Les centres d’éducation des adultes
Un contexte de formation populaire auprès des 16 à 24 ans
La persévérance est la noblesse de l’obstination.
– Adrien DECOUROELLE
Ce n’est pas assez de faire des pas qui oivent un jour conduire au but; chaque pas doit être en lui-même un but en même temps qu’il vous porte en avant.
– GOETHE, Conversatlons,1835
CIBLES
•Comprendre les liens entre l’expérience scolaire au secteur des jeunes et le passage au secteur des adultes.
•Réfléchir sur les profils psychologiques, psychopédagogiques et pédagogiques des jeunes inscrits dans les centres d’éducation des adultes.
•Définir les perspectives disciplinaires empruntées dans le cadre de la recherche ayant mené à cet ouvrage.
•Définir certaines caractéristiques des participants ayant permis la réalisation d’une telle étude.
QUESTIONS CLÉS
•Comment expliquer le passage, sans interruption d’études, du secteur des jeunes à celui des adultes chez les 16 à 18 ans?
•Pourquoi est-il nécessaire de déterminer les caractéristiques des jeunes inscrits au centre d’éducation des adultes?
•De quelle manière les trois perspectives permettent-elles de porter un regard différencié sur les caractéristiques des jeunes au centre d’éducation des adultes?
À titre de formateurs d’adultes, de professionnels des services complémentaires et de directions d’établissement, vous êtes à même de constater la popularité croissante des centres d’éducation des adultes (CÉA) auprès des jeunes de 16 à 24 ans, dont ceux ayant des défis scolaires. En effet, dès 2007, les données statistiques du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) rendent compte d’une proportion importante de passages sans interruption de l’école secondaire vers le CÉA chez les jeunes de moins de 20 ans. Ces passages sans interruption, qui s’élevaient à 1,3% des étudiants inscrits au CÉA en 1984-1985, étaient de l’ordre de 16,4% pour l’année scolaire 2007-2008 (MELS, 2014). Dans la même foulée, le Conseil supérieur de l’éducation (2008) mentionne une hausse de 10% de la fréquentation de l’éducation des adultes entre les années scolaires 1999-2000 et 2005-2006, alors que les moins de 20 ans y représentent près de 44% de la population. Plus récemment, le MELS (2011) réitérait la popularité des CÉA chez les jeunes, alors que la moitié des étudiants qui y gravitent ont moins de 25 ans.
Bien que les CÉA offrent une solution de rechange des plus intéressantes aux difficultés scolaires que rencontrent certains jeunes, leur popularité croissante engendre de l’inquiétude, car elle signifie un parcours scolaire ne répondant pas aux besoins particuliers des jeunes en difficulté scolaire ou comportementale. Il va sans dire que cette popularité accrue des CÉA chez les jeunes de 16 à 24 ans n’est pas le fruit du hasard. En effet, deux éléments explicatifs retiennent l’attention, soit l’expérience plutôt négative à l’école rapportée par ces derniers et la difficulté associée à l’obtention d’un premier diplôme de niveau secondaire chez plusieurs.
1. Le passage de l’école secondaire au CÉA: une expérience scolaire améliorée
Des chercheurs se sont récemment intéressés aux raisons derrière le passage sans interruption d’études entre l’école secondaire et le CÉA chez les jeunes de 16 à 18 ans. Ainsi, les résultats de l’étude de Rousseau, Dumont, Samson et Myre-Bisaillon (2009) révèlent que les jeunes quittent le secteur des jeunes pour celui des adultes parce que la plupart d’entre eux estiment que les CÉA répondent mieux à leurs besoins sur les plans pédagogique et socioaffectif que l’école secondaire. En effet, les participants entretiennent une appréciation négative de l’expérience scolaire au secondaire, notamment en raison de son climat et des relations maître/élève difficiles. Inversement, ces mêmes participants apprécient tout particulièrement les CÉA, notamment pour la qualité de la relation pédagogique et affective qu’ils entretiennent avec leurs enseignants dans ce contexte de formation. Les travaux de Carroz, Maltais et Pouliot (2015) mettent également en évidence une expérience scolaire secondaire difficile chez les 16 à 18 ans (entre autres, des altercations dans les relations maitreélève, le redoublement et le manque de soutien pédagogique), mais une appréciation augmentée du CÉA en raison du soutien pédagogique, des compétences et des attitudes positives des enseignants qui y œuvrent. Une autre étude réalisée par d’Ortun (2009) auprès des jeunes de 16 à 25 ans qui fréquentent un CÉA rapporte à son tour l’appréciation de ces jeunes relativement au soutien pédagogique et socioaffectif manifesté par leurs enseignants.
2. L’obtention d’un premier diplôme de niveau secondaire: un objectif toujours présent
Très conscients des exigences du monde du travail, les jeunes qui optent pour l’éducation des adultes souhaitent, sans surprise, obtenir un premier diplôme de niveau secondaire, que ce soit le diplôme d’études secondaires (DES) ou la réussite de préalables menant éventuellement à l’obtention d’un diplôme d’études professionnelles (DEP) (Rousseau et al., 2010). Plusieurs études démontrent toutefois que les caractéristiques multifactorielles de ces jeunes rendent plus difficile l’obtention d’un DES ou d’un DEP. À ce titre, une proportion importante des 16 à 24 ans de l’éducation des adultes manifesteraient des besoins particuliers diversifiés mettant à risque une première diplomation (d’Ortun, 2009; Marcotte, Fortin et Cloutier, 2010; Rousseau et al., 2009). Ces difficultés peuvent prendre plusieurs formes: des difficultés sur les plans de l’apprentissage ou du comportement; des difficultés motivationnelles; d’autres types d’entraves se rapportant aux relations amicales, familiales; ou encore à la consommation de substances nocives pour la santé.
Intéressées particulièrement par les caractéristiques psychosociales des jeunes de 16 à 24 ans de l’éducation des adultes, Marcotte, Lévesque, Corbin et Villatte (2015) dressent quatre profils de jeunes en fonction de l’histoire traumatique passée et de celle des services reçus, des problèmes de comportements extériorisés actuels, de la détresse psychologique actuelle, de l’estime de soi, du risque suicidaire et de la redéfinition de l’identité sur les plans de l’exploration et de l’engagement dans des rôles ou des valeurs.
Le premier profil, qui regroupe près de la moitié des jeunes participants à l’étude, se caractérise par l’absence de problèmes majeurs dans le domaine psychologique, ce qui suggère un retard scolaire relevant davantage de difficultés sur le plan pédagogique. Le second profil, qui concerne un peu moins du quart des participants, se traduit par l’ouverture et la résilience des jeunes à poursuivre leurs études contre vents et marées. Le troisième profil, qui rassemble un peu plus du dixième des jeunes, est caractérisé par la victimisation et la détresse. Ce profil est particulièrement présent chez les femmes. Le dernier profil, touchant également un peu plus du dixième des jeunes, réunit celles et ceux qui sont en grande détresse et qui démontrent également des problèmes de comportement.
À la lumière de ces profils, Marcotte et al. (2015) concluent «qu’une majorité [de jeunes] fonctionne bien et ne présente pas de difficultés actuelles majeures […]. En revanche, le quart d’entre eux constitue une source d’inquiétude et présente des besoins [psychosociaux] qui nécessitent des interventions adaptées» (p. 18). Cette étude québécoise justifie la nécessité de mieux comprendre les besoins des jeunes afin d’améliorer les conditions d’apprentissage, mais également de leur offrir des moyens concrets pour être plus heureux. C’est ce que nous verrons dans les pistes de solutions découlant de notre recherche.
•Une majorité de jeunes quittent le secteur des jeunes pour celui des adultes à la suite d’une expérience scolaire plutôt négative (climat, relation pédagogique, soutien déficient).
•Les jeunes de la formation générale des adultes (FGA) souhaitent y obtenir un DES ou alors la réussite de préalables menant à l’obtention d’un DEP.
•Une majorité de jeunes apprécient les CÉA, notamment pour les compétences et les attitudes positives des enseignants qui y œuvrent.
•Une majorité de jeunes ayant des besoins diversifiés choisissent de poursuivre leurs études dans un CÉA.
•Un quart des jeunes inscrits dans un CÉA présentent une réalité particulièrement inquiétante si l’on considère la présence de besoins psychosociaux importants nécessitant une intervention adaptée jugée insuffisante dans les établissements scolaires traditionnels.
En raison de l’augmentation de la fréquentation des jeunes de 16 à 24 ans à l’éducation des adultes de même que de la diversité des profils psychologiques et pédagogiques des jeunes qui s’y inscrivent, il nous apparaissait nécessaire de bien circonscrire les besoins mentionnés par les jeunes eux-mêmes afin de les soutenir davantage dans l’atteinte de leur objectif de formation.
3. Un projet de recherche pour mieux comprendre les besoins des jeunes de 16 à 24 ans inscrits à la FGA
Nous soulignons et reconnaissons la persévérance de ces jeunes qui, malgré une expérience de l’école secondaire plutôt négative et des besoins particuliers diversifiés, prennent la décision de poursuivre leur scolarité à l’éducation des adultes, et ce, dans le but d’obtenir un premier diplôme de niveau secondaire. Cela dit, nous sommes également sensibles aux défis qu’engendre leur présence toujours plus grande pour les formateurs d’adultes. Cette double contrainte a largement contribué à l’élaboration du plan de recherche qui permet aujourd’hui la rédaction de pistes d’intervention qui, afin de favoriser une expérience scolaire plus satisfaisante, prennent en compte les besoins pédagogiques, psychopédagogiques et psychologiques de ces jeunes. Toutefois, avant d’en faire la présentation, il apparaît important de dresser les lignes directrices de ce projet de recherche.
3.1. Une question de recherche fondamentale
La principale question de recherche sur laquelle s’appuie la rédaction de cet ouvrage visait à répondre à l’interrogation suivante: Comment pouvons-nous soutenir adéquatement les jeunes au parcours scolaire difficile qui fréquentent la formation générale des adultes si l’on connaît peu ou mal leur profil personnel et la nature de leurs besoins? Nous étions d’avis que de telles connaissances permettraient aux enseignants et aux différents acteurs de l’éducation de bonifier leurs pratiques pour ainsi mieux répondre aux besoins manifestés ...