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Trajectoires de vie et agentivité des migrants face au cadre légal

Laura Merla, Sylvie Sarolea, Bruno Schoumaker

• Éditeur: Academia
• Année: 2021
• ISBN:
  9782806124425
• Sujet: Sciences sociales
• Sous-sujet: Sociologie

Qu'ont en commun un informaticien indien, une réfugiée congolaise et un journaliste américain? Tous sont confrontés à un cadre juridique qui insécurise leurs parcours et trajectoires de vie, dans un contexte où les titres de séjour deviennent de plus en plus temporaires. Cet ouvrage pluridisciplinaire analyse finement la manière dont le cadre juridique contraint ces trajectoires, les stratégies déployées pour contourner les obstacles, et formule des recommandations visant une plus grande justice migratoire.

DEUXIÈME SCÈNE

LES TEMPORALITÉS

Dans cette deuxième partie, le temps et les trajectoires sont au cœur des analyses. À travers les outils du droit, de la sociologie et de la démographie, les quatre chapitres appréhendent la manière dont les trajectoires des migrants sont façonnées par les temporalités institutionnelles : comment le temps du cadre légal et des institutions structure les trajectoires individuelles et familiales, comment ces temporalités génèrent de l’insécurité juridique et des situations d’irrégularité, comment le temps est un outil politique de contrôle des migrants. Mais tant les analyses qualitatives que quantitatives montrent aussi comment les migrants peuvent arriver à contrer les effets des temporalités institutionnelles, et ‒ trop rarement sans doute ‒ à réussir leurs projets. En ce sens, elles témoignent de l’agentivité des migrants, de leur persévérance et de leurs capacités d’adaptation.

À travers trois études de cas mettant en scène cinq migrants hautement qualifiés titulaires de visas temporaires en Belgique, le quatrième chapitre analyse l’impact des rythmes et des temporalités légales de la migration sur les temporalités spécifiques de la vie familiale des migrants. Les auteures traitent cette question au travers du prisme original de la « friction » entre la temporalité institutionnelle des procédures et politiques administratives et les temporalités quotidienne et biographique des migrants. Cette notion de « friction » attire l’attention sur la façon dont le temps est ralenti, suspendu, accéléré ou canalisé lorsque différentes échelles de temps se rencontrent, de sorte que les migrants se retrouvent souvent dans une situation de « temporaireté forcée ». En produisant des expériences spécifiques du temps, cette temporaireté forcée prive les migrants du droit et de la capacité à mener leur vie familiale selon leurs projets et aspirations, et seuls certains d’entre eux peuvent s’installer définitivement et poursuivre leurs projets familiaux. Ce chapitre met également en évidence la façon dont les individus tentent de reprendre le contrôle de leur vie.

Dans le cinquième chapitre, les données du Registre national belge sont analysées pour reconstituer les trajectoires administratives de migrants américains, congolais et indiens arrivés en Belgique au début des années 2000. Sept grandes catégories de trajectoires, correspondant à des expériences de temporalités institutionnelles contrastées, sont mises en évidence par l’analyse de séquences. Les trajectoires les plus complexes et les plus précaires sont le plus souvent rencontrées parmi les demandeurs d’asile congolais, et les trajectoires les plus simples et les plus courtes parmi les Américains. On retrouve néanmoins une gamme de trajectoires intermédiaires, dans laquelle les profils de migrants sont plus diversifiés. Comme le montrent aussi les travaux qualitatifs, les parcours peuvent être semés d’embûches, faits d’allers-retours entre statuts. Néanmoins, même si les trajectoires sont complexes et lentes pour bon nombre de migrants, elles se caractérisent souvent par une ascension en termes de statut légal et aboutissent, parfois après de longues années, à l’obtention d’un titre de séjour illimité.

Le sixième chapitre combine une analyse juridique et l’exploitation de données qualitatives pour examiner l’impact des contraintes temporelles sur les trajectoires des personnes migrantes, avec une attention particulière aux séjours irréguliers. Ce chapitre montre que les temporalités institutionnelles et la conditionnalité des séjours des migrants augmentent les risques de précarité et d’irrégularité, quelle que soit la nationalité d’origine des personnes concernées. Les contraintes temporelles produisent donc une insécurité juridique, même pour les personnes résidant légalement en Belgique. Le chapitre examine également les conséquences de cette insécurité juridique sur les trajectoires des individus. Le séjour légal pouvant être sujet à des perturbations, les migrants avec un statut temporaire partagent le sentiment de vivre dans une situation de légalité liminale et d’entre-deux temporel. Ces personnes trouvent malgré tout des moyens et développent des stratégies d’adaptation pour surmonter ces contraintes.

Enfin, le septième chapitre apporte un éclairage supplémentaire sur l’expérience de l’irrégularité, à partir des données du Registre national. Ce chapitre confirme que l’irrégularité est très fréquente, quelle que soit l’origine des migrants, mais s’intéresse de manière plus approfondie à l’hétérogénéité des situations d’irrégularité. Ces expériences peuvent se produire à différents moments dans les trajectoires des migrants, et durer plus ou moins longtemps. Certaines catégories de migrants, notamment les demandeurs d’asile, sont aussi plus susceptibles de connaître ces situations de manière répétée. Ces résultats interrogent quant à la manière dont les migrants vivent et gèrent ces moments d’instabilité administrative, et les ressources qu’ils mobilisent pour se prémunir de l’irrégularité ou pour en sortir.

CHAPITRE 4

PROJETS FAMILIAUX ET PARCOURS
MIGRATOIRES EN SÉJOUR TEMPORAIRE :
QUAND TEMPORALITÉS FAMILIALES ET
MIGRATOIRES ENTRENT EN FRICTION1

LAURA MERLA ET SARAH SMIT

Introduction

Ces dernières décennies, les politiques migratoires sont devenues de plus en plus complexes (sélectivité croissante, renforcement des contrôles aux entrées, évolutions rapides des législations et procédures administratives), et ce dans la plupart des pays européens, y compris en Belgique. Une nouvelle loi adoptée en 2012 a par exemple modifié le Code de la nationalité belge, limitant considérablement l’accès des étrangers à cette dernière. En 2013, de nouvelles mesures ont été adoptées pour lutter contre les mariages et les cohabitations de complaisance, allongeant de ce fait la durée de l’examen des unions concernées. En 2018, alors que l’on recensait plus d’un million d’étrangers détenteurs d’un titre de résidence valide, seuls 1 043 ressortissants de pays tiers bénéficiaient d’une résidence permanente dans le pays (MYRIA 2019). L’aspect temporaire des séjours est au cœur de la philosophie du régime migratoire belge actuel : le séjour limité...

Table des matières

• Couverture
• 4e de couverture
• Titre
• Copyright
• Table des matières
• Introduction
• Première scène : Le cadre et les contraintes légales
• Deuxième scène : Les temporalités
• Troisième scène : Le regroupement familial
• Conclusion
• Bibliographie