La construction du contemporain
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La construction du contemporain

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La construction du contemporain

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Être contemporain c'est, au premier chef, être de son temps (ou en avance sur lui) et produire une œuvre qui puisse être reçue parmi celles qui constituent le cœur vivant de la période la plus actuelle. Cet ouvrage se penche sur la question du contemporain, aussi bien du point de vue du discours critique qui le définit que des pratiques littéraires qui s'y rattachent, en prenant pour objet le discours narratif tel qu'il s'est déployé au Québec et en France depuis le tournant des années 1980.Les auteurs rendent d'abord compte des thèmes et des mécanismes de valorisation qui marquent la critique littéraire, puis présentent des œuvres qui exemplifient certaines concrétisations esthétiques et poétiques d'un nouvel art narratif. En se situant au confluent des réflexions françaises et québécoises, ils font dialoguer ces deux corpus et tentent de répondre aux questions suivantes: la notion de contemporain désigne-t-elle un même phénomène en France et au Québec? Recoupe-t-elle la même réalité là-bas et ici? Ces acceptions « nationales » se contaminent-elles, s'influencent-elles? Entre vision panoramique et attention aux particularités des œuvres, cet ouvrage soulève des points de contact et de divergence entre les deux littératures.

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Informations

Deuxième partie

CHAPITRE 6

Des fictions en mal d’autorité

La fiction littéraire contemporaine propose un vaste éventail de modélisations de l’autorité narrative. Qu’il s’agisse de la reconduire ironiquement dans toutes ses outrances, d’en déconstruire les prétentions herméneutiques ou de la neutraliser à même des postures contradictoires, l’autorité se voit remise en cause de diverses manières. Dès lors, pourrait-on voir dans ces problématisations un écho, une reprise, une appropriation, voire une contestation du discours de la perte et du désenchantement qui sature le discours critique, comme si la fiction reprenait à son compte les réflexions sur la précarité du fait littéraire et la perte de prestige de l’écrivain? Entremêlée à l’image de l’auteur en raison de son étymologie – le terme latin auctoritas désignait à l’origine le pouvoir de l’auctor, c’est-à-dire de celui qui se porte garant de l’œuvre –, la notion d’autorité apparaît comme une fonction textuelle redevable à des procédés qui sont susceptibles tout autant de l’instaurer que de la déconstruire et qui induisent, pour reprendre la formulation d’Emmanuel Bouju en ouverture de l’Autorité en littérature, «des formes singulières de fonction-autorité ou d’effet-autorité» (2010: 9)1.
La dimension critique de tels effets d’autorité ressortit sans doute à l’inventivité du genre romanesque et s’inscrit dans la foulée de modulations qui ont déboulonné le personnage, sa psychologie, les règles canoniques de la narrativité, acquiescé à la mort théorique de l’auteur et repensé le rapport au réel. Que le questionnement de l’autorité narrative jaillisse au moment de la «désacralisation» du littéraire pourrait en outre laisser croire que le récit contemporain tente d’inscrire, dans sa facture même – pour la reconduire, la contrer ou l’invalider –, la crise épistémologique de notre temps. C’est du moins la posture que défend Alexandre Gefen, pour qui «la littérature pense à sa manière, et souvent par la mise en crise des conventions narratives, stylistiques ou énonciatives, la crise épistémologique, sociale et politique de l’autorité sociopolitique du monde qui l’entoure» (2010: 151). Sur le plan strictement poétique, on pourrait y lire l’inscription délibérée d’un régime de lecture inhérent à la postmodernité qui récuse toute position surplombante «autoritaire» au profit d’une connivence qui suppose chez le lecteur non pas une adhésion aveugle, mais une relative distanciation, opérant de la sorte un transfert d’autorité. Dans cette perspective, on prêtera attention ici à des fictions qui remettent délibérément en cause les vecteurs majeurs de l’autorité littéraire – l’écrivain, sa fonction, sa langue – en variant les angles de saisie. Sur un mode figural, on s’attardera à diverses représentations de l’auteur ou de l’écrivain; une saisie plus spécifiquement énonciative mettra au jour les narrations problématiques de narrateurs retors, perturbés, indignes de confiance ou à l’origine inassignable; un troisième moment, stylistique, traitera des «manières» du langage littéraire contemporain, qui défend son autorité fragilisée sous les assauts de pratiques discursives moins normées.
Si le statut précaire de la littérature contemporaine semble une caractéristique transnationale, il nous semble pouvoir néanmoins dégager des configurations spécifiques en ce qui concerne le Québec et la France sous l’angle plus attendu du rapport à l’institution ou à la langue, notamment. Cependant, il s’agira moins ici de conclure à un clivage net entre les deux territoires que de donner à voir un ensemble de postures et de stratégies qui traduisent la conscience troublée des romanciers d’aujourd’hui.

«L’écrivain expulsé du paysage»2

La fragilité du statut de l’écrivain, son côté vulnérable, instable, illustré par le biais des figures de l’écrivain négatif à la Enrique Vila-Matas ou d’autres versions marginales (scribe, faussaire, plagiaire), s’élabore dans des fictions construites autour d’auteurs réels ou fictifs. En regard de la sensibilité actuelle, trois types de figurations semblent canaliser les discours des romanciers québécois et français: la mort de l’écrivain scénarisée de façon extrême, les modulations figurales de son rôle et les divers visages de son dépaysement.

Figurations extrêmes

Un livre ne devrait se terminer que par la mort de l’auteur. Voilà une autre de ces conséquences lyriques qui découlent des lois esthétiques d’Aristote. Une catharsis exemplaire. Tuez-moi.
Yergeau, 2010: 261
Certains romans mettant en scène un écrivain fictif affichent une propension à malmener le personnage jusqu’à en programmer la mort. Le caractère radical de l’événement, amplifié par le traitement excessif de sa représentation et de sa mise en discours, apporte un éclairage particulier aux discours de la fin – mort de l’auteur, déclassement de l’écrivain, fin de la littérature – qu’appellent ces fictions. Ainsi en est-il de l’invitation impérieuse à sacrifier l’auteur que lance Pierre Yergeau dans Conséquences lyriques (2010), un roman composite qui relate par bribes les destins parallèles de plusieurs personnages vivant à Los Angeles que le hasard fera parfois se croiser. La composition narrative décousue, la juxtaposition de fragments de récits divers ainsi que l’entremêlement des discours narratif et réflexif concourent à empêcher une lecture fluide du roman. L’incitation à tuer l’auteur citée ci-dessus s’inscrit d’ailleurs dans la longue série de brefs commentaires métadiscursifs dispersés dans le texte et portant sur la fabrication d’une histoire – l’écriture d’une intrigue, la nature des personnages, le rôle de l’auteur. Ces réflexions réduisent l’auteur à être celui qui amorce le récit et qui, après cette impulsion, devient fatalement le prisonnier de son implacable logique: «Une personne met en branle un récit. Après un temps elle ne peut plus s’en séparer. Ce récit trace une équation, une loi qui n’a peut-être ni queue ni tête, mais qui se met à agir avec la force implacable d’un conte de fées» (2010: 77).
L’intrigue fait écho à la requête de tuer l’auteur, et sa mise à mort est intégrée à la trame narrative à travers des morts ou des menaces de mort d’écrivains. Par exemple, un personnage nommé l’Auteur est invité à Los Angeles pour scénariser le roman Lyrical Consequences de Kate Pratt. Il y aura meurtre de la romancière. Elle-même avait inclus dans son roman le récit du meurtre d’un écrivain, ce dernier ressemblant étrangement à l’Auteur, qui se sent lui-même pourchassé et menacé. La porosité entre les univers de niveaux diégétiques différents – puisque les personnages du roman et du «roman dans le roman» de Kate Pratt se côtoient –, les ressemblances et les coïncidences entre les histoires des multiples personnages d’écrivains, la similitude entre les titres du roman de la journaliste-romancière (Lyrical Consequences), du roman du personnage nommé l’Auteur (Conséquences lyriques) et du roman de Yergeau, tous ces éléments induisent la confusion entre les histoires et les personnages, et entre la réalité et la fiction. «Qui est la fiction de qui?, demandera un critique qui interviewe l’Auteur. Est-ce Kate Pratt, qui écrit un roman où l’auteur est poursuivi par une organisation, ou est-ce l’auteur qui écrit sur Kate Pratt, qui est tuée par un de ses personnages?» (2010: 301). Tous ces redoublements étayent l’idée d’une mort déjà édictée et entravent la constitution d’une identité stable que l’on pourrait attribuer à la figure de l’écrivain. Ainsi, dans ce roman où les personnages appuient par l’exemple l’argument mis de l’avant dans les commentaires métadiscursifs, la mise à mort réclamée semble surtout concerner l’auteur en tant qu’instance théorique, façon d’attester l’effacement de son autorité sur la construction d’un récit.
L’injonction de Yergeau se réalise spectaculairement dans la Carte et le Territoire (2010), roman dans lequel Michel Houellebecq, qui a habitué son lectorat à des rapprochements biographiques, met en fiction sa propre mort: l’écrivain a été assassiné dans sa maison, son corps déchiqueté, les lambeaux de chair éparpillés partout sur la moquette du salon, sa tête tranchée posée sur le fauteuil. Le meurtre fait de l’écrivain renommé une victime au corps scandaleusement profané3 et, dès lors, son cas n’intéressera plus que les enquêteurs. On ne peut être plus éloigné du topos des derniers jours voué à la consécration de la figure de l’écrivain et à la perpétuation de sa mémoire! Il en va de même du récit de l’enterrement, autre moment généralement propice à la mise en relief du prestige de la figure d’écrivain: dans ce cas-ci, le seul véritable émoi provient de la malencontreuse décision des employés des pompes funèbres qui ont choisi un cercueil d’enfants pour y déposer les restes du mort; ce n’est que la présence d’hypothétiques lecteurs dans l’assistance qui rappelle que ce mort était un écrivain. Ces scènes, en refusant d’accorder quelque importance symbolique à la figure de l’écrivain dans des moments qui commandent cette reconnaissance, exploitent, sur un mode radical, la désacralisation de la littérature et la perte de prestige de la figure de l’auteur. De plus, avant que soit perpétré le meurtre, d’autres exercices de dévaluation avaient déjà écorché le personnage Houellebecq: campé dans un rôle secondaire, il est présenté sous un jour peu flatteur, en homme reclus, misanthrope et vaguement dépressif, «un vieux décadent fatigué» (2010: 173). Ses propos sur la logique du marché de la consommation engagée dans une quête incessante de nouveaux produits qui, considère-t-il, s’applique aussi à l’artiste, mettent également à l’avant-plan la dévalorisation de l’écrivain, et aussi celle de tout le champ littéraire:
Nous aussi, nous sommes des produits… poursuivit-il, des produits culturels. Nous aussi, nous serons frappés d’obsolescence. Le fonctionnement du dispositif est identique – à ceci près qu’il n’y a pas, en général, d’amélioration technique ou fonctionnelle évidente; seule demeure l’exigence de nouveauté à l’état pur (2010: 172).
Ainsi, ce roman, qui développe une longue méditation sur le processus de dégradation touchant autant la société que l’homme et ses productions, offre-t-il une figure de l’écrivain en perte d’autorité et de prestige: la saisissante scénarisation de sa mort traduit l’intensité et la virulence de la condamnation.
D’autant plus remarquable qu’elle en constitue l’élément central, la mise à mort de l’écrivain dans Veuves au maquillage (2000) de Pierre Senges se déploie quant à elle en un long cérémonial sophistiqué où l’écrivain, aidé de ses six «veuves homicides», procédera au lotissement de son corps, travail de dépouillement, d’épure qu’il pousse à l’extrême: «Faire tomber le superflu à commencer par les marges» (2000: 144) jusqu’à n’être plus que «ce pépin d’une taille si réduite qu’il sera impossible d’en faire deux moitiés» (2000: 146). Mais, ne nous méprenons pas, ce commis aux écritures, faussaire de surcroît (ses activités incluent la contrefaçon de billets de banque comme la production d’un journal intime apocryphe), ne décide pas tant de mourir que de «retirer son corps de ce monde» (2000: 84). Chaque ablation sera ainsi l’objet d’une attention érudite menant à l’exploration de vieux traités d’anatomie, d’écrits de la Chine ancienne, de légendes, d’ouvrages de sciences, de philosophie, d’histoire, faisant correspondre au dépouillement graduel de son corps un luxe de vocabulaire et de récits. En plus de se consacrer à ses activités d’autovivisection, de s’occuper du destin de ses morceaux amputés expédiés en guise de mauvaises farces à divers destinataires, le clerc – comme les veuves le surnomment – consigne par écrit le contenu de ses jours, et c’est ce journal qui est donné en lecture. Lorsque le clerc ne peut plus tenir le crayon, ni dicter ses propos aux veuves ni relire les épreuves, il leur confie le soin de raconter sa fin. Ainsi, même s’il soupçonne ses «veuves bienveillantes» de déformer la réalité à leur avantage et de falsifier les épreuves – lui qui pourtant revendique toujours son titre de faussaire –, il accepte la tromperie:
De même, je les sais capables d’écrire en mon nom et user de mon je aussi bien que moi, de même il m’a été facile parfois d’écrire le clerc et m’exprimer sans orgueil ni honte à la troisième personne pour feindre d’être des leurs; je sais avec quel tact, avant la fin elles me feront parler, moi qui n’aurai de voix que celle du vent dans la poussière et d’existence que résiduelle; elles me feront parler, feront durer jusqu’au bout l’imposture […] (2000: 262-263).
Sous les traits d’une instance désencombrée de son corps, le faussaire impose une figure qui s’interdit tout prestige ou toute autorité rattachés à la personne, qu’il s’agisse de la personnalité médiatique ou de l’individu privé. Cette abdication ne signifie cependant pas la disparition totale de l’écrivain: réduit à l’état de pépin insécable, «bavard par substitution» (2000: 264), l’écrivain-faussaire de Senges est plutôt celui qui réussit à se libérer de son corps jugé encombrant tout en conservant le droit de parole, transformant ainsi le renoncement en un affranchissement. L’imposture dont se réclame le faussaire est celle de la fiction littéraire qui permet à l’auteur de «maquiller» sa voix et d’assumer l’indétermination énonciative comme la multiplication des versions de son récit. Ainsi, par cette fable ironique et faussement cruelle, Senges en arrive à proposer une figure d’auteur qui, refusant de se consacrer à la valorisation du moi, se centrerait plus exclusivement sur la parole littéraire.
Ces représentations d’écrivains pourchassés, assassinés ou se dépouillant de leur corps s’intègrent aisément au contexte ludique de la fiction4. Mais, tant pour l’auteur québécois Yergeau que pour les deux auteurs français, revisiter la mort de l’écrivain permet aussi d’intégrer de façon percutante un point de vue critique. Chez Houellebecq et Senges, la condamnation concerne l’écrivain en tant qu’être réel dans son rapport à sa société et à l’institution littéraire. Chez Yergeau, les enjeux médiatiques et institutionnels de la scène littéraire sont peu débattus, et la mise en accusation cible plutôt l’auteur théorique et sa responsabilité dans l’élaboration d’un récit. Derrière le caractère excessif de ces trois mises à mort fictives, on retrouve chaque fois la critique d’une figure d’autorité, soit celle de l’auteur conceptuel, par la restriction de son rôle dans l’élaboration d’une fiction narrative, celle de l’auteur consacré, par le saccage de l’identité privée, médiatique et symbolique, et, enfin, celle de l’écrivain imbu de son moi, par le renoncement au corps et par l’indétermination de la voix.

Modulations figurales: les changements de rôle

Nombreuses sont les fictions qui proposent des figures de remplacement de l’écrivain: professeurs, traducteurs, biographes et lecteurs appartiennent à la cohorte des avatars contemporains de l’auteur. Faut-il y voir l’expression d’une réticence à en porter le titre? Il est vrai que s’intéresser à l’identité de l’écrivain revient le plus souvent à en soulever le caractère problématique. L’écrivain est, pour reprendre une expression de...

Table des matières

  1. LES AUTEURS
  2. LES COLLABORATEURS
  3. INTRODUCTION
  4. Première partie
  5. Deuxième partie
  6. CONCLUSION
  7. BIBLIOGRAPHIE