Avant-propos :
objectif et modalités de l’ouvrage
Le discours et la réflexion philosophiques procèdent fondamentalement de l’exercice de la raison en se déployant sur le mode du raisonnement et, plus précisément, de l’argumentation. Le raisonnement philosophique s’attache ainsi à produire des idées qui, en leur enchaînement toujours spécifique, ont valeur d’arguments au service de l’établissement de thèses c’est-à-dire de prises de position visant à la résolution possible de problèmes.
La réflexion philosophique se caractérise en effet par l’attention qu’elle porte aux problèmes qui touchent tous les aspects de l’existence de l’homme dans le monde et auxquels la conscience commune n’est pas ordinairement attentive ou qu’elle s’abstient d’affronter par confort psychologique.
Ce ne sont donc pas les objets sur lesquels porte la réflexion qui caractérisent pleinement l’intention philosophique et ceci, au moins, pour une triple raison principale.
Tout d’abord, ces objets ne sont pas nécessairement l’apanage de la seule philosophie en pouvant être envisagés par d’autres disciplines, selon des approches et des finalités différentes, notamment en vue d’en produire un savoir. Ainsi en va-t-il de la notion de conscience en psychologie, de l’inconscient en psychanalyse ou bien encore du temps en physique …
Plus encore, mais comme à l’inverse, la philosophie peut prendre elle-même à titre d’objet d’examen ces différentes disciplines et donc leurs objets d’étude eux-mêmes, pour les envisager à sa manière propre, radicale. Elle les interroge dans leurs fondements, leurs conditions de possibilité et de validité comme dans leurs limites éventuelles et leurs enjeux, notamment d’un point de vue épistémologique ou éthique.
Enfin, on peut poser que nul objet de pensée n’est absolument étranger à la préoccupation philosophique, celle-ci se portant sur le tout de l’existence, de l’expérience, du savoir et aussi de l’action individuelle comme collective de l’homme dans le monde.
Ainsi, outre la radicalité de son questionnement attaché à interroger les principes et les fins, c’est plutôt la manière d’envisager et de traiter les objets sur lesquels elle se porte qui vient déterminer le caractère proprement philosophique de la réflexion, en en assurant de la sorte la finalité spécifique, que l’on comprenne celle-ci comme recherche de la vérité ou comme quête de la sagesse, mais, dans tous les cas, par différence entière avec tous les autres types de savoir.
Cette « manière » proprement philosophique d’exercer et de conduire la pensée manifeste, pour l’essentiel, trois caractéristiques qui s’appellent et s’impliquent mutuellement.
La première de ces caractéristiques correspond à une première exigence philosophique : celle de l’analyse définitionnelle des notions envisagées, qu’il s’agisse du désir, de la vérité, du droit ou encore du bonheur… Nul discours philosophique, en effet, qui ne procède de l’exigence d’analyser ces notions en vue d’en produire une définition stricte et ainsi de passer du simple terme, potentiellement équivoque, à une notion rigoureusement identifiée en vue de clarifier les éléments de son propre discours et ainsi de s’assurer une véritable compréhension de ce dont on entend parler et de ce sur quoi on prétend réfléchir. Ce travail d’analyse et de définition apparaît indispensable pour expliciter les fondements de sa propre réflexion, pour clarifier les raisons qui suscitent les prises de position, donc pour fonder en rigueur l’exercice même de la pensée.
La deuxième caractéristique renvoie à une deuxième exigence proprement philosophique : celle de la problématisation. Les notions sont envisagées comme des « champs de problèmes », c’est-à-dire comme le lieu de difficultés tout d’abord inapparentes et qui n’apparaissent précisément que sous la condition et dans le cadre d’un travail d’interrogation active, sachant qu’il n’y a jamais de problème que là où la réflexion rencontre des difficultés dans son propre exercice. Ainsi, par exemple, si une tradition majeure de la philosophie a pu tenir la conscience pour le fondement de toute connaissance authentique, de tout savoir possible conformément à l’étymologie du terme lui-même (cum-scientia), est-il pleinement assuré que le sujet pensant puisse spontanément faire confiance à sa propre conscience et qu’il n’existe pas une illusion propre à la conscience au regard de ses prétentions fondatrices ?
La troisième caractéristique se rapporte quant à elle à une troisième exigence : celle de l’argumentation. La réflexion philosophique s’emploie à traiter et à résoudre de manière argumentative les problèmes qu’elle examine. Toutefois, il n’y a pas, à strictement parler, de démonstration en philosophie ni par conséquent de résolution unique et définitive des problèmes. Il existe seulement des manières diverses de formuler et de tenter de résoudre les problèmes grâce à l’élaboration de thèses divergentes, souvent même opposées mais qui sont et demeurent toutes recevables dans l’exacte mesure où elles s’attachent à produire leur pertinence dans l’élément de l’argumentation. Cela suffit d’ailleurs pour distinguer une thèse philosophique d’un simple avis ou d’une opinion, sans pour autant que l’on puisse tenir cette thèse pour un théorème appuyé sur des preuves. Ainsi, par exemple, une philosophie du concept cohabitera-t-elle avec les philosophies de la conscience qu’elle s’emploie cependant à réfuter !
Parce qu’elle est attachée à l’exercice proprement philosophique de la pensée, cette triple exigence doit être elle-même à l’œuvre dans les différents exercices proposés au baccalauréat, aux examens universitaires ainsi qu’à certains concours. Cela veut dire que l’on attend des exercices de la dissertation et de l’explication de texte proposés aux élèves et aux étudiants qu’ils répondent eux-mêmes à ces exigences. C’est ainsi que la réussite aux épreuves de philosophie suppose bien sûr la disposition et la mobilisation d’une réelle culture générale et philosophique substantielle mais également, conjointement, la maîtrise affirmée de l’esprit, des principes et des exigences propres à ces différents exercices majeurs.
Or, on peut observer que souvent pour des questions de temps mais aussi, parfois, par crainte du caractère supposé formaliste et rébarbatif de tout enseignement de la méthode, cet aspect essentiel de la formation philosophique se trouve négligé. Ce qui suffit pour expliquer que nombre de candidats bien intentionnés et disposant de larges connaissances échouent pourtant ou, du moins, n’obtiennent pas les résultats auxquels ils aspirent.
C’est pourquoi il peut s’avérer précieux sinon tout à fait indispensable pour tous ceux qui commencent en philosophie ou qui cherchent à se perfectionner, en visant à l’occasion l’excellence en la matière, de disposer d’un instrument de travail et de progrès personnel soucieux de faire paraître la singularité entière des démarches requises par les exercices philosophiques, dans la perspective de contribuer à en assurer progressivement une maîtrise optimale.
Cet ouvrage entend précisément répondre à un tel objectif. Il vise à conférer, autant qu’il est possible, rigueur, puissance et par là-même fécondité à l’exercice toujours personnel de la réflexion philosophique. Il aspire à guider celui-ci sans nullement chercher à le conformer ou à s’y substituer. Tout au contraire, il entend le renforcer en s’appliquant à lui donner les moyens de conquérir toujours davantage sa propre autonomie.
À l’appui de cette ambition, cet ouvrage présente un double volet relatif à chacun des deux grands types d’exercice proposés aux élèves et aux étudiants.
Un premier grand volet est de nature méthodologique. Il s’attache à établir et à clarifier les principes et les exigences propres aux exercices philosophiques, de manière dynamique. En cela, il s’efforce de montrer que la méthode, étrangère à tout ensemble de simples recettes, n’a rien d’artificiel et moins encore d’arbitraire. Les principes de méthode ne sont, en effet, rien moins que l’expression même des exigences propres à la réflexion et au discours philosophiques et, tout particulièrement, de la triple exigence qui a été précédemment mise au jour dans le cadre de cette présentation, à savoir analyse définitionnelle, problématisation et argumentation. Et de ce point de vue, cette méthodologie s’efforce tout particulièrement de souligner l’importance majeure de la phase du « travail préparatoire » dans l’élaboration des devoirs. Elle prend notamment le soin de faire paraître la manière dont il convient de se disposer à l’égard des libellés de sujets de dissertation comme vis-à-vis de la singularité des textes proposés à l’explication. C’est là le moyen de concevoir un traitement réellement approprié autant que fécond des sujets ainsi qu’une explication rigoureuse autant qu’éclairante des textes. L’adoption de cette démarche doit permettre ainsi d’éviter les erreurs de stratégie ou seuleme...