Houellebecq entre poème et prose
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Houellebecq entre poème et prose

  1. 241 pages
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Houellebecq entre poème et prose

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À propos de ce livre

L'originalité de ce livre consacré à Michel Houellebecq tient d'abord à ce qu'il est le premier ouvrage universitaire à mettre aussi nettement en valeur l'importance de la poésie dans l'oeuvre de l'écrivain, sans pour autant négliger ses romans – y compris le dernier paru à ce jour, Sérotonine, publié en 2019. Un autre de ses traits distinctifs: la perspective sociocritique adoptée par l'ensemble des collaborateurs. Les textes, placés à l'avant-scène, sont analysés de manière à montrer la façon dont ils travaillent la semiosis sociale, c'est-à-dire l'ensemble des moyens langagiers par lesquels la société se représente ce qu'elle est, ce qu'elle a été et ce qu'elle pourrait devenir. Les études rassemblées dans ce volume permettent d'envisager sous un éclairage nouveau les oeuvres poétiques et romanesques de Houellebecq, qui prennent systématiquement le réel à bras-le-corps, tout en restant attentives aux manifestations du monde sensible, aux passions et aux déchirements qui sont le lot de tout individu.

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Informations

Chapitre 1

Aux divinités incertaines:
Sérotonine de Michel Houellebecq

Agathe Novak-Lechevalier
Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges
Jeter l’ancre un seul jour?
Lamartine, «Le Lac», Méditations poétiques
Or il n’est pas d’horreur au monde qui surpasse
La froide cruauté de ce soleil de glace
Et cette immense nuit semblable au vieux Chaos.
Baudelaire, «De profundis clamavi», Les Fleurs du mal
Sérotonine n’aura pas fait exception à la règle: un nouveau roman de Houellebecq est toujours un événement; un événement tel qu’il «écrase» tous les autres (près de 500 romans parus, quand même, lors de la rentrée littéraire de janvier 2019) et qu’on ne parle, ou presque, que de lui. Qu’aura retenu la critique de ce dernier opus houellebecquien? Écartons d’emblée les fausses polémiques (le député de Niort s’offusquant que sa ville soit décrite comme «une des villes les plus laides» de France), les récriminations mécaniques (Houellebecq misogyne) et les jugements de valeur (un roman «plat» tout entier bâti sur des facilités d’écriture); que reste-t-il? Dans un moment où la France connaît d’intenses troubles politiques, la réputation de «prophète» de Houellebecq sort renforcée: après Plateforme, qui mettait en scène un attentat islamiste quelques jours avant le 11 Septembre et un an avant l’attentat de Bali; après Soumission, qui imaginait la victoire d’un parti islamiste en France et dont la date de parution coïncidait tragiquement avec la tuerie de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, Houellebecq aurait prédit, dans Sérotonine et avec quelques mois d’avance (sortie mondialisée oblige, aucun ajout n’a pu être fait au roman à partir de juin 2018), la crise des Gilets jaunes: Aymeric et ses compagnons qui, pris dans la nasse de l’«énorme plan social» invisible se refermant sur l’agriculture française, partent bloquer l’autoroute, seraient ainsi les frères fictionnels de tous ceux qui, à partir de novembre 2018, sont descendus occuper les ronds-points pour protester contre les injustices sociales. Le second point de focalisation de la critique tient à la présence centrale de l’amour dans le roman: au risque de faire croire qu’il s’agit là d’une nouveauté (quid de Plateforme ou de La possibilité d’une île?), on s’attache tout à coup à montrer que Sérotonine exalte l’amour romantique et l’on affirme que le sentiment amoureux fait poindre une note optimiste, lumineuse et consolatoire dans une œuvre jusque-là globalement désespérée.
Sérotonine, donc, roman sociologique et roman sentimental? Ce n’est ni tout à fait faux, ni tout à fait vrai. Houellebecq revient en effet à une veine sociologique qu’il semblait avoir délaissée notamment avec Soumission, plus directement politique; et il explore surtout à travers le personnage d’Aymeric les difficultés du monde agricole, qu’il n’avait encore jamais directement abordées dans ses précédents romans. Or, s’il est difficile de relier très directement la colère des agriculteurs dans Sérotonine au mouvement des Gilets jaunes, beaucoup plus complexe et hétérogène tant politiquement que socialement, il existe une parenté indéniable entre tous ces laissés-pour-compte du système capitaliste libéral. L’idée même de la «déliaison», qui est au cœur de l’œuvre de Houellebecq, rencontre d’ailleurs un écho dans les paroles de certains Gilets jaunes qui racontent avoir retrouvé la fraternité et la solidarité dans les barrages des ronds-points. Rien d’étonnant: dès Rester vivant, Houellebecq s’est fixé pour tâche de déceler les plaies de la société, d’y mettre le doigt, et d’«appuyer bien fort». Sérotonine, comme chacun de ses romans, remplit admirablement ce programme, et l’écrivain y manifeste une fois de plus sa capacité d’empathie à l’égard des souffrances du monde contemporain. Quant au thème amoureux, il se trouve en effet au centre du roman, d’abord parce que celui-ci se donne comme la récapitulation des différentes histoires amoureuses vécues par le narrateur, ensuite parce que l’amour y est donné comme la seule issue possible à la désolation universelle: «Le monde extérieur était dur, impitoyable aux faibles, il ne tenait presque jamais ses promesses et l’amour restait la seule chose en laquelle on puisse encore, peut-être, avoir foi18
Dans le droit fil de la veine réaliste, donc, convergence de l’analyse sociologique, d’une part, et de l’exaltation du sentiment, d’autre part — Stendhal, Balzac, Flaubert en ligne de mire. En passant, on voit bien évidemment ce que cette double perspective qui oriente les critiques doit à la force romanesque des deux personnages qui aimantent toute la seconde partie du roman: Aymeric d’une part, Camille de l’autre. Pôle social et masculin, pôle amoureux et féminin: tout Sérotonine peut d’abord sembler se jouer dans l’oscillation entre ces deux extrêmes.
Et pourtant il est difficile de réduire le roman à ces deux axes d’interprétation qui l’inscrivent finalement dans la tradition réaliste telle qu’elle se construit au XIXe siècle. On manque du même coup ce qui en fait l’étrange beauté — et une partie du sens, aussi: car trop d’indices montrent que Sérotonine n’entre pas tout à fait dans cette tradition, qu’il s’y joue autre chose. Sérotonine affiche bien, comme presque tous les romans précédents, une ambition sociologique; mais il est surtout sans aucun doute le plus métaphysique d’entre eux. L’amour y est en effet exalté, coloré d’une dimension religieuse plus directement présente; et Houellebecq n’a finalement peut-être jamais écrit un roman aussi noir, aussi funèbre et aussi désespéré.
Sérotonine déroute et surprend donc, parce qu’une fois encore, en adoptant apparemment tous les codes du roman réaliste, Houellebecq les détourne pour s’envoler ailleurs. Ou tenter de le faire. Car toute la question est là: y a-t-il encore une issue possible? Lorsqu’on entre dans «la nuit éternelle», peut-on sauvegarder le souvenir du soleil? Lorsque l’on pénètre en enfer, peut-on encore espérer le salut? La littérature, pour Houellebecq, a toujours posé des questions essentielles, des questions de vie et de mort, ou plus exactement de possibilité de survie. Sérotonine aussi.

«Une nette sensation d’irrémédiable»:
le poids de la tragédie

«Il est vrai que la fin approche, mais ce n’est pas encore, pas tout à fait la fin», déclare le narrateur de Sérotonine, Florent-Claude Labrouste, à peu près au milieu du livre. Cette proximité étouffante est essentielle au roman houellebecquien: Philippe Muray l’a jadis montré avec génie, l’œuvre de Houellebecq surgit du «sentiment de la fin», qui lui donne «son éclairage poignant, sa lumière sourde, son climat de catastrophe intarissable, insaisissable, irrattrapable19». Sérotonine ne fait pas exception: la fin y est toujours et d’emblée en perspective, ne serait-ce que parce que l’histoire, comme presque toujours chez Houellebecq, est explicitement racontée depuis une fin, du point de vue d’un mourant, et que le narrateur sait donc d’emblée que tout est «foutu» et l’échec, «consommé».
C’est donc, dès le début, la fin; et l’on n’y peut rien. Sérotonine place en son cœur une réflexion sur l’impuissance — celle-ci ne se restreignant évidemment pas à l’aspect purement sexuel qui est cependant le plus évident dans le roman:
Qui étais-je pour avoir cru que je pouvais changer quelque chose au mouvement du monde? (S, 251)
Est-ce qu’il avait encore le choix? Est-ce que quiconque a le choix? (S, 230)
Qu’est-ce qu’elle y pouvait, qu’est-ce que nous pouvons, tous autant que nous sommes, à quoi que ce soit? (S, 326)
Ces interrogations forment la basse continue de Sérotonine. Et Florent-Claude parvient assez vite à cette conclusion définitive que «le monde» ne fait «pas partie des choses qu’[il] p[eut] changer» (S, 182). Dans les premiers romans de Houellebecq, quelque chose, toujours, s’est mal passé dans la vie des personnages; mais eussent-ils fait un autre choix, pris une autre direction, bifurqué à tel ou tel moment de cette vie, elle eût pu être différente. L’idée d’un choix possible disparaît de Sérotonine. Le modèle explicitement et à plusieurs reprises convoqué dans le roman est celui de la tragédie. Une fatalité est en marche dont le mécanisme est inaccessible. Florent-Claude le réalise en particulier à propos d’Aymeric:
Que pouvais-je lui dire de plus, par rapport à notre dernière soirée? Les gens n’écoutent jamais les conseils qu’on leur donne, et lorsqu’ils demandent des conseils c’est tout à fait spécifiquement afin de ne pas les suivre, afin de se faire confirmer, par une voix extérieure, qu’ils se sont engagés dans une spirale d’anéantissement et de mort, les conseils qu’on leur donne jouent pour eux exactement le rôle du chœur tragique, confirmant au héros qu’il a pris le chemin de la destruction et du chaos. (S, 253-254)
Ce modèle tragique vient contredire de plein fouet les «illusions de liberté individuelle, de vie ouverte, d’infini des possibles» en vogue dans le monde contemporain. Mais il n’exonère pas les personnages de toute responsabilité. Face au malheur des agriculteurs, face aux enfants de son propriétaire qui sont «vraiment dans la merde sur le plan financier», face à l’évidence donc de sa totale impuissance à infléchir le cours des choses, Florent-Claude se sent intimement responsable. Et il a parfaitement raison: dans Sérotonine comme dans toute tragédie, l’impuissance n’annule pas la culpabilité. Cette culpabilité tient en un seul mot: Florent-Claude a «trahi». Il a trahi son «idéal» dans sa vie professionnelle; dans sa vie amoureuse, il a trahi l’amour (S, 109-100).

La Chute: réalisme et métaphysique

Le parcours existentiel que retrace Florent-Claude se résume essentiellement à deux choses: ses histoires d’amour successives; les différents lieux qui en ont fourni le cadre. Les deux sont en réalité étroitement interdépendants; car, selon le principe typiquement réaliste élaboré d’abord par Balzac, chaque personnage (ici, chacune des femmes dont Florent-Claude partage un moment la vie) correspond étroitement au milieu qu’il habite et qu’il façonne à son image: ainsi la lubrique Yuzu est-elle inséparable de la phallique «tour Totem», «gigantesque» et répugnante «morille de béton» (S, 47) dont elle est, nous dit-on, «tombée amoureuse» mais que Florent-Claude, lui, déteste. Claire, typique du milieu bobo parisien, s’identifie elle aussi étroitement au lieu qu’elle habite, un loft organisé en open space hérité de ses parents et qui la représente au point que les différentes étapes de son existence se confondent à peu près avec les fluctuations des prix de l’immobilier, et que les différents hommes qu’elle fréquente lui semblent «moins amoureux d’elle que de son appartement» (S, 123). Enfin, la «maison ravissante» de Clécy, avec tomettes et colombages, est la seule que le narrateur considère comme «[s]a maison», tout simplement parce que Camille en a fait au préalable la sienne. Florent-Claude y expérimente «un mode de vie nouveau», «plein de charmes insoupçonnés» (S, 171), et c’est là qu’il connaît, pour la première et dernière fois, le bonheur.
Cette maison constitue à tous égards l’acmé de la vie du narrateur. À partir du moment où celui-ci quitte Clécy commence un long déclin: de la rue des Écoles à l’affreuse tour Totem, puis à une succession d’hôtels; et aucun retour en arrière n’est possible. Lorsqu’il revient dans l’Orne avec l’espoir de retrouver Camille, Florent-Claude séjourne ponctuellement à Saint-Aubert: mais la maison de Saint-Aubert, dont il prend soudain conscience qu’elle est construite selon le même plan que celle de Clécy, n’en est en réalité qu’une version dégradée — signe indubitable que les retrouvailles fantasmées sont promises à l’échec. Une fois cet échec consommé, ayant atteint «ce stade où l’animal vieillissant, meurtri et se sentant mortellement atteint, se cherche un gîte pour y terminer sa vie» (S, 328), Florent-Claude retourne à Paris: un studio se révèle alors amplement suffisant, et il part le chercher au sud du XIIIe arrondissement, dans cet espace totalement indifférencié qui lui donne la sensation de n’«habiter nulle part», ou du moins, «dans le voisinage immédiat de nulle part» (S, 330) — dans les «parages du vide20», sans aucun doute.
Hors la maison de Clécy donc, aucun lieu du roman n’apparaît propre à être habité. Significativement, le propriétaire de la maison de Saint-Aubert, qui se déclare architecte de métier, précise immédiatement: «Un architecte raté. Enfin, comme la plupart des architectes» (S, 275). Comme la plupart, oui, c’est une fatalité: car le monde contemporain, on le sait depuis La carte et le territoire, est devenu inhabitable. Sérotonine reprend le même constat. Mais que nous dit le roman de ce qui s’est perdu? Et pourquoi Florent-Claude a-t-il quitté Clécy? Revenons-y plus précisément. Le départ vient de ce que le propriétaire de la maison, ce charmant «petit vieux tout rabougri» qui les avait accueillis, Camille et lui, est mort. On dit de cet homme qu’il a «fait son temps». On en sait peu de choses, sauf qu’il est (comme par hasard) «un...

Table des matières

  1. Introduction
  2. Chapitre 1
  3. PREMIÈRE PARTIE
  4. DEUXIÈME PARTIE
  5. Bibliographie
  6. Les collaborateurs