leurs comportements en fonction des fins qu’ils visent.

Le choix rationnel

Aux États-Unis, à partir des années 1950 et 1960, l’individualisme méthodologique avait commencé à s’imposer en économie, en science politique et en sociologie sous la forme de la théorie du choix rationnel et de la théorie des jeux. Ces nouvelles approches proposaient d’expliquer le comportement social comme résultant d’actions d’individus cherchant à maximiser leur intérêt. Elles bousculaient ainsi certaines pratiques en vigueur dans les sciences sociales, notamment la tendance à expliquer les phénomènes sociaux par le biais de causes existant au niveau de la société elle-même. Par exemple, les chercheurs en sciences sociales avaient l’habitude à l’époque, et encore souvent aujourd’hui, d’expliquer l’existence d’une institution par sa contribution à la « cohésion sociale ».
Dès 1965, l’économiste Mancur Olson offrait une critique soutenue de ce type d’explications dans son livre La Logique de l’action collective2. Olson, s’inscrivant dans le paradigme de la théorie des jeux, montrait que ce n’était pas parce que des individus avaient collectivement intérêt à agir d’une certaine façon qu’ils le feraient. Les individus pouvaient en effet avoir chacun des raisons individuelles de ne pas contribuer au bien collectif. Ils faisaient alors face à ce que les théoriciens des jeux appellent un problème d’action collective, où chacun a des raisons de ne pas contribuer à un bien public dont tous, pourtant, profiteraient.
La thématique de l’action collective a gagné en popularité au cours des années suivantes, notamment avec la parution en 1968 dans la revue Science d’un article où le biologiste Garrett Hardin expliquait comment la tragédie des biens communs pouvait résulter d’un ensemble d’actions individuelles intéressées3. Les éleveurs partageant un pâturage commun n’ont individuellement aucun intérêt à limiter l’utilisation qu’ils en font, alors qu’ils auraient collectivement intérêt à ce que chacun limite son utilisation. L’action rationnelle d’éleveurs intéressés transformera donc le pâturage en champ de boue inutilisable. La « tragédie des biens communs », remarquait Hardin, présente une dynamique inverse à celle de la main invisible, décrite par Adam Smith. La libre interaction d’individus rationnels ne mène plus à un résultat optimal, mais à une situation collectivement destructrice.
Ces travaux ont eu une influence décisive sur la manière dont Elster envisage l’explication en sciences sociales. Les problèmes d’action collective empêchent d’expliquer l’existence d’une institution ou d’une pratique par sa fonction, c’est-à-dire par les bénéfices qu’elle procure à la société ou à un groupe. Or, les explications fonctionnalistes sont omniprésentes chez des penseurs comme Nicos Poulantzas, Michel Foucault et Pierre Bourdieu. On peut penser au fait d’expliquer une pratique ou une institution par le fait qu’elle est « au service du capital » ou de la « bourgeoisie ». Les explications fonctionnalistes sont insatisfaisantes, car elles équivalent à attribuer un dessein à une classe sociale (sinon au système social en entier) en négligeant la logique de l’action collective4.
Elster a toujours reconnu sa dette intellectuelle à l’égard d’auteurs qui, comme, Raymond Boudon, Serge-Christophe Kolm, Thomas Schelling et Paul Veyne5, pour ne nommer que ces derniers, introduisirent dans la recherche historique, politique et économique l’étude des comportements et la formation des préférences des agents.
Au cours de sa thèse, et dans les travaux qui posèrent les jalons de son programme épistémologique, Elster avait pour projet d’expliquer les processus sociaux décrits et pensés par Marx sans avoir recours à une grille d’interprétation où les structures collectives surplombent et dominent la volonté des agents. Il s’agissait pour lui plutôt de comprendre la dialectique des luttes de classes, celle des modes de production, les rapports d’exploitation ou encore les luttes pour la justice et la liberté, bref l’ensemble de ces phénomènes sociaux, en fonction des croyances et des motivations inhérentes aux individus, et de remettre en question l’idée selon laquelle des entités supérieures aux individus gouvernent les actions de ces derniers comme s’ils n’étaient que les marionnettes de forces qui les dépassent.

Une compréhension plus large de la rationalité

Si elle a évolué, l’œuvre d’Elster présente une grande unité d’ensemble, comme on peut le voir lorsqu’on compare ses tout premiers livres et ceux publiés récemment. Dans sa leçon inaugurale au Collège de France, publiée en 20066, Elster présente un exposé clair et succinct de ses principales thèses sur la question de la rationalité des agents. Il y montre les relations d’interdépendance entre les croyances, les désirs, les émotions et les processus intellectuels informant l’agent des conditions propres à ses choix.
Elster situe cependant son propos en opposition aux modèles standards du choix rationnel et de l’économie classique, qui surdéterminent le rôle de la rationalité au point d’en faire la seule modalité pertinente lors de l’explication des comportements des individus. S’il reste proche des modélisations de la rationalité proposées par des économistes comme Thomas Schelling, il y apporte des compléments importants en s’inspirant de la recherche en psychologie expérimentale, et en admettant d’emblée l’importance des biais cognitifs et des processus émotionnels.
Au début de sa leçon inaugurale, Elster compare une approche de la raison qui l’opposerait aux passions, par exemple dans le traité De la colère, de Sénèque, et une autre dont l’expression paradigmatique serait à trouver chez les moralistes du XVIIe siècle, où l’intérêt propre agit comme une instance tierce. La raison étant prisonnière des passions, ces dernières dominent véritablement les comportements lorsqu’ils l’emportent même au-delà des intérêts propres aux individus.
Il existe toutefois une autre tradition intellectuelle, précise Elster, qui refuse de comprendre l’asservissement aux passions comme étant a priori irrationnel. Cette tradition consiste à affirmer la rationalité d’un choix dans la mesure où on peut estimer « suffisantes » les raisons sur lesquelles il s’appuie7. Selon Elster, ces raisons se rapportent à l’ensemble des croyances et désirs de l’agent dans des circonstances données. En ce sens, l’idée même de rationalité ne se réduit plus nécessairement à la relation entre les moyens et les fins propres à l’agent seul. Le problème de l’approche des moralistes ou des méthodes qui pourraient y être associées est qu’elle rapporte exclusivement les motivations des individus à des objectifs intéressés. Or, il est tout à fait possible de penser selon des paramètres rationnels la recherche du bien commun par un individu.
La meilleure stratégie serait alors d’expliquer les comportements en relation aux intérêts des agents ou de manière plus générale, en relation à leurs croyances et désirs – lesquels ne sont pas nécessairement égoïstes – bref, en tentant de mettre en lumière leurs raisons d’agir. Ces raisons ne sont elles-mêmes pas relatives à une raison objective, qui pourrait être valable pour tous, bien qu’on ne puisse cependant pas exclure la raison objective de l’évaluation, par les individus, des options qu’ils doivent départager. Il faut donc éviter à la fois Charybde et Scylla, c’est-à-dire une explication où les raisons propres aux individus excluent toute contribution de paramètres objectifs, ou inversement une croyance naïve aux motivations fondées sur des croyances vraies. Les croyances seront dites rationnelles dans la mesure où elles résulteront de la meilleure information possible, ce qui implique un rapport impartial de l’agent à ses sources d’informations.
En résumé, Elster est à la fois aux antipodes des modèles explicatifs où la raison seule explique les comportements et d’une vision où l’imagination et les constructions sociales contingentes influenceraient les individus sans qu’ils puissent s’en défendre. Nous y reviendrons en discutant la place des émotions et de l’irrationalité dans son travail.

Des moralistes à Tocqueville

Elster accorde une très grande importance aux exemples de raisonnement qu’il tire à la fois de l’Antiquité (par exemple, Ulysse et l’épisode des sirènes dans l’Odyssée) ou des classiques de la littérature, de Montaigne à Mark Twain, en passant par La Bruyère et Stendhal. Il s’inspire également des auteurs classiques de la ...

Table des matières

  1. Couverture
  2. 4e de Couverture
  3. Titre
  4. Copyright
  5. Introduction
  6. 1. Les fondements des sciences sociales
  7. 2. Raisons, émotions et volition
  8. 3. De l’individu au groupe : explication sociale et décision collective
  9. Conclusion
  10. Table
  11. Le bien commun
  12. Titres parus dans la même collection