Discours
eBook - ePub

Discours

  1. French
  2. ePUB (adapté aux mobiles)
  3. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Discours

DĂ©tails du livre
Aperçu du livre
Table des matiĂšres
Citations

À propos de ce livre

«Simone Veil s'est exprimĂ©e Ă  des tribunes, sur des sujets et devant des publics fort diffĂ©rents. Les discours rassemblĂ©s ici ne reprĂ©sentent donc qu'une infime partie de ses interventions publiques: ce sont ceux qu'elle a prononcĂ©s, au cours de ces six derniĂšres annĂ©es, comme prĂ©sidente de la Fondation pour la MĂ©moire de la Shoah.En Ă©crivant ces derniĂšres lignes, je corrige tout de suite: quand notre prĂ©sidente s'exprime sur la Shoah, c'est d'abord et toujours Madame Veil, la survivante d'Auschwitz, mĂ»rie et enrichie par son expĂ©rience politique nationale et internationale, qui parle, du fond du cƓur, de sa mĂ©moire et de sa pensĂ©e.Sans doute il manquera, Ă  la lecture seule de ces discours, son regard, la gravitĂ© de sa parole et le ton particulier de son rĂ©cit qui bouleversent toujours ceux qui l'Ă©coutent.Pourtant, je suis convaincue que ses paroles devenues textes ne perdront rien de leur profondeur et de leur authenticitĂ©.Je ne doute pas que le lecteur saura les entendre, les mĂ©diter et, je l'espĂšre, s'en inspirer.»Anne-Marie RevcolevschiDirectrice gĂ©nĂ©rale de la Fondation pour la MĂ©moire de la Shoah

Foire aux questions

Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramĂštres et de cliquer sur « RĂ©silier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez rĂ©siliĂ© votre abonnement, il restera actif pour le reste de la pĂ©riode pour laquelle vous avez payĂ©. DĂ©couvrez-en plus ici.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptĂ©s aux mobiles peuvent ĂȘtre tĂ©lĂ©chargĂ©s via l’application. La plupart de nos PDF sont Ă©galement disponibles en tĂ©lĂ©chargement et les autres seront tĂ©lĂ©chargeables trĂšs prochainement. DĂ©couvrez-en plus ici.
Les deux abonnements vous donnent un accĂšs complet Ă  la bibliothĂšque et Ă  toutes les fonctionnalitĂ©s de Perlego. Les seules diffĂ©rences sont les tarifs ainsi que la pĂ©riode d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous Ă©conomiserez environ 30 % par rapport Ă  12 mois d’abonnement mensuel.
Nous sommes un service d’abonnement Ă  des ouvrages universitaires en ligne, oĂč vous pouvez accĂ©der Ă  toute une bibliothĂšque pour un prix infĂ©rieur Ă  celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! DĂ©couvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte Ă  haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accĂ©lĂ©rer ou le ralentir. DĂ©couvrez-en plus ici.
Oui, vous pouvez accĂ©der Ă  Discours par Simone Veil en format PDF et/ou ePUB ainsi qu’à d’autres livres populaires dans Histoire et Seconde Guerre mondiale. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages Ă  dĂ©couvrir dans notre catalogue.

Informations

Année
2017
ISBN
9782748192032

ConfĂ©rence sur l’Holocauste Ă  l’universitĂ© de Varsovie

Pologne, 6 avril 2004

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les professeurs,
Mesdames, Messieurs,
Je tiens tout d’abord Ă  vous remercier de m’avoir invitĂ©e Ă  m’exprimer au sein de cette prestigieuse institution et Ă  vous faire part de l’émotion trĂšs particuliĂšre que je ressens chaque fois que je reviens en Pologne. Cette Ă©motion s’explique en premier lieu, et vous le comprendrez, par le souvenir douloureux de mon arrivĂ©e Ă  Auschwitz, le 15 avril 1944, en pleine nuit. DĂ©portĂ©e de Drancy avec ma mĂšre et ma sƓur, je garde toujours prĂ©sent dans ma mĂ©moire le souvenir de la sĂ©lection qui nous a sĂ©parĂ©es de ceux qui n’avaient plus que quelques heures Ă  vivre avant d’ĂȘtre conduits Ă  la chambre Ă  gaz et avant que leurs corps ne soient rĂ©duits en fumĂ©e.
Mais la Pologne, oĂč j’ai eu le plaisir de revenir pour diverses occasions, c’est surtout le pays liĂ© Ă  la France depuis des siĂšcles qui, en dĂ©pit de toutes les vicissitudes de l’histoire, a toujours rĂ©sistĂ© Ă  l’oppresseur quel qu’il soit et qui a, si courageusement, combattu pour reconquĂ©rir sa libertĂ©. C’est ce pays que nous admirons.
Vous m’avez fait l’honneur de m’inviter Ă  partager avec vous certaines analyses et rĂ©flexions personnelles. Je vais donc m’y employer, Ă  la fois avec luciditĂ© et avec gravitĂ©, en abordant quelques sujets dont l’importance, Ă  mes yeux, vient des liens qui s’établissent nĂ©cessairement entre le passĂ©, le prĂ©sent et l’avenir de nos nations.
Permettez-moi, pour commencer, de vous prĂ©ciser combien je me rĂ©jouis que la Pologne rejoigne enfin, comme d’autres pays candidats, l’Union europĂ©enne.
Qui pourrait mettre en doute, en effet, la lĂ©gitimitĂ© de la Pologne Ă  un « retour Ă  l’Europe », elle qui, en aucune façon, n’avait dĂ©sirĂ© se trouver dans l’orbite soviĂ©tique en 1945 ? Elle qui, plus que d’autres pays de l’ancien bloc communiste, fit savoir au monde entier sa protestation contre la soviĂ©tisation dont elle avait Ă©tĂ© l’objet.
Je me souviens encore de tous ces moments qui ont Ă©branlĂ©, via la Pologne, l’emprise soviĂ©tique : l’octobre polonais de 1956, les rĂ©voltes ouvriĂšres de 1970 et 1976, et, bien sĂ»r, l’apparition du premier syndicat indĂ©pendant dans le monde communiste, Solidarnosc. Rarement un syndicat, un mouvement social ont connu dans le monde, et dans mon pays tout particuliĂšrement, un tel Ă©lan de solidaritĂ©, d’émotion, droite et gauche confondues. Comme si la mĂ©moire admirative de la France Ă  l’égard des insurrections polonaises du xixe siĂšcle se rĂ©incarnait un siĂšcle plus tard.
Et j’ai Ă©galement le souvenir de cette table ronde, inaugurĂ©e en fĂ©vrier 1989, au cours de laquelle le pouvoir communiste et l’opposition dĂ©mocratique entamĂšrent des discussions annonciatrices de la chute du systĂšme soviĂ©tique dans toute l’Europe. Le nom de Tadeusz Mazowiecki, premier chef de gouvernement non communiste dans une Europe encore dominĂ©e par la tutelle soviĂ©tique, restera certainement gravĂ© dans l’histoire de l’Europe.
J’ai bien conscience que les premiers pas de la Pologne dĂ©mocratique, une fois passĂ© l’euphorie initiale, n’ont pas toujours Ă©tĂ© faciles ; il a fallu, en effet, Ă  l’ancienne opposition, apprendre Ă  gouverner, Ă  gĂ©rer des budgets, Ă  convaincre la population de consentir aux sacrifices qu’exigeaient l’adaptation Ă  l’économie de marchĂ© et les normes fixĂ©es par Bruxelles.
C’est pourquoi je tiens encore Ă  dire combien je trouve mal venues les rĂ©ticences qui se sont manifestĂ©es vis-Ă -vis de l’élargissement europĂ©en. Pendant des dĂ©cennies il fut de bon ton de vous manifester notre sympathie, de pleurer sur votre destin cruel, de dĂ©plorer le systĂšme auquel vous Ă©tiez soumis et votre asservissement Ă  l’hĂ©gĂ©monisme soviĂ©tique, dont nos pays avaient, au demeurant, plus ou moins assumĂ© la responsabilitĂ© par le jeu des accords signĂ©s avec l’Union soviĂ©tique. Nous vous sommes donc redevables.
Non seulement nous devons vous accueillir, mais nous devons le faire sans arriĂšre-pensĂ©e, conscients que cet Ă©largissement est un dĂ» vis-Ă -vis de vous et un enrichissement pour nous. Nous devons aussi le faire avec comprĂ©hension, en sachant aussi combien, eu Ă©gard au passĂ© et Ă  d’éventuelles menaces, des garanties en matiĂšre de sĂ©curitĂ© sont pour vous prioritaires. N’ayant que trop tardĂ© Ă  mettre en place une dĂ©fense europĂ©enne crĂ©dible, nous n’avons pas lieu de nous Ă©tonner que vous l’ayez (alors) recherchĂ©e ailleurs.
***
C’est Ă  un retour sur le passĂ© que je vous invite maintenant, pour comprendre comment au lendemain de la Seconde Guerre mondiale les ennemis de la veille se sont rĂ©conciliĂ©s et unis.
Rien ne peut ĂȘtre compris aujourd’hui ni construit demain, si nous ne remontons pas Ă  notre histoire, Ă  un passĂ© qui fut aussi le vĂŽtre pendant des siĂšcles, avant que le rideau de fer nous sĂ©pare.
Permettez-moi donc d’évoquer d’abord le sort douloureux de la Pologne, les partages qui lui furent imposĂ©s par ses voisins et les souffrances infligĂ©es Ă  son peuple, que la France, en dĂ©pit de son amitiĂ©, n’a pas Ă©tĂ© en mesure de vous Ă©viter. La Seconde Guerre mondiale, qui fut la plus meurtriĂšre et la plus barbare pour tous, le fut encore davantage pour vous. Tout cela pour qu’au lendemain de la guerre, en dĂ©pit de votre rĂ©sistance Ă  l’occupant, vous soyez livrĂ©s aux SoviĂ©tiques.
Par ses millions de morts et ses destructions massives, la Pologne a payĂ© Ă  l’histoire du xxe siĂšcle un tribut effrayant.
Durant le mĂȘme mois de septembre 1939, elle fut envahie non seulement par l’armĂ©e allemande, mais aussi par l’ArmĂ©e rouge, puisqu’un nouveau partage de la Pologne avait Ă©tĂ© cyniquement dĂ©cidĂ© par Hitler et Staline.
Ce fut donc alors une politique de terreur immĂ©diate que l’occupant nazi appliqua en exterminant les Ă©lites polonaises : instituteurs, professeurs, prĂȘtres, scientifiques, hommes politiques, enfin. Quant aux Ă©lites militaires, c’est le NKVD qui s’en chargea de son cĂŽtĂ©, assassinant les quelque 14 552 officiers polonais prisonniers Ă  Katyn, Ostaszkow et Starobielsk, un crime dont on ne voulut longtemps rien savoir en Occident, prĂ©fĂ©rant y voir la main de Hitler.
Le sentiment de menace pour sa survie, le peuple polonais le connut trĂšs vite, en raison des exĂ©cutions publiques dans les villes, et des exĂ©cutions de masse, notamment Ă  Palmiry, prĂšs de Varsovie, ou dans les forĂȘts de Cracovie. Il connut aussi, d’emblĂ©e, une politique de germanisation puis de dĂ©portation vers des camps de concentration ou les travaux forcĂ©s, en Allemagne.
Au camp du Stutthof, arrivĂ©s de la rĂ©gion de Gdansk et de Bialystok, les Polonais ont reprĂ©sentĂ©, jusqu’en 1942, 90 % des dĂ©portĂ©s. À Dachau, la moitiĂ© des 2 000 ecclĂ©siastiques polonais trouvĂšrent la mort, et Ă  Sachsenhausen, 20 000 Polonais furent assassinĂ©s. À RavensbrĂŒck, 30 % des dĂ©portĂ©es Ă©taient des Polonaises dont nombreuses furent victimes d’expĂ©rimentations mĂ©dicales. Enfin, Auschwitz fut d’abord un camp de concentration pour des Polonais, dont la plupart appartenaient Ă  l’intelligentsia. Selon les derniĂšres estimations des historiens, il semble que le nombre des Polonais s’y soit Ă©levĂ© Ă  quelque 140 000 ou 150 000 dĂ©portĂ©s.
Nous ne saurions par ailleurs oublier la rĂ©sistance du peuple Ă  l’invasion puis Ă  l’occupation allemande. Avec la naissance de l’Armia Krajowa, c’est le bras armĂ© d’un vĂ©ritable État clandestin qui s’est mis en place, organisant la rĂ©sistance, les rĂ©seaux d’aide aux groupes de partisans, exĂ©cutant les traĂźtres et aussi les szmalcowniks, cette pĂšgre qui faisait chanter les Juifs Ă  la sortie des ghettos. La RĂ©sistance polonaise a ainsi perpĂ©tuĂ© cette culture, assez unique en Europe, de l’insoumission. Cette insoumission qui s’est exprimĂ©e par l’insurrection de Varsovie en aoĂ»t 1944, laquelle fit prĂšs de 200 000 morts et fut suivie par la dĂ©portation de 13 000 hommes, femmes et enfants au camp d’Auschwitz. L’ArmĂ©e rouge, loin d’intervenir pour combattre les Allemands, attendait sur la rive droite de la Vistule que Varsovie fĂ»t totalement dĂ©truite et le massacre de la population achevĂ©.
Mais comment ne pas rappeler aussi l’insurrection qui la prĂ©cĂ©da, en avril 1943, cette rĂ©volte du ghetto de Varsovie, dont quelques dizaines seulement de combattants survĂ©curent et purent rejoindre les partisans. Tous les autres, ceux qui n’étaient pas morts dans les combats du ghetto, furent dĂ©portĂ©s Ă  Auschwitz, Lublin ou Majdanek. De 1940 Ă  1945, ce sont ainsi plus de trois millions de Juifs polonais qui ont Ă©tĂ© assassinĂ©s de sang-froid, massacrĂ©s, fusillĂ©s, gazĂ©s dans des camions avant de l’ĂȘtre dans les chambres Ă  gaz. Ils sont morts aussi dans les ghettos et les camps, de faim, de froid, d’épuisement et d’épidĂ©mies.
Nous ne pouvons l’oublier. Nous n’avons pas le droit de les oublier. Ne serait-ce que pour en tirer les leçons.
Permettez-moi de parler maintenant du rĂŽle des tĂ©moins. Durant des annĂ©es, la mĂ©moire et l’enseignement de la Shoah ont Ă©tĂ© largement assumĂ©s par les survivants, alors que la Shoah ne devait avoir ni tĂ©moins ni histoire. Le projet nazi consistait, en effet, Ă  effacer un peuple de l’histoire et de la mĂ©moire du monde. Tout Ă©tait conçu, pensĂ©, organisĂ© pour ne laisser aucune trace. Nous ne devions pas survivre. La machine de mort nazie devait faire disparaĂźtre non seulement les Juifs et les Tsiganes en tant que peuples, mais jusqu’aux preuves de notre mise Ă  mort. L’existence des chambres Ă  gaz Ă©tait, vous le savez, gardĂ©e comme un secret d’État.
La fin de la guerre est arrivĂ©e trop vite pour laisser aux SS le temps de nous exterminer jusqu’au dernier et d’effacer leurs crimes. Mais notre retour fut douloureux. Nous avions perdu nos familles, des ĂȘtres proches, des amis. À notre retour, nous nous sommes heurtĂ©s Ă  l’incrĂ©dulitĂ© des uns, voire Ă  l’indiffĂ©rence des autres. Quant Ă  nos proches, la souffrance qu’ils Ă©prouvaient Ă  nous Ă©couter les amenait, consciemment ou non, Ă  nous empĂȘcher de parler. Personne ne comprenait ce que nous avions vĂ©cu. Nous avions le sentiment de gĂȘner, en Ă©voquant l’enfer qui avait Ă©tĂ© le nĂŽtre. Nous revenions d’un autre monde, celui oĂč tout sentiment humain Ă©tait banni, oĂč on avait cherchĂ© Ă  faire de nous des bĂȘtes, c’est cela que l’on ne pouvait ni entendre, ni mĂȘme imaginer.
Il a fallu des annĂ©es pour que, dans nos pays respectifs, selon les circonstances, on accepte de nous Ă©couter. Il a fallu des annĂ©es, mĂȘme en IsraĂ«l, pour que l’on puisse en parler. Il a fallu le procĂšs Eichmann, quelques historiens aux États-Unis, pour que les tĂ©moins soient Ă©coutĂ©s et mĂȘme sollicitĂ©s. Il a fallu surtout qu’une nouvelle gĂ©nĂ©ration, exempte de complexes, cherche Ă  en savoir davantage.
En revanche, dans les pays d’Europe centrale et de l’Est, l’occultation communiste ne s’est dissipĂ©e que rĂ©cemment. L’attribution du prix Nobel de littĂ©rature 2002 Ă  Imre KertĂ©sz, l’auteur d’Être sans destin, devrait favoriser cette Ă©volution. Aujourd’hui, l’ùre des tĂ©moins s’achĂšve. BientĂŽt s’éteindra complĂštement notre gĂ©nĂ©ration, qui ne devait pas survivre. Le temps viendra aussi oĂč ceux qui nous ont interrogĂ©s de vive voix disparaĂźtront Ă  leur tour. Nos tĂ©moignages, nos rĂ©cits seront alors les seuls dĂ©positaires de nos mĂ©moires.
DĂšs lors, c’est Ă  l’historien qu’appartiendra la responsabilitĂ© de faire la lumiĂšre sur les Ă©vĂ©nements dont certains aspects sont encore Ă  analyser.
D’ores et dĂ©jĂ , les historiens ont beaucoup progressĂ©. Le grand public lui-mĂȘme est informĂ©. Les ouvrages d’histoire, les manuels scolaires, les nombreux rĂ©cits des survivants, les documentaires, les colloques universitaires, les musĂ©es qui se crĂ©ent dans tous les pays, les expositions, certaines Ɠuvres cinĂ©mato-graphiques exceptionnelles comme Shoah de Claude Lanzmann, et, plus rĂ©cemment, Le Pianiste de Roman Polanski, abordent les persĂ©cutions antisĂ©mites et l’extermination des Juifs, sans complaisance et dans un souci extrĂȘme de vĂ©racitĂ© ; ils approfondissent la comprĂ©hension de cette monstruositĂ© unique dans l’histoire de l’HumanitĂ© : la mise Ă  mort programmĂ©e, Ă  l’échelle industrielle, de tout un peuple, hommes, femmes et enfants sans distinction. Certains films de fiction, parfois plus contestables, ont cependant le mĂ©rite d’atteindre le grand public.
Aujourd’hui, le monde sait que cela fut et comment cela fut. On pourrait donc avoir l’impression que l’on sait tout de cette pĂ©riode tragique. Mais tout a-t-il Ă©tĂ© dit ? Toutes les archives ont-elles Ă©tĂ© dĂ©pouillĂ©es ? Toutes les questions ont-elles Ă©tĂ© posĂ©es et toutes les rĂ©ponses donnĂ©es ? Certainement pas.
Avec l’effondrement du communisme soviĂ©tique et la redĂ©couverte de leur passĂ© par les pays d’Europe centrale et de l’Est, de nouvelles voies se sont ouvertes aux historiens. Des archives nouvelles ont Ă©tĂ© mises au jour qui concernent la Shoah dans son ensemble, notamment le fonctionnement des camps de la mort en Pologne occupĂ©e et leur libĂ©ration par l’ArmĂ©e rouge.
Ces archives rendues publiques renseignent aussi sur les histoires nationales. Plus de 90 % des Juifs de Pologne, des pays Baltes, d’Ukraine et de BiĂ©lorussie ayant Ă©tĂ© assassinĂ©s dans les ghettos et les chambres Ă  gaz, ou encore massacrĂ©s Ă  ciel ouvert par les sections spĂ©ciales, les rares survivants n’ont pas Ă©tĂ© en mesure de lutter contre l’oubli que les rĂ©gimes communistes ont progressivement imposĂ©.
Faute de pouvoir accĂ©der aux archives officielles, les historiens de ces pays n’ont pas pu travailler dans des conditions satisfaisantes. Aussi l’ampleur des spoliations, l’application des lois anti-juives, la constitution des ghettos, le calendrier des dĂ©portations, les tueries improvisĂ©es ou planifiĂ©es, mais aussi les rĂ©sistances locales et les rĂ©seaux de sauvetage sont-ils moins bien connus en Europe de l’Est et en Russie qu’en Europe occidentale. Les chercheurs et les jeunes gĂ©nĂ©rations de ces pays commencent seulement Ă  percevoir la rĂ©alitĂ© et l’ampleur de la Shoah, et Ă  s’y intĂ©resser. À ce titre, je voudrais saluer le travail accompli par l’Institut de la mĂ©moire nationale dirigĂ© par le professeur Leon Kieres. Je sais le courage, la luciditĂ© et la persĂ©vĂ©rance qu’il faut pour mener une telle tĂąche. Je sais Ă  quel point il est difficile, plus de soixante ans aprĂšs les Ă©vĂ©nements, de procĂ©der Ă  des recherches historiques, Ă  un travail pĂ©dagogique et Ă  des enquĂȘtes criminelles. A fortiori, il est d’autant plus difficile de les mener de front. Depuis juin 2000, le professeur Kieres dirige ce travail pour que la vĂ©ritĂ© soit faite, non seulement sur les crimes commis du temps du nazisme mais Ă©galement sur ceux commis sous la pĂ©riode communiste.
MĂȘme dans mon pays, l’intĂ©rĂȘt s’est en prioritĂ© portĂ© jusqu’ici sur ce qui Ă©tait le plus apparent, le plus immĂ©diat : les faits eux-mĂȘmes, les faits concrets, les faits bruts et simples, la volontĂ© d’humilier et d’avilir, l’organisation, la planification, les mĂ©thodes utilisĂ©es pour assassiner. Mais les faits en eux-mĂȘmes n’ont guĂšre de signification si l’on doit ignorer l’idĂ©ologie raciste qui a entraĂźnĂ© le gĂ©nocide, les soutiens de tous ordres qu’elle a trouvĂ©s, ses sources et ses porte-parole partout en Europe. Bien des voies sont encore Ă  explorer avant de comprendre comment, au xxe siĂšcle, dans une nation de philosophes, de musiciens et de poĂštes, la « solution finale » a pu, non seulement germer, mais ĂȘtre mise en Ɠuvre avec autant d’efficacitĂ©, avec la complicitĂ© et dans le silence de tant de pays europĂ©ens !
Il n’y a sans doute pas de rĂ©ponse Ă  la question « pourquoi Auschwitz ? » Aucune raison ne peut expliquer l’extermination de six millions de personnes, femmes, hommes, bĂ©bĂ©s, simplement parce qu’ils Ă©taient nĂ©s juifs. Mais il faut essayer de savoir comment et pourquoi on en est arrivĂ© lĂ . Pourquoi les nazis et leurs complices ont-ils fait preuve d’un antisĂ©mitisme aussi fanatique, aussi inhumain, aussi impitoyable, sans Ă©pargner ni les femmes, ni les enfants, ni les personnes ĂągĂ©es ? Dans l’histoire de la Shoah, il nous faut faire le lien entre un discours et des pratiques criminelles.
Pourquoi, mais aussi comment ? La Shoah Ă©tait-elle inĂ©luctable ? Y eut-il une place pour l’improvisation ou fut-elle planifiĂ©e de bout en bout comme la confĂ©rence de Wannsee tenue Ă  Berlin en janvier 1942 le confirme ?
Est-elle due Ă  la folie et Ă  la haine nazies ou bien doit-on remonter plus loin pour la comprendre ?
L’histoire de la Shoah, comme tout Ă©vĂ©nement qui a marquĂ© la vie des peuples, s’inscrit dans le long terme. Le dĂ©bat historique contemporain doit donc la replacer dans une vision d’ensemble, qui prenne en considĂ©ration les faits, mais aussi leurs causes, aussi lointaines soient-elles.
La premiĂšre cause, naturellement, est l’antisĂ©-mitisme traditionnel. Dans l’AntiquitĂ©, les Juifs rencontrĂšrent l’hostilitĂ© des paĂŻens en raison de leur monothĂ©isme ; quant aux chrĂ©tiens, ils ne pardonnaient pas aux Juifs de refuser le message du Christ et de rester fidĂšles au judaĂŻsme.
Aux persĂ©cutions du Moyen Âge s’ajoutĂšrent ensuite des fantasmagories qui accusaient les Juifs de meurtres rituels, de profanations sacrilĂšges, d’empoisonnement des puits. Pourtant, Ă  la fin du siĂšcle des LumiĂšres, un espoir naquit : la philosophie des droits de l’homme, incarnĂ©e par la RĂ©volution française, devait, en effet, conduire progressivement Ă  l’émancipation des Juifs ; et c’est ainsi que les Juifs de France purent acquĂ©rir la citoyennetĂ© française.
NĂ©anmoins, ce mouvement n’empĂȘcha pas l’antisĂ©mitisme de prospĂ©rer. Il se dĂ©veloppa en Russie et en Pologne, oĂč les Juifs Ă©taient nombreux, et en France, oĂč, peu nombreux, ils se croyaient pourtant pleinement intĂ©grĂ©s. La rĂ©habilitation de Dreyfus aprĂšs un long procĂšs a cependant laissĂ© des traces indĂ©lĂ©biles. Comme dit l’historien Philippe Burrin : « En Allemagne, l’affaire Dreyfus n’aurait pas eu lieu, mais un Juif n’aurait pas pu accĂ©der Ă  l’état-major. »
En Allemagne, donc, il a fallu divers facteurs pour que l’antisĂ©mitisme ...

Table des matiĂšres

  1. Crédits
  2. Table des matiĂšres
  3. Biographie de Mme Simone Veil
  4. Préface
  5. TroisiÚme conférence internationale sur l'éducation de la Shoah
  6. Inauguration de la place des Justes
  7. Quel enseignement de la Shoah au XXIe siĂšcle ?
  8. Inauguration de l'exposition consacrée aux enfants cachés
  9. Signature du projet de microfilmage des archives du Commissariat général aux questions juives du gouvernement de Vichy
  10. Conclusion de la table ronde en hommage au Dr Joseph Weill
  11. Séance de clÎture de la réunion pléniÚre du Groupe d'action international pour la mémoire de la Shoah (GAIS)
  12. Réflexions sur la mémoire
  13. Inauguration de l'exposition "Paroles d'Ă©toiles"
  14. Inauguration du Centre d'étude de l'Holocauste et du génocide de l'université d'Amsterdam
  15. RĂ©ception offerte par le prĂ©sident de l'État d'IsraĂ«l, Monsieur MoshĂ© Katzav, lors des cĂ©rĂ©monies du jubilĂ© de l'Institut Yad Vashem
  16. Allocution devant le Bundestag Commémoration de la libération d'Auschwitz
  17. Message pour l'exposition organisée à l'occasion du 60e anniversaire de la mort de Max Jacob (1876-1944)
  18. Cérémonie de remises de médailles de Justes parmi les nations
  19. Conférence sur l'Holocauste à l'université de Varsovie
  20. Séance d'ouverture de la Conférence internationale sur l'Holocauste en Hongrie
  21. SĂ©ance d'ouverture du colloque "La destruction des Juifs de Hongrie"
  22. Conférence sur l'antisémitisme, réunion de l'OSCE
  23. Commémoration de la rafle du Vél' d'Hiv'
  24. Colloque "Bùtissons ensemble l'amitié judéo-musulmane de France, CEDER
  25. Séance d'ouverture du colloque "Les Juifs et la Pologne (1939-2004) : aspects multiformes du passé
  26. Inauguration du Mur des noms au MĂ©morial de la Shoah
  27. CommĂ©moration internationale du 60e anniversaire de la libĂ©ration du camp d’Auschwitz-Birkenau
  28. Cérémonie dans le cadre du travail de restitution, effectué par les collégiens des Alpes-Maritimes, aprÚs leur voyage à Auschwitz
  29. DĂźner du CRIF
  30. Conférence sur l'antisémitisme et autres formes d'intolérance. Réunion de l'OSCE
  31. Inauguration de l'exposition en hommage Ă  Luiz de Souza Dantas
  32. Commémoration des victimes de la Shoah
  33. JournĂ©e nationale Ă  la mĂ©moire des victimes des crimes racistes et antisĂ©mites de l'État français et d’hommage aux Justes de France
  34. Inauguration du Mur des noms
  35. Conférence sur la mémoire de la Shoah et l'antisémitisme
  36. Conférence annuelle "Auschwitz plus jamais". Réception du prix dédié à la mémoire d'Annetje Fels Kupferschmidt
  37. Journée nationale à la mémoire des héros et des martyrs de l'Holocauste en GrÚce
  38. Séance d'ouverture de la Conférence internationale sur la Shoah "The Holocaust: Remembrance and lessons"
  39. JournĂ©e nationale Ă  la mĂ©moire des victimes des crimes racistes et antisĂ©mites de l’État français et d’hommage aux Justes de France
  40. Cérémonie du Panthéon en hommage aux Justes de France
  41. SĂ©ance d’ouverture de la JournĂ©e internationale de commĂ©moration dĂ©diĂ©e Ă  la mĂ©moire des victimes de l’Holocauste
  42. La Fondation pour la MĂ©moire de la Shoah
  43. Couverture