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Découverte du phénomène et méthodes d’évaluation
I. Des pionniers de la théorie de l’effet de serre à la COP 21
Les travaux scientifiques sur l’effet de serre remontent à plus de 230 ans. Dès 1787, le naturaliste suisse Horace-Bénédict de Saussure avait identifié ce phénomène par le rôle de la chaleur sur l’air contenu dans des enveloppes transparentes. Au cours du XIXe puis du XXe siècles, de nombreuses études dans diverses disciplines ont prolongé cette recherche. En 1824, le physicien français Joseph Fourier envisagea que l’industrie pourrait avoir un effet sur le climat par le rejet de gaz. En 1837, sur la base d’observations des glaciers alpins, le géologue suisse Louis Agassiz émit l’hypothèse de l’existence d’âges glaciaires.
En 1861, le chimiste irlandais John Tyndall apporta un important élément de confirmation à l’hypothèse de Fourier, en montrant que certains gaz composant l’atmosphère – et notamment le CO2 et la vapeur d’eau – absorbaient les rayonnements infrarouges, ce qui pouvait induire des changements du climat. C’est toutefois surtout au chimiste suédois Svante Arrhenius, futur Prix Nobel de chimie, que l’on doit la première théorie du réchauffement climatique en 1895. Il a en effet démontré que l’augmentation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère risquait d’accroître significativement la température de la planète. Cette histoire mérite qu’on s’y attarde car elle permet de comprendre beaucoup d’aspects des débats contemporains.
Vivant à l’époque de l’essor de la Révolution industrielle, Svante Arrhenius avait constaté les rejets de plus en plus importants de CO2 lié à la combustion du charbon. Il s’était alors demandé ce qui se passerait si la concentration de ce gaz dans l’atmosphère doublait. Dans les années 1890, il s’agissait d’une question essentiellement académique. En effet, même si le monde scientifique savait depuis les années 1860 que le CO2 était un gaz à effet de serre, son rôle pouvait paraître mineur dans la mesure où il représentait seulement 0,028 % (ou 280 ppm / parties par million) de la composition de l’air, contre 78 % d’azote et 21 % d’oxygène.
Que pouvait provoquer un doublement de la proportion de CO2 dans l’air, c’est-à-dire le passage de 0,028 % à 0,056 % ? Bien que ne disposant pas des moyens techniques actuels, Svante Arrhenius s’était lancé dans des calculs complexes prenant en compte un maximum de paramètres et il était parvenu à la conclusion qu’un doublement de la teneur en CO2 pourrait provoquer à l’échelle planétaire un réchauffement de 4,9 à 6 °C. On peut saluer les résultats de ce chercheur car ces valeurs sont en cohérence avec les modélisations du XXIe siècle.
Ses travaux ont fait l’objet d’une conférence à l’Académie suédoise des Sciences en décembre 1895 et ont été publiés en avril 1896 dans une revue scientifique anglo-saxonne : Philosophical Magazine and Journal of Science.
Point intéressant à noter par rapport à ceux qui prétendent que la théorie du réchauffement climatique aurait été « inventée » par des chercheurs voulant susciter la peur, Svante Arrhenius était seulement chimiste. À son époque, la climatologie n’existait pas en tant que science. Arrhenius n’avait pas pris la mesure des risques et avait présenté ses calculs en considérant que l’augmentation du carbone atmosphérique et de la température pourrait avoir des effets favorables sur la croissance végétale et pour l’agriculture. Il ne disposait pas alors des connaissances permettant de comprendre que les changements pourraient avoir des conséquences graves. En outre, étant donné les émissions de CO2 encore limitées au XIXe siècle, il avait calculé que cela devrait prendre 3 000 ans.
Compte tenu de l’accroissement massif des émissions depuis lors, on sait désormais que ce niveau risque d’être atteint d’ici quelques décennies si les sociétés ne sont pas capables de réduire drastiquement leur consommation d’énergies fossiles. À l’époque, l’article de Svante Arrhenius n’avait cependant pas provoqué d’engouement particulier et il est même tombé dans l’oubli.
En 1924, un nouvel élément majeur a été apporté à la réflexion sur les changements climatiques par le géophysicien serbe Milutin Milankovitch. Ce dernier découvrit que la Terre était soumise à des cycles de périodes glaciaires et interglaciaires (« chaudes ») d’environ 100 000 ans qui dépendaient de la combinaison de trois facteurs : l’orbite elliptique de la Terre autour du soleil ; les variations de l’inclinaison de l’axe des pôles ; la précession des équinoxes (figure 1).
Figure 1. Les mécanismes régissant la succession des ères glaciaires
Dans ce contexte, les périodes de glaciation ou de réchauffement du passé étaient essentiellement déterminées par la position de la Terre par rapport au Soleil. Lorsque l’effet combiné des trois paramètres correspondait à un seuil suffisant de rayonnement, la Terre amorçait une phase interglaciaire de 10 000 à 20 000 ans, puis retournait vers une nouvelle ère glaciaire quand le rayonnement se réduisait.
Des pas supplémentaires ont été franchis en 1938 puis en 1956 par l’ingénieur anglais Guy Callendar puis le physicien américain Gilbert Plass qui ont établi et théorisé la relation entre l’accroissement des rejets industriels de CO2 et les premières observations de réchauffement climatique planétaire. En 1957, les Américains ont mis en place des mesures systématiques de la concentration en CO2 de l’atmosphère à l’observatoire Mauna Loa de Hawaï. Cela permit au climatologue américain Charles Keeling de produire en 1961 une première courbe confirmant une progression régulière de la concentration de ce gaz.
Dès 1965, les conseillers scientifiques de la Maison Blanche ont averti le président Lyndon B. Johnson que le réchauffement risquait d’avoir des conséquences graves pour les États-Unis. Afin de disposer de plus de données sur l’évolution de l’atmosphère, des carottages furent effectués par les Américains dans les glaces du Groenland en 1966, puis en Antarctique en 1968 pour analyser les bulles d’air qui y étaient piégées. D’autres équipes se mirent également au travail dans les années 1970 : australiennes, françaises, japonaises, soviétiques… tandis que des prélèvements étaient également effectués dans les sédiments lacustres et marins. Ces recherches ont apporté une confirmation à l’hypothèse de Milankovitch selon laquelle la Terre avait déjà connu plusieurs cycles glaciaires de 100 000 ans.
À cette époque certains experts se mirent même à craindre que la planète ne soit en train d’amorcer une nouvelle ère froide. En effet, les températures terrestres s’avéraient avoir diminué sur les décennies 1940-1970, alors que la concentration en CO2 avait augmenté. Ce phénomène passager trouva en réalité son explication dans l’émission massive d’aérosols pendant les trente années dites « glorieuses » de la croissance qui avait suivi la Deuxième Guerre mondiale (figure 2).
Figure 2. L’évolution de la température moyenne 1860-2018
Les années 1970 étaient aussi celles de la Guerre froide. En 1975, l’académie des Sciences des États-Unis publiait un rapport montrant qu’un conflit nucléaire pourrait provoquer le rejet de suffisamment de particules et de poussières dans l’atmosphère pour faire chuter la température de l’hémisphère nord de plusieurs dizaines de degrés, provoquant un hiver nucléaire aux conséquences dramatiques.
Ce constat mit un terme aux projets de manipulations du climat – qualifiés aujourd’hui de géo-ingénierie – qui commençaient à émerger. En effet, les chercheurs réalisèrent que ces interventions pourraient induire des perturbations chaotiques extrêmement difficiles à contrôler. Cette prise de conscience se traduisit par l’adoption en 1976 à l’ONU de la Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles (Convention ENMOD). Cette convention était limitée aux situations de conflits, mais sa signature montre que les gouvernements avaient compris que des modifications du climat risquaient de se retourner contre ceux qui les auraient utilisées.
Dans ce contexte, le physicien américain Stephen Schneider – fondateur de la revue interdisciplinaire : Climatic Change – déclara en 1975 qu’un réchauffement global important était en cours, ce qu’a confirmé le rapport Charney à l’Académie des Sciences des États-Unis en 1979 réalisé après la première conférence de l’ONU sur le climat en février de la même année, puis l’ensemble des mesures depuis les années 1980. Les controverses n’étaient pas finies pour autant, au contraire. C’est à partir du début des années 1980, notamment après l’élection du Président américain Ronald Reagan, que les lobbys de l’énergie ont commencé à s’inquiéter des conséquences possibles de ces révélations sur leurs activités. Ils ont donc activement œuvré auprès de la Maison Blanche pour que les déclarations des chercheurs soient étouffées, tout en finançant les travaux des chercheurs remettant en question la gravité du phénomène ou l’attribuant à des causes naturelles. En 1982, le physicien américain, Sherwood Idso, publiait un livre intitulé, Le dioxyde de carbone : ami ou ennemi ?, qui reconnaissait l’augmentation de la concentration en CO2 dans l’atmosphère, mais considérait qu’il pourrait s’agir d’un phénomène positif dans la mesure où il accroîtrait la production végétale. L’idée a été reprise en 1988 par le climatologue russe Mikhail Budyko qui a indiqué que le changement climatique favoriserait la croissance de la végétation dans les zones de toundra. Budyko reconnaissait néanmoins que – sur le long terme – le réchauffement risquait d’avoir des effets dangereux.
Ces visions « optimistes » ont été tempérées en 1985, par deux autres dossiers confirmant l’ampleur des conséquences potentielles induites par les perturbations anthropiques. D’une part, le climatologue américain Wallace Broecker a montré que le réchauffement climatique pourrait à terme amener un blocage de la circulation océanique nord-atlantique associée au Gulf Stream, pouvant provoquer une future vague de froid en Europe et en Amérique d...