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Histoire(s) du TDAH
Questions
À partir de quand la société a-t-elle commencé à s’intéresser au TDAH ? Ce trouble ne serait-il pas encore une pure invention de la société moderne ? Comment a-t-on décrit le TDAH tout au long des cinquante dernières années ?
Accélération et ralentissement
Depuis environ une quinzaine d’années, on peut dire que le TDAH fait partie des pathologies de l’enfant les plus reconnues et acceptées, et ceci même en France. En effet, la forte influence de la psychanalyse dans ce pays avait auparavant plutôt eu pour effet d’empêcher la reconnaissance du TDAH, de son diagnostic et – par conséquent – du traitement le plus approprié. Cela n’avait pas du tout été le cas dans les pays anglophones et autres pays européens comme les pays scandinaves ou l’Allemagne. Et le résultat de cette reconnaissance fait que la validité du TDAH, tout comme le fait que l’on peut le diagnostiquer de manière fiable et le traiter efficacement, sont de nos jours presque unanimement acceptés à l’échelle mondiale à quelques exceptions près.
Mais cela veut-il dire pour autant que ce trouble s’est répandu plus rapidement dans notre société actuelle ou qu’il est le fruit de l’évolution de cette dernière ? D’un point de vue scientifique, c’est assez peu probable. Il n’y a pas à l’heure actuelle plus d’enfants et adolescents atteints de ce trouble qu’auparavant. La différence, c’est qu’aujourd’hui, il est bien plus souvent détecté et traité, et ceci de manière efficace. Mais, avec une prévalence de 4 à 5 % dans la population générale, on peut même considérer que le TDAH reste encore souvent sous-diagnostiqué et donc non-traité comme il le devrait.
À la question de savoir s’il est ou non une conséquence directe de l’évolution de nos sociétés, on pourrait répondre toutefois que le TDAH s’inscrit dans un cadre sociohistorique où effectivement les concepts d’accélération et de ralentissement jouent un rôle important.
« À l’origine fut la lenteur ; la lenteur de la société agricole. Ce sont les Hommes qui inventèrent la vitesse ; marchands, militaires, industriels, ingénieurs, informaticiens. »
C’est par cette phrase que débute l’œuvre de l’écrivain allemand Peter Borscheid « Das Tempo-Virus. Eine Kulturgeschichte der Beschleunigung ». Ce livre illustre l’évolution culturelle de la vitesse et de l’accélération par de nombreux exemples. Cette accélération se situerait dans le haut Moyen-Âge et aurait débuté avec le besoin du transport des marchandises et des messages entre les villes, lié au développement du commerce. La vitesse des transports, de la production, et de la consommation n’a ensuite cessé de se développer dans les siècles qui ont suivi. Les jalons importants donnés par l’auteur seraient les suivants :
–L’horloge à mouvement mécanique
–L’accélération de la diffusion de l’information : imprimerie
–L’industrialisation (sidérurgique et textile) : division du travail et utilisation des machines : métier à tisser, machine à vapeur
–L’accélération des moyens de transport : lignes de navigation fluviale, lignes de diligences, voies maritimes
–Le moteur à vapeur : locomotives, bateaux à vapeur
–Les informations électriques : du télégraphe optique au message radio (morse), le téléphone
–L’automobile, la mitrailleuse, le char d’assaut, l’avion
–Le taylorisme : analyse du travail à l’aide du chronomètre
–Le fordisme (chaîne)
–Les boîtes de conserves, les plats préparés que l’on peut passer au four à micro-ondes, les surgelés, les fast-foods
–L’ordinateur, l’internet, le marché mondialisé
–…
Y a-t-il derrière ces évolutions culturelles, une aspiration à compenser la brièveté de nos vies par la vitesse et l’efficacité ? Quoi qu’il en soit, ce processus d’accélération de la vie ne peut mener qu’à l’intériorisation de ce principe d’accélération. La recherche quant à l’« épigénèse » du TDAH (voir chapitre 6 « facteurs génétiques ») n’en est encore qu’à ses balbutiements. Peut-être pourra-t-elle livrer un jour des résultats mettant en évidence une incidence du processus d’accélération de la vie en tant que facteur environnemental sur la génétique ?
Dans une étude de grande envergure qui s’intéresse aux facteurs qui influencent notre rythme de vie, Robert Levine (1999) a examiné les propriétés de différentes cultures et zones géographiques à accélérer ou à ralentir leur rythme de vie et ceci dans plus de 30 pays au niveau mondial. Il s’est intéressé à trois variables : l’observation et la mesure de la vitesse de marche des personnes ; celle de la vitesse au travail ; et l’analyse de la précision des horloges publiques. Pour plus de fiabilité, la mesure a été faite discrètement et les personnes n’ont pas su que ces vitesses étaient mesurées. Les résultats font apparaître les « facteurs de rythme » suivants :
–La prospérité : mieux se porte l’économie, plus le rythme est soutenu.
–Le degré d’industrialisation : plus un pays est développé, moins il y a de temps libre par jour.
–Le lieu de vie : les grandes villes ont un rythme plus soutenu.
–Le climat : les zones plus chaudes ont un rythme moins soutenu.
–Les valeurs culturelles : on se déplace plus rapidement dans les cultures individualistes que dans celles marquées par le collectivisme.
–Différences liées à chaque individu (interindividuelles).
En ce qui concerne les différences interindividuelles, une théorie neuropsychologique majeure considère un déficit de l’inhibition comportementale comme étant la déficience principale dans le TDAH (voir chapitre 6 « facteurs cognitifs et neuropsychologiques »). Et ce manque d’inhibition serait accompagné d’une altération de la perception du temps chez les enfants et adolescents souffrant d’un TDAH. Des expériences sur la perception de la durée et du temps écoulé ont été menées auprès enfants « TDAH » et d’enfants « sains » dès 1977. Les différences entre les temps estimés et les temps réellement écoulés (sur des durées de 7, 15 et 30 secondes) étaient significativement plus élevés dans le groupe d’enfants atteints de TDAH. Ces derniers surestimaient le temps écoulé, avec des résultats très différents dans le groupe des enfants sans TDAH. Une autre étude de 1998 avait mis en évidence par d’autres méthodes et avec des durées de 5 et 15 secondes une sous-estimation importante des temps écoulés, chez les enfants avec un TDAH. Cette sous-estimation confirme la théorie d’une « horloge interne » plus rapide chez ...