De l'utilité politique des Roms
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De l'utilité politique des Roms

Une peur populaire transformée en racisme d'État

  1. 160 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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De l'utilité politique des Roms

Une peur populaire transformée en racisme d'État

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À propos de ce livre

Les Roms n'ont jamais été perçus comme des immigrés européens venus tenter leur chance en France. Comment la haine irrationnelle dont ils sont victimes s'est-elle construite historiquement, socialement, culturellement et médiatiquement? Avec beaucoup de justesse, Étienne Liebig – qui travaille depuis longtemps avec les Tsiganes de France – décrypte ce phénomène de rejet.

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Informations

Année
2012
ISBN
9782368472071

Les Tsiganes
et la discrimination

Construction
d’une mythologie

Le racisme n’est ainsi pas uniquement la détestation d’un autre différent de soi ; il se définit par la convergence d’un certain nombre de paramètres qui ont toujours jalonné son histoire. Il est donc intéressant de comprendre, concernant les Tsiganes, pourquoi on peut parler d’un véritable racisme du quotidien, renforcé par un racisme d’État, et d’une discrimination sociale en mouvement.
Nous avons brièvement analysé dans la première partie comment s’était construit un inconscient collectif autour de la personne du colonisé d’abord puis de l’immigré, définissant à la fois une politique et un comportement discriminants. Voyons maintenant quelle est cette mythologie socialement et culturellement construite autour du « Tsigane » dans la littérature, le cinéma, la télé, les écrits scientifiques ou les livres à destination des enfants.

Les Tsiganes dans les arts

Littérature

Les Tsiganes sont présents dans la littérature dès le Moyen Âge. Ils occupent déjà un rôle narratif non négligeable entre mystère et romantisme mais on retient souvent le texte picaresque de Miguel de Cervantès, La Petite Gitane1, paru en 1613 et considéré comme l’entrée officielle des gitans dans le monde littéraire. La Petite Gitane récite mieux que quiconque les vers des poètes en jouant du tambourin et connaît les mille et un secrets de la nature. En Espagne, le gitan est un faiseur de sorts et un enleveur d’enfants. Il est arrivé d’Égypte et naturellement a amené avec lui toute l’histoire de cette civilisation perdue pleine de richesses et de mystères. On prête aux gitanos des pouvoirs insensés et dangereux. Ils suscitent la peur ou la fascination, une double représentation qui fonde une bonne part du mythe. À la même époque, La Fontaine dit éprouver une « horreur » à la vue d’une troupe de danseuses, il les regarde comme de « sacrées friponnes et condamne leurs manières indécentes2 ». Étrange pour un auteur de contes libertins. Dans son Dictionnaire universel paru en 1690, Furetière reprend ce cliché de dépravation sexuelle des gitanes qui séduisent et débauchent les hommes.
Au XVIIIe siècle, dit des Lumières, quel que soit le pays on n’apprécie guère les « Tsiganes » que l’on regroupe dans un grand ensemble surnommé le plus souvent « Bohémiens », à qui l’on attribue les mêmes tares sociales et humaines. Pour l’abbé Prévost, « ces vagabonds ont tous le même caractère et les mêmes usages3 ». Les philosophes, alors attirés par les progrès de leur époque, supportent mal ces survivants du passé rétifs à l’évolution des idées. Voltaire voit en eux des « descendants des prêtres d’Isis circulant en ville en toute impunité en disant la bonne aventure et dansant la danse d’Isis avec leurs castagnettes4 » et B. Cendrars, des descendants d’Atlantes.
Dans la littérature espagnole du XVIIIe siècle, plus orientée vers le théâtre, les gitans sont souvent mis en scène. On imite leurs chants et leurs danses alors que, dans le même temps, on commence à les persécuter. La dichotomie entre « culture gitane » valorisée et gitans rejetés existait déjà.
Sade, comme il en a l’habitude, cherche à décrire le mal pour mieux le fustiger moralement. Dans sa pièce Aline et Valcour5, les Tsiganes adorent le diable, permettent le viol et l’inceste, enlèvent les enfants, se prostituent mais ils ont quand même des qualités de cœur ! Allez comprendre…
Pendant le romantisme allemand du XIXe siècle, Goethe en particulier semble attiré par les Tsiganes qu’il considère comme de parfaits héros dans Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister. Les Bohémiens sont associés à la forêt, aux cours d’eau sauvages, aux animaux des bois. D’autres poètes allemands, comme Lenau, voient en eux de parfaits oisifs, indépendants, totalement libres des contingences matérielles des sédentaires. Très étrangement, ce qui paraissait négatif quelques années plus tôt semble soudain merveilleux aux romantiques épris de liberté. Point de misère chez les Tsiganes mais une vie naturelle, sans superflu. Point de haillons mais des habits simples et élégants, point de délits mais une vie au jour le jour, une vie de poète… En France, Victor Hugo, qui prétend ne pas écrire sans connaître, introduit Esméralda6, jeune gitane de seize ans qui danse, séduit les hommes et fait faire des tours à sa chèvre. Elle est étonnamment honnête et amoureuse pour une Tsigane mais on découvrira plus tard qu’elle est issue « d’une autre race ». Eh oui ! Le sang ne ment pas chez Hugo ! C’est bien connu, les gitans volent les enfants. Hugo reprendra ce thème dans un autre de ses romans, Les Burgraves, où une gitane volera encore un enfant dans un champ.
Carmen de Prosper Mérimée ne vole pas les enfants mais a aussi tendance à séduire les hommes pour leur soutirer quelque monnaie. Décidément, ces gitanes sont incorrigibles ! Alexandre Dumas, lui, continue de voir dans ces Bohémiens « un caractère inouï d’étrangeté et de misère » tandis que Théophile Gautier7 nous ressert la « noiraude moricaude » qui est d’une « laideur piquante » mais réussit à ensorceler les hommes ; fin psychologue, il croit déceler dans le regard triste des gitans « le souvenir d’une patrie absente et d’une grandeur déchue ». Pierre-Jean de Béranger, le grand poète de ces temps, admire la sauvagerie apatride des Bohémiens et chantera leur liberté chérie !
Sans pays, sans prince, sans loi
Notre vie
Doit faire envie
[…] nous naissons
Au bruit des fifres et des chansons
[…]
Nous n’avons donc, exempts d’orgueil
Ni berceau, ni toit, ni cercueil.
Durant la seconde moitié du XIXe siècle, on assiste à la première récupération politique de la figure symbolique du Tsigane en tant qu’opposant au régime, personnage libre, sans terre et donc sans obligations. On se déguise en bohémien pour revendiquer une forme de liberté nouvelle.
Baudelaire, plus descriptif, verra dans les Tsiganes, non des révoltés contre la loi et l’autorité, mais des enfants rendant à la nature ce que la nature leur a donné.
Bien d’autres ouvrages ont fleuri sur les Tsiganes dans cette littérature historique, mais reprenant toujours les mêmes poncifs.
Au XXe siècle, de nombreux ouvrages ainsi que des pièces de théâtre et des poésies de premier plan mettent en scène des Tsiganes, en particulier dans les romans noirs et les polars. Pour la plupart, cependant, ils reprennent les mêmes clichés en les actualisant et l’on peut penser que la mystique « tsigane » littéraire est forgée dans son ensemble dès la fin du XIXe siècle.
Nous aurons intérêt à regarder du côté des récits, des enquêtes, des chansons et du cinéma ce que la fiction a conservé de cette histoire. Le cinéma populaire a souvent mis en scène le personnage du Tsigane et sa répercussion, en terme de nombre de spectateurs, a largement dépassé dans l’opinion publique l’influence du roman.

Jeunesse

Lorsque nous analysons certaines représentations que nous avons des peuples, des coutumes, des traditions et des phénomènes d’organisation sociale, on s’aperçoit que nos premières informations viennent de l’école, de nos parents ou sont tirées d’ouvrages pour enfants. Bien souvent la vie se charge de rectifier cette première connaissance, mais parfois elle persiste et même se renforce avec le temps. Regardons ensemble comment le Tsigane vient à l’enfant…
Les ouvrages mettant en scène des Tsiganes et destinés aux enfants obéissent presque tous au même schéma narratif. Un conte dont on nous dit parfois qu’il est tiré de la tradition des contes tsiganes, ce dont on n’a aucune preuve, débordant de bons sentiments antiracistes mais qui à leur manière véhiculent les clichés dont nous avons déjà parlé dans cet ouvrage.
Dans le joli livre de Bertrand Solet paru aux éditions La Farandole, qui s’appelle Daniel a disparu, des « nomades » s’arrêtent dans un village. Ils sont un peu rom, un peu gitans, beaucoup manouches, ils vivent dans des roulottes et possèdent un singe ; un enfant gadjo disparaît, on accuse les gitans mais, en réalité, le garçon s’est blessé tout seul dans une casse auto et c’est un père « tsigane » qui le sauve… « Ce que nous avons fait est normal, dit le père de Mako. Nous sommes des hommes comme les autres. » Il était bon de le préciser aux petits enfants qui pourraient penser que les gens vivant dans des roulottes en bois avec des singes venaient d’une autre planète.
Dans la collection Rue du Monde, Bisha8 est la petite chèvre bleue qui parlait rrom, avec deux « r », ce qui révèle un parti pris anthropologique issu de la tsiganologie. L’oncle Babik fabrique des chaises, le linge sèche, le grand-père joue du violon, la tante de l’accordéon, le soir à la veillée. Pendant le spectacle, la police vient demander les papiers d’identité à la famille. On les met dehors, ils promettent de revenir au matin. Mais le matin tout le monde a déguerpi et les agents glissent sur les crottes des chèvres. Les gitans hors la loi échappent à la police républicaine en filant en pleine nuit… Il n’y a plus de morale !
La bande dessinée a elle aussi façonné nombre de bambins en leur imposant de belles images d’Épinal.
Frédéri le Gardian, dont la première édition chez Fleurus date de 1954, rencontre une jolie gitane dans une étrange aventure. Tous deux se trouvent un point commun : ils sont chrétiens, ça rapproche. Et lorsque Marka se met à danser, le héros est sous son charme : « Cette race a vraiment la danse dans le sang, flamenco, csardas, les gitanes se plient aux différents rythmes avec un égal bonheur », se dit Frédéri. Dans « les races à rythme », les gitans font donc concurrence aux Noirs.
Comme dans la littérature générale pour enfants, les auteurs de BD mêlent tous les stéréotypes de la gitanie imaginaire : roulottes en bois tirées par les chevaux, violons et guitares, feu de bois et anneaux aux oreilles… Puis ils présentent le nœud de l’intrigue : le Tsigane, qui est évidemment un enfant, est accusé de vol… On découvre à la fin de l’histoire qu’il n’en est pas l’auteur.
Hergé utilise la même stratégie narrative dans Les Bijoux de la Castafiore, où l’on voit dans une très belle case Tintin, pourtant peu sensible aux arts, s’extasier en écoutant la musique des Tsiganes devant le feu, au clair de lune…
Les romans pour ados sont un peu plus fouillés mais reproduisent peu ou prou le même schéma : Jo, la petite gitane qui se lie d’amitié avec les célèbres petits héros du Club des cinq, est à la fois garçon manqué et sauvageonne. En plus, elle est très impolie et parle aux animaux. Un vol est commis ? Ouf, les gitans n’y sont pour rien. Enid Blyton montre qu’une véritable amitié peut naître chez des enfants qui ne sont pas encore influencés par les représentations racistes des adultes. Mais il s’agit de prouver une fois encore que les gitans ne sont pas des voleurs.
Pars sans te retourner de Christine K. Boutin9 n’obéit pas tout à fait au schéma habituel. Le héros est timide, mutique et fragile. Il devient ami avec Manolo le gitan et se fait embêter par tous les copains de sa classe. Il ne sait pas pourquoi, mais il adore les chevaux et veut jouer de la guitare ! Pourquoi ? Parce qu’il se révèle être un gitan ! Ah le sang tsigane ! Il devient alors courageux, ne se laisse plus faire en classe et se met à parler. Logique, quand on est tsigane, on n’a plus peur de rien…

Cinéma

Dans l’excellentissime Charlot musicien10 (1916), le héros rencontre une jeune sauvageonne au regard fou qui préfigure la jeune fille des Lumières de la ville. Elle est tsigane, maltraitée et vit dans une roulotte. Tout y est, la musique, les violons, les vieilles sorcières et les méchants hommes. Les gitans y sont représentés en victimes et en tortionnaires – nous y sommes habitués –, mais aussi en musiciens hors pair… pour changer.
Miarka, la fille à l’ourse date de 1937. Miarka, une gitane montreuse d’ourse, doit se marier avec un homme de sa « race » ; sinon, elle risque la mort ou le bannissement. Malheureusement, elle tombe amoureuse d’un gadjo. Tout est perdu ? Non, car finalement dans les veines de ce gadjo coulait du sang tsigane… Tout est bien qui finit bien et c’est par le sang que passe la tsiganité. Qu’on se le dise.
On peut aussi citer les films de Jacques de Baroncelli : L’Arlésienne, Gitanes et Roi de Camargue (sortis entre 1930 et 1934) et d’Erik Charell : Caravane (1934).
Les fictions sur la dernière guerre, très étrangement, n’abordent jamais la folie nazie contre les Tsiganes. Les célèbres Anneaux d’or (1947), avec la grande Marlène Dietrich, est presque une caricature du genre puisqu’un agent américain se cache parmi les Tsiganes pour échapper à la Gestapo ! Une belle gitane le déguise en « gitan ». Anneaux, vieilles guenilles, peau noircie et rudiment de chiromanc...

Table des matières

  1. Couverture
  2. 4e de couverture
  3. Copyright
  4. Titre
  5. Du même auteur
  6. Citation
  7. Introduction
  8. Petite histoire du racisme et des mécanismes de discrimination
  9. Les Tsiganes et la discrimination
  10. Conclusion
  11. Bibliographie
  12. Remerciement