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eBook - ePub
L'Isoloir des illusions
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Ă propos de ce livre
Tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir 20 ans au bon moment de l'Histoire. Tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir des parents communistes, socialistes ou libĂ©raux. Ă chacun ses diapos de famille. Crise d'ado ou d'Ćdipe, surtout ce fameux jour oĂč chacun devient un adulte, un vrai, dans le secret de l'isoloir. Lors de ce dĂ©pucelage citoyen, la vie n'a pas encore trop esquintĂ© les utopies et les saines colĂšres de jeunesse auxquelles on reste fidĂšle ou pas.
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Sciences socialesSous-sujet
SociologieII
LES ENFANTS DE LA COLĂRE
ET DE LA GUERRE DâALGĂRIE
GUY BEDOS
« Je suis de la gauche couscous »
Quand il pousse ses premiers cris, sa mĂšre se penche sur le berceau : « Tu es tellement laid quâon dirait un petit juif. » « Je reviens de loin », lĂąche Guy Bedos, 80 ans, dont les premiĂšres rĂ©sistances politiques remontent Ă lâenfance.
NĂ© le 15 juin 1934 Ă Alger, dans lâAlgĂ©rie française, dâun pĂšre commis-voyageur parti sans laisser dâadresse, le jeune Guy grandit Ă Souk Ahras, Ă la frontiĂšre algĂ©ro-tunisienne, dans une maison oĂč lâon prĂ©fĂšre la blanquette de veau « et autres daubes bien françaises » au couscous. « MĂȘme les menus Ă©taient racistes. Je nâavais pas le droit de recevoir mes copains algĂ©riens. Mon beau-pĂšre pĂ©tainiste Ă©coutait les collabos de Radio-Paris. Il trouvait beaucoup de charme Ă Hitler quâil considĂ©rait comme un excellent peintre figuratif ! Pour lâemmerder, je mettais sur son transistor Oum Kalsoum, la voix des arabes », sâamuse Bedos, le « rescapĂ© de sa jeunesse. Je suis un rĂ©silient comme dit mon ami Boris Cyrulnik ».
Un jour, un ouvrier algĂ©rien se coupe le doigt dans la scierie de ce beau-pĂšre quâil ne trouve pas beau et dĂ©teste tant. « Ăa pissait le sang partout et ce con lui gueulait dessus en le traitant de sale mĂ©tĂšque. » La scĂšne marque Ă jamais le jeune insoumis. Le beau-pĂšre sâen dĂ©barrasse et lâenvoie en pension Ă Kouba, le village dâAlbert Camus, prĂšs dâAlger. LĂ -bas, le mĂŽme dĂ©couvre enfin un monde sans haine grĂące Ă Finouche, une jeune institutrice algĂ©rienne qui devient sa « maman de tolĂ©rance ». « Câest elle qui a fait de moi un droit-de-lâhommiste. Je nâai aucune carte politique, sauf celle de la ligue des droits de lâHomme. »
En juin 1949, Ă lâĂąge de 15 ans, Guy Bedos, « pris en otage par ses parents », quitte lâAlgĂ©rie. Dans le bateau pour Marseille, son pays nâest pas devant mais derriĂšre lui. « Mes parents sont partis bien avant lâindĂ©pendance. Ils avaient peur de toute cette violence dont ils auraient pu ĂȘtre victimes. Ils lâauraient bien mĂ©ritĂ©. » Sur la CanebiĂšre, sa mĂšre, Guy et ses deux sĆurs jumelles sont des immigrĂ©s comme les autres. AprĂšs avoir vĂ©cu dans une « maison triste de maĂźtre » Ă Rueil-Malmaison, en banlieue parisienne, Guy coupe le cordon ombilical. IndĂ©pendant Ă son tour.
Ă Paris, le jeune homme veut devenir artiste comme lâoncle star de Radio-Alger. Et mĂȘme sâil nâa jamais vu une seule piĂšce de thĂ©Ăątre de sa vie, il est reçu Ă lâĂcole dâArt dramatique de la Rue Blanche en 1952, oĂč il rencontre les copains dâabord, Marielle, Belmondo et Rochefort. Le thĂ©Ăątre de MoliĂšre, Marivaux et Musset lui sert de thĂ©rapie. AprĂšs les mots de lâenfance qui cognent, les mots du rĂ©pertoire qui soignent. Sauf que la guerre dâAlgĂ©rie rattrape le jeune comĂ©dien. Bedos a 20 ans et refuse de faire son service militaire. Câest le premier acte de dĂ©sobĂ©issance politique du dĂ©serteur. IncarcĂ©rĂ© au fort de Vincennes, il entame une grĂšve de la faim. « Je me suis servi de mes petits talents dâacteur et surtout de mon extraordinaire conviction : je ne voulais pas faire cette guerre. Je ne voulais pas ĂȘtre militaire. PlutĂŽt crever que dâaller tirer sur des arabes. MĂȘme si je nâapprouvais pas les exactions du FLN, jâĂ©tais viscĂ©ralement pour lâindĂ©pendance. » Bedos est finalement rĂ©formĂ© pour maladie mentale.
« Lâantiraciste obsessionnel » a placardĂ© sur le mur de son salon, au-dessus du canapĂ© des invitĂ©s, quatre immenses lettres : P-A-I-X.
Si Guy Bedos a fait la paix avec les fantĂŽmes de son enfance, le « mĂ©lancomique » est toujours en colĂšre. En colĂšre contre « lâextrĂȘme droite de la haine, la droite dĂ©complexĂ©e, et ce socialisme qui a oubliĂ© sa gauche ». Pourtant, il y croyait encore Ă cette gauche du PSU (Parti socialiste unifiĂ©) quand il vote Ă la prĂ©sidentielle de 1969 pour Michel Rocard. Le jeune humoriste avait mĂȘme fait le show lors dâune FĂȘte de la rose, Ă lâinvitation du candidat Rocard qui ne passe pas le second tour avec ses 3 % de voix.
1974, « ce fut lâannĂ©e de deux catastrophes » : lâĂ©lection de Giscard et son divorce avec la comĂ©dienne Sophie Daumier, avec qui il partageait la vie comme la scĂšne depuis une dizaine dâannĂ©es. Bedos Ă©crit Je craque, un premier livre « de rage et de chagrin ». « Sophie avait un cĂŽtĂ© madame sans gĂȘne qui me ravissait. Elle Ă©tait politique dans sa façon dâĂȘtre, câĂ©tait une dĂ©sobĂ©issante nĂ©e. Je me souviens dâun dĂźner avec Pompidou quand il Ă©tait Premier ministre. Sophie Ă©tait assise Ă cĂŽtĂ© de lui. Ă la fin de la soirĂ©e, elle lâappelait Georges et passait son temps Ă le mettre en boĂźte. Pompidou Ă©tait enchantĂ©. Sophie, je ne lâoublierai jamais », lĂąche lâacteur au regard Ă©mu. Cette annĂ©e-lĂ , le jeune divorcĂ© monte seul sur scĂšne et inaugure sa revue de presse Ă lâOlympia. Le show-man politique est nĂ©. « Un journal citoyen » pour gueuler ses colĂšres qui sont aussi celles dâun public de gauche malheureux sous Giscard. « Je me suis autorisĂ© Ă faire des allusions Ă la politique. Jusquâalors, je ne mâen sentais ni capable ni lĂ©gitime. Je ne sors pas des grandes Ă©coles. Mon universitĂ© fut la bibliothĂšque. » Câest Simone Signoret, quâil appelle sa grande sĆur, qui devient « sa prof de Sciences-Po. Elle mâa beaucoup appris sur la pĂ©riode du maccarthysme notamment Ă Hollywood. Toutes proportions gardĂ©es, jâai Ă©tĂ© maccarthysĂ© sous Giscard. Mes spectacles Ă©taient censurĂ©s Ă la tĂ©lĂ© comme Ă la radio. AprĂšs un septennat dâinterdiction dâantenne, câest grĂące Ă Anne Sinclair que jâai pu enfin mâexprimer librement Ă une heure de grande Ă©coute dans son Ă©mission 7/7. » Anne Sinclair, encore une grande amie de cet « affamĂ© dâamour et dâamitiĂ© » en quĂȘte dâautres figures fĂ©minines pour effacer cette mĂšre qui lâaimait si mal.
Depuis, le pied-noir a fait sienne la devise dâune autre frangine de cĆur, Françoise Giroud : « En politique, il faut savoir choisir entre deux inconvĂ©nients. »
Entre deux inconvĂ©nients, Bedos vote Mitterrand contre « le diamantaire » Giscard en 1981, comme il vote plus tard Hollande contre « le petit excitĂ© » Sarkozy. « Tous les prĂ©sidents mâont draguĂ© », ironise lâhumoriste pamphlĂ©taire qui se rĂ©clame de « la gauche couscous pas caviar » mĂȘme sâil reconnaĂźt ne pas vivre comme « un ouvrier de chez Renault ». « La vraie gauche populaire nâest pas la gauche de Solferino. Les timiditĂ©s de Hollande comme les excĂšs de MĂ©lenchon ne me satisfont pas. Ma gauche, câest celle des associations des droits de lâHomme, SOS Racisme, Droit au Logement, le rĂ©seau Ăducation sans FrontiĂšre qui dĂ©fend les sans-papiers. »
Et pourtant, de tous ces prĂ©sidents qui lâont draguĂ©, Bedos reste fascinĂ© par Mitterrand. Il compare ses relations Ă celle du renard et du chat. Avec Bedos dans le rĂŽle du chat qui griffe plus quâil ne ronronne. En 1994, le prĂ©sident lui propose la LĂ©gion dâhonneur sur sa rĂ©serve personnelle de croix. Bedos refuse Ă cause de cette amitiĂ© du passĂ© qui ne passe pas avec RenĂ© Bousquet. Dans une lettre adressĂ©e Ă Mitterrand, lâacteur Ă©crit : « âJe suis de ces clowns qui prĂ©fĂšrent le rouge quâon met au nez plutĂŽt que le rouge quâon accroche Ă sa boutonniĂšre.â Il paraĂźt que la formule lui a bien plu. On ne sâest pas revus, puis il est mort. »
Dans son bureau que lâacteur surnomme son cimetiĂšre, il lui arrive de parler aux photos de ses amis dâune autre vie, les copains Desproges et Coluche, Jacques PrĂ©vert qui lui suggĂšre dâĂ©crire, StĂ©phane Hessel, Charlie Chaplin dont Bedos connaĂźt bien les deux filles, sa grande sĆur Simone Signoret et lâĂ©ternelle Sophie Daumier. « Je suis entourĂ© de morts. » Une compagnie qui le rassure. La mort, mĂȘme pas peur.
AprĂšs un demi-siĂšcle de revues de presse Ă boxer sur scĂšne les racismes et intĂ©grismes de tous poils, Bedos doute parfois de lâutilitĂ© du bouffon mais quand « jâentends Marine Le Pen, je suis convaincu du rire de rĂ©sistance ».
RĂ©sistance, le mot prend tout son sens, lĂ -bas, en AlgĂ©rie, chez lui, avant. Quarante ans aprĂšs son dĂ©part en bateau, Bedos revient dans le pays de son enfance en 1988. Ă Alger, Constantine et Souk Ahras, les AlgĂ©riens lâaccueillent comme un enfant de la famille. « Tous me parlent de cette guerre que je nâai pas faite. » Lâenfant du pays porte un regard critique sur le rĂ©gime de Bouteflika. « Ce nâest pas lâindĂ©pendance que jâespĂ©rais pour les AlgĂ©riens. Mais en AlgĂ©rie comme dans tant dâautres pays dâOrient, le peuple nâa le choix quâentre une dictature militaire ou religieuse. Câest la peste ou le cholĂ©ra. Les AlgĂ©riens ne sont pas responsables du rĂ©gime qui leur est imposĂ©. » Lors de son pĂšlerinage, Bedos monte sur scĂšne Ă Alger. DerriĂšre le rideau, lâacteur observe les policiers en civil qui surveillent la salle comble. Ce soir-lĂ , lui qui dâhabitude ne pratique jamais lâautocensure pĂšse et nuance ses mots. « Je nâai fait aucune allusion au rĂ©gime de Bouteflika. Je me suis contentĂ© de parler de la Tunisie plutĂŽt que de lâÂAlgĂ©rie. Non par peur, je suis dans le mektoub, je nâai peur de rien, mais pour prĂ©server et protĂ©ger mon public algĂ©rien. Je ne souhaite pas que des spectateurs qui rient ou mâapplaudissent trop fort aient ensuite des ennuis avec la police. » Un amour contrariĂ© avec lâAlgĂ©rie, la mĂšre patrie, et avec une mĂšre qui finit par lui dire je tâaime sur son lit de mort. Le « mĂ©diterranĂ©en inguĂ©rissable qui fait du drĂŽle avec du triste » se ressource rĂ©guliĂšrement dans sa maison en Corse, son « AlgĂ©rie de rechange ».
Depuis, Bedos a fait ses adieux au show politique Ă lâOlympia par peur du spectacle de trop. Rideau, vraiment ? Bedos, « le suicidaire qui sâattarde », compte bien sâattarder encore un peu pour mettre la plume dans la plaie. Ce nâest quâun au revoir, mon frĂšre, comme on dit lĂ -bas.
CABU
« Avant lâAlgĂ©rie, je pensais
que le monde était moins salaud »
que le monde était moins salaud »
Il se marre comme un sale mĂŽme pris la main dans le sac Ă Carambar. Cabu, qui ne portait pas encore sa fameuse coupe au bol et ses petites lunettes de myope qui croque pourtant le moindre dĂ©tail de ses proies, sâen souvient comme de sa premiĂšre mine de crayon.
Le 8 mars 1959, Jean Cabut, tout juste majeur Ă 21 ans, vote aux Ă©lections municipales de sa petite ville natale de ChĂąlons-sur-Marne. Un double baptĂȘme Ă©lectoral puisquâil rĂ©ussit Ă convaincre sa mĂšre de voter comme lui, pour un candidat socialiste totalement inconnu dans le patelin, en lui faisant jurer de ne rien rĂ©pĂ©ter au paternel. Car dâhabitude, Madame Cabut vote comme Monsieur son mari. Un notable gaulliste, professeur respectĂ© des Arts et MĂ©tiers qui considĂšre les socialistes de la gĂ©nĂ©ration montante comme Michel Rocard et lâambitieux François Mitterrand aux canines pas encore limĂ©es comme de dangereux gauchistes !
Au retour de lâisoloir, la mĂšre de Cabu vend la mĂšche et les murs de la maisonnĂ©e sâen souviennent encore. « Notre pĂšre nous a flanquĂ© une de ces roustes ! », sâamuse le gamin sans Ăąge, comme si le temps de la vieillesse avait sautĂ© une case, la sienne.
NĂ© le 13 janvier 1938, fils aĂźnĂ© dans une famille oĂč lâon ne parle ni politique ni argent ni religion Ă table, bref, rien qui ne fĂąche, le jeune Jean diagnostiquĂ© « cancre sous-douĂ© pour la parole » nâose pas rĂ©pondre au paternel qui ne cesse de lui rĂ©pĂ©ter : « Si dessinateur Ă©tait un vrai mĂ©tier, ça se saurait ! »
Si Cabu Ă©touffe en silence dans son petit milieu bourgeois conformiste, câest Ă cause de lâAlgĂ©rie.
En 1957, deux ans avant le coup de lâisoloir, Cabu nâa pas encore 20 ans mais il est « classĂ© bon pour le service militaire » par le hĂ©ros de son pĂšre : le gĂ©nĂ©ral de Gaulle. Et on ne dit pas non au GĂ©nĂ©ral comme on ne dit pas non au pĂšre. MobilisĂ© comme des milliers dâautres jeunes appelĂ©s du contingent pour « servir la patrie », le fils du professeur rejoint le rĂ©giment des zouaves (ça ne sâinvente pas) Ă Constantine en AlgĂ©rie, alors dĂ©partement français.
Cabu est paumĂ© dans une guerre Ă laquelle il ne comprend rien, dans un uniforme quâil dĂ©teste dĂ©jĂ , avec la trouille au ventre et un fusil dont il ne se servira jamais. « Je nâai jamais tuĂ© personn...
Table des matiĂšres
- Couverture
- 4e de couverture
- Titre
- Copyright
- DĂ©dicace
- Prologue
- I. Les Enfants de la guerre et de lâOccupation
- II. Les Enfants de la colĂšre et de la guerre dâAlgĂ©rie
- III. Dans la famille des gauchesâŠ
- IV. Dans la famille « Jâai eu 20 ans en Mai 68 mais je me soigne »
- V. Dans la famille des droites etdes Ni-Ni
- VI. Dans la famille recomposĂ©e, dĂ©composĂ©e dâaujourdâhui : quel bazar dâhĂ©ritage ?
- Ăpilogue
- Remerciements
- Table des matiĂšres