Le philosophe et ses avatars dans les cités
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Le philosophe et ses avatars dans les cités

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Le philosophe et ses avatars dans les cités

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À propos de ce livre

Ce livre revient sur le malaise du philosophe dans les cités de l'homme le long des siècles de la tradition occidentale. Dans un premier temps, l'auteur retrace l'expérience platonicienne de la philosophie chez Al-Fârâbî (872-950) et Averroès (1126-1198), au moment de l'apogée de la culture arabo-musulmane, et chez Rousseau, au siècle des Lumières. Politique, loi, éducation constituent autant d'expériences d'un malaise philosophique devant l'ordre de la cité. Ensuite, il reprend la figure du Don Quichotte de Miguel de Cervantès (1547-1616): une figure étrange, avatar de la noblesse d'une âme philosophique à l'aube d'une modernité désenchantrice. C'est aussi l'expérience du jeune héros balzacien des Illusions perdues, Lucien Chardon. Balzac récite la corruption et l'échec d'une nature philosophe, perdue dans le nouvel ordre métropolitain, incompatible avec l'ordre de l'âme. Enfin, l'auteur analyse un jeu de volontés qui s'inscrit au programme de la réalisation philosophique des modernes dans le monde: la volonté de changer le passé, la volonté de chance, la volonté de liberté sans entraves.

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Informations

Le morcellement de l’intellect

Lorsque Lucien quitte Angoulême pour se rendre à Paris, sa topologie sociopolitique du monde français et européen est fondée sur la verticalité de la différence entre deux pôles hiérarchisés, la noblesse légitimiste, qui habite le haut Angoulême, et le peuple, qui habite le bas Angoulême. Un troisième pôle, le quartier de l’Houmeau, celui des riches bourgeois commerçants, est également situé en bas, à la même hauteur que le peuple, mais distinct de lui. À Paris, lorsqu’il se retrouve seul, abandonné par Mme de Bargeton, dans la fameuse scène de l’Opéra où il est démasqué par Eugène de Rastignac qui révèle à tout le monde que Lucien n’est pas un noble de Rubempré mais un roturier Chardon, son monde s’écroule. Il lui faudra accepter son destin afin de découvrir un Paris aux mondes multiples et divers, des mondes qui ne présupposent pas la verticalité du rapport noblesse/peuple, mais qui s’organisent de manière horizontale, se mettant les uns à côté des autres et dont la « hauteur » sociale est déterminée non pas par leur statut, mais par leur puissance effective, politique et financière. Cette organisation sociopolitique de la société du début du dix-neuvième siècle constitue la véritable révolution des consciences qui a eu lieu dans les méandres de la grande ville. Mais est-ce que cela constitue la fin de toute verticalité, de toute distinction, de toute aristocratie ? Il me semble que Balzac recompose la société parisienne en proposant une nouvelle hiérarchie, non pas politique, mais intellectuelle. Cette hiérarchie implique en même temps une nouvelle catégorisation temporelle : ceux qui aspirent à l’éternité, ceux qui s’investissent dans le présent et ceux qui ne vivent que pour l’instant précis et l’intensité de la vie du moment. Plus important encore, il existe des passages entre ces mondes intellectuels, une certaine dynamique qui ne fait qu’accentuer leurs différences fondamentales.
Le Cénacle
Lorsque Lucien se retrouve sans ressources dans la ville la plus chère au monde, il n’a qu’un seul espoir, devenir un fameux écrivain et un poète célébré de tout Paris. Pour cela, il s’adonne au « saint travail » à la bibliothèque Sainte-Geneviève, vivant dans une petite chambre d’hôtel du Quartier latin où tout respire la misère et la consternation, et mange chez Flicoteaux, une véritable « institution » caritative qui offre du pain à volonté pour accompagner les plats qu’elle sert. Cette stratégie est en effet très bonne et pourrait certainement aboutir, puisque Lucien Chardon est un véritable génie poétique. Comme le souligne Walter Benjamin[1], le XIXe siècle est propice aux auteurs prolifiques qui, comme Dumas, Eugène Sue ou Lamartine, publient des romans en série dans les grands journaux et ramassent des fortunes. À ne pas oublier non plus que les grands écrivains et poètes comme Chateaubriand, Hugo, Lamartine ou Constant sont des personnalités politiques ayant beaucoup d’influence sur les choses de la France.
En fait, le jeune poète a un plan qui ne peut échouer : écrire un roman historique à la Walter Scott. Il veut suivre la mode de l’époque ou, mieux, relancer la mode anglaise dans le Grand Paris. La renommée et la fortune sont donc, d’une certaine façon, au rendez-vous. Ce que la société de l’Ancien Régime lui a refusé, la société moderne va le lui rendre : la reconnaissance et l’ascension sociales rapides. Il n’a qu’à survivre à la bohème, ce « stage de la vie artistique », « l’antichambre de la gloire ou de l’Hôtel-Dieu », comme l’écrit Henri Murger. À ce moment de sa vie, il fait la rencontre de Daniel d’Arthez, homme de lettres reconnu et bohémien assidu, ne vivant que pour les lettres et l’étude :
Heureux d’avoir rencontré dans le désert de Paris un cœur où abondaient des sentiments généreux en harmonie avec les siens, le grand homme de province fit ce que font tous les jeunes gens affamés d’affection : il s’attacha comme une maladie chronique à d’Arthez, il alla le chercher pour se rendre à la bibliothèque, il se promena près de lui au Luxembourg par les belles journées, il l’accompagna tous les soirs jusque dans sa pauvre chambre, après avoir dîné près de lui chez Flicoteaux, enfin il se serra contre lui comme un soldat se pressait sur son voisin dans les plaines glacées de la Russie[2] (p. 651).
Tant que Lucien est sous l’influence de d’Arthez, sa cause avance à grands pas. Il devient meilleur écrivain, son roman va effectivement faire bouger la marée littéraire parisienne. Sans parler de son chef-d’œuvre poétique, Les Marguerites, un recueil qui l’élève au rang de représentant de la poésie et de la beauté au Cénacle. La porte d’entrée ne lui est pourtant ouverte que progressivement, et non sans une certaine réticence de la part de ces êtres de génie vis-à-vis du jeune ambitieux et vaniteux qu’il est :
Pendant les premiers jours de sa connaissance avec Daniel, Lucien ne remarqua pas sans chagrin une certaine gêne causée par sa présence dès que les intimes étaient réunis. Les discours de ces êtres supérieurs, dont lui parlait d’Arthez avec un enthousiasme concentré, se tenaient dans les bornes d’une réserve en désaccord avec les témoignages visibles de leur vive amitié. Lucien sortait alors discrètement en ressentant une sorte de peine causée par l’ostracisme dont il était l’objet et par la curiosité qu’excitaient en lui ces personnages inconnus ; car tous s’appelaient par leurs noms de baptême. Tous portaient au front, comme d’Arthez, le sceau d’un génie spécial. Après de secrètes oppositions combattues à son insu par Daniel, Lucien fut enfin jugé digne d’entrer dans ce Cénacle de grands esprits (p. 651).
Ces êtres d’exception, les neuf muses des arts et des sciences réunies en collège secret, forment une société parfaite d’entente et de nobles sentiments. La science et la noblesse d’esprit les portent au-delà des petites différences temporelles, comme les croyances, les idéologies, la religion ou les choix politiques et philosophiques. En un mot, ils sont sans autre intérêt que celui de la vérité et du plaisir intellectuel du dialogue infini.
Ces neuf personnes composaient un Cénacle où l’estime et l’amitié faisaient régner la paix entre les idées et les doctrines les plus opposées. Daniel d’Arthez, gentilhomme picard, tenait pour la Monarchie avec une conviction égale à celle qui faisait tenir Michel Chrestien à son fédéralisme européen. Fulgence Ridal se moquait des doctrines philosophiques de Léon Giraud, qui lui-même prédisait à d’Arthez la fin du Christianisme et de la Famille. Michel Chrestien, qui croyait à la religion du Christ, le divin législateur de l’Égalité, défendait l’immortalité de l’âme contre le scalpel de Bianchon, l’analyste par excellence (p. 654).
Notons tout de même que cela ne signifie pas que le Cénacle n’a pas de préférence « politique », au sens élargi du terme : il partage la Weltanschauung libérale. Si, comme le défend Juan Donoso Cortés, la classe bourgeoise est una clasa discutidora qui vit dans et par la discussion et le dialogisme, force est de constater que le Cénacle de ces « jeunes gens d’élite » est fondé sur la foi bourgeoise en la liberté d’expression :
Tous discutaient sans disputer. Ils n’avaient point de vanité, étant eux-mêmes leur auditoire. Ils se communiquaient leurs travaux, et se consultaient avec l’adorable bonne foi de la jeunesse. S’agissait-il d’une affaire sérieuse ? L’opposant quittait son opinion pour entrer dans les idées de son ami, d’autant plus apte à l’aider qu’il était impartial dans une cause ou dans une œuvre en dehors de ses idées. Presque tous avaient l’esprit doux et tolérant, deux qualités qui prouvaient leur supériorité. L’Envie, cet horrible trésor de nos espérances trompées, de nos talents avortés, de nos succès manqués, de nos prétentions blessées, leur était inconnue. Tous marchaient d’ailleurs dans des voies différentes. […] La familiarité n’excluait pas la conscience que chacun avait de sa valeur, chacun sentait une profonde estime pour son voisin ; enfin, chacun se sentant de force à être à son tour le bienfaiteur ou l’obligé, tout le monde acceptait sans façon. Les conversations pleines de charme et sans fatigue embrassaient les sujets les plus variés. Légers à la manière des flèches, les mots allaient à fond tout en allant vite (p. 654–655).
Pourtant, tout n’est pas parfait dans le royaume bourgeois de nos génies. On dirait qu’ils manquent d’une certaine orientation vers les réalités de la vie sociale, qu’ils sont suspendus au-dessus de la matérialité de la vie, habitant le temps de l’éternité plus qu’ils n’honorent le temps de la genèse et de la corruption. Signe caractéristique de ce cercle d’initiés, la profonde misère matérielle, la pauvreté extrême, évangélique, le désintérêt de la vie terrestre. Ils ne vivent et ne meurent que pour les grandes causes, leur quotidien n’étant qu’un saut permanent au-dessus de l’ordinaire des gens du commun :
La grande misère extérieure et la splendeur des richesses intellectuelles produisaient un singulier contraste. Là, personne ne pensait aux réalités de la vie que pour en tirer d’amicales plaisanteries. Par une journée où le froid se fit prématurément sentir, cinq des amis de d’Arthez arrivèrent ayant eu chacun la même pensée, tous apportaient du bois sous leur manteau, comme dans ces repas champêtres où, chaque invité devant fournir son plat, tout le monde donne un pâté. Tous doués de cette beauté morale qui réagit sur la forme, et qui non moins que les travaux et les veilles, dore les jeunes visages d’une teinte divine, ils offraient ces traits un peu tourmentés que la pureté de la vie et le feu de la pensée régularisent et purifient. Leurs fronts se recommandaient par une ampleur poétique. Leurs yeux vifs et brillants déposaient d’une vie sans souillures. Les souffrances de la misère, quand elles se faisaient sentir étaient si gaiement supportées, épousées avec une telle ardeur par tous qu’elles n’altéraient point la sérénité particulière aux visages des jeunes gens encore exempts de fautes graves qui ne se sont amoindris dans aucune des lâches transactions qu’arrachent la misère mal supportée, l’envie de parvenir sans aucun choix de moyens, et la facile complaisance avec laquelle les gens de lettres accueillent ou pardonnent les trahisons (p. 655–656).
Dans ce cercle, Lucien trouve plus que des frères, il trouve des alliés pour la bataille qu’il va livrer au Tout-Paris, à la reconquête de sa place légitime dans la noblesse. L’esprit de corps prévaut :
Ce qui rend les amitiés indissolubles et double leur charme est un sentiment qui manque à l’amour, la certitude. Ces jeunes gens étaient sûrs d’eux-mêmes : l’ennemi de l’un devenait l’ennemi de tous, ils eussent brisé leurs intérêts les plus urgents pour obéir à la sainte solidarité de leurs cœurs. Incapables tous d’une lâcheté, ils pouvaient opposer un non formidable à toute accusation et se défendre les uns les autres avec sécurité. Également nobles par le cœur et d’égale force dans les choses de sentiment, ils pouvaient tout penser et se tout dire sur le terrain de la science et de l’intelligence ; de là l’innocence de leur commerce, la gaieté de leur parole. Certains de se comprendre, leur esprit divaguait à l’aise ; aussi ne faisaient-ils point de façon entre eux, ils se confiaient leurs peines et leurs joies, ils pensaient et souffraient à plein cœur. […] Leur sévérité pour admettre dans leur sphère un nouvel habitant se conçoit. Ils avaient trop la conscience de leur grandeur et de leur bonheur pour le troubler en y laissant entrer des éléments nouveaux et inconnus (p. 656).
Lucien est alors admis dans ce cercle de gens d’exception partageant avec lui le génie de l’intelligence, la bonté et l’innocence du cœur, la camaraderie et, plus encore, un foyer dans un pays étranger et hostile. Ils lui offrent une base solide pour recommencer, et même réussir sans rien faire de plus que les fréquenter. À leur contact, Lucien devient tout simplement un meilleur homme, pour ne pas dire un homme supérieur :
Dans cette froide mansarde se réalisaient donc les plus beaux rêves du sentiment. Là, des frères tous également forts en différentes régions de la science s’éclairaient mutuellement avec bonne foi, se disant tout, même leurs pensées mauvaises, tous d’une instruction immense et tous éprouvés au creuset de la misère. Une fois admis parmi ces êtres d’élite et pris pour un égal, Lucien y représenta la Poésie et la Beauté. Il y lut des sonnets qui furent admirés. On lui demandait un sonnet, comme il priait Michel Chrestien de lui chanter une chanson. Dans le désert de Paris, Lucien trouva donc une oasis rue des Quatre-Vents (p. 657).
Mais cette oasis n’est pas vraiment ce que cherche Lucien. Cette noblesse d’esprit n’a rien de la noblesse de l’Ancien Régime à laquelle il se sent appartenir. Faire partie de ce cercle d’amis fidèles à la vie et la mort n’est pas pour lui la fin de la quête comme ça l’est pour tous les autres. La verticalité du monde de l’esprit ne lui suffit pas. Il cherche avant tout à revenir au sein du foyer légitimiste, dans les salons de Saint-Germain-des-Prés, à la hauteur du Tout-Paris. L’horizontalité des cercles sociaux, dispersés géographiquement des deux côtés de la Seine, l’invite à une nouvelle aventure. Ayant écopé d’une première défaite contre le monde de l’édition[3], il révise ses options et décide de jouer le jeu avec des moyens plus appropriés, de ne plus se faire avoir comme un pauvre provincial à Paris. Si l’apparence règne en maître absolu dans cette ville monstrueuse, alors il doit quitter le monde de l’être vrai pour celui du paraître. Ses amis du Cénacle ne lui sont pas aussi utiles qu’il le pensait. Sa vanité et son inexpérience, son amour de l’argent et de la vie douce, sa soif de biens matériels et de reconnaissance sociale le conduisent irréductiblement vers un monde où « tout se résolvait par de l’argent ». Si l’édition de son livre peut mettre Paris à ses pieds, il doit faire plier les éditeurs à sa volonté. En dépit des dangers qui le guettent mais qu’il sous-estime, il opte alors pour un autre cercle, un autre « système » que celui, impuissant, du Cénacle : le journalisme.
Animé par la perspective d’une lutte immédiate, l’inexpérimenté jeune homme ne soupçonna point la réalité des malheurs moraux que lui dénonçait le journaliste. Il ne se savait pas placé entre deux voies distinctes, entre deux systèmes représentés par le Cénacle et par le Journalisme, dont l’un était long, honorable, sûr et l’autre semé d’écueils et périlleux, plein de ruisseaux fangeux où devait se crotter sa conscience (p. 683).
Le journalisme
Lucien veut frapper fort, et cela signifie chercher à se faire publier chez l’éditeur des célébrités, Dauriat. Il lui faut alors de nouveaux « amis », c’est-à-dire des pions à utiliser comme le ferait un Machiavel. Contrairement à l’amitié fidèle du Cénacle, Lucien embrasse un nouveau type de rapports humains : « Nous sommes tous amis ou ennemis selon les circonstances » (p. 749), lui confie Hector Merlin. Comme il a toutefois besoin d’une arme ou d’une armée, rien ne saurait arrêter « l’esprit diabolique » en lui, que lui prédit Michel Chrestien (p. 661).
Cet esprit mobile [i.e. Lucien] aperçut dans le Journal une arme à sa portée, il se sentait habile à la manier, il la voulut prendre. Ébloui par les offres de son nouvel ami dont la main frappa la sienne avec un laisser-aller qui lui parut gracieux, pouvait-il savoir que, dans l’armée de la Presse, chacun a besoin d’amis, comme les généraux ont besoin de soldats ! (p. 683–684)
La puissance de cette arme et de cette armée ne lui est pas intrinsèque, comme l’est la force de caractère et d’esprit qui parcourt le Cénacle. Cela tient surtout au fait que le public ne sait pas vraiment ce qu’est le journalisme. Il pense que le journalisme est un honnête service au peuple et à la vérité. C’est justement cette fausse idée qui lui permet de manipuler son public, le naïf lecteur des journaux, et de lui mentir sans vergogne afin de lui extorquer des faveurs et des services. Il ne serait pas exagéré de parler de butin pour cette armée de brigands sans foi ni loi.
Le Journal au lieu d’être un sacerdoce est devenu un moyen pour les partis ; de moyen, il s’est fait commerce ; et comme tous les commerces, il est sans foi ni loi. Tout journal est, comme le dit Blondet, une boutique où l’on vend au public des paroles de la couleur dont il les veut. […] Un journal n’est plus fait pour éclairer, mais pour flatter les opinions. Ainsi, tous les journaux seront, dans un temps donné, lâches, hypocrites, infâmes, menteurs, assassins ; ils tueront les idées, les systèmes, les hommes, et fleuriront par cela même. Ils auront le bénéfice de tous les êtres de raison : le mal sera fait sans que personne en soit coupable. Je serai moi Vignon, vous serez toi Lousteau, toi Blondet, toi Finot, des Aristide, des Platon, des Caton, des hommes de Plutarque ; nous serons tous innocents, nous pourrons nous laver les mains de toute infamie. Napoléon a donné la raison de ce phénomène moral ou immoral, comme il vous plaira, dans un mot sublime que lui ont dicté ses études sur la Convention : Les crimes collectifs n’engagent personne. Le journal peut se permettre la conduite la plus atroce, personne ne s’en croit sali personnellement (p. 737–738).
Et puisqu’aucun mensonge ne peut durer, presque un siècle plus tard – Balzac écrit et publie ce roman entre 1835 et 1843, tandis que l’action du roman se situe entre 1818 et 1820 –, Max W...

Table des matières

  1. Crédits
  2. Préface
  3. Fârâbî ou le paradoxe de l’homme juste
  4. Averroès ou le philosophe devant la loi
  5. Rousseau ou le philosophe et l’éducation démocratique
  6. Introduction
  7. Principes de vie idéale, principes de vie vulgaire
  8. Tragédie et désenchantement de Don Quichotte
  9. Du temps des héros au temps des humains
  10. Éros métropolitain
  11. Le prix de l’esprit
  12. Le morcellement de l’intellect
  13. Virginia Woolf ou la volonté de changer le passé
  14. Bataille ou la volonté de chance
  15. Une vision de la volonté libérale
  16. Bibliographie
  17. Couverture